dimanche 30 mars 2008
Musiques des rues , ou exemple de leçon de manipulation des esprits : d'où la nécessité de posséder un esprit critique et plein de présence d'esprit !
, Le joueur de vielle , Peinture de Georges de la Tour ( XVIIe siècle) .
Le Joueur d'Orgue de Barbarie, Barbéri . Dessin d'Honoré Daumier (XIXe siècle .
Concert ambulant
Extrait du texte de Louis-Sébastien Mercier : Le Tableau de Paris , 1790 , véritable résurrection de la société française à la veille de la Révolution . Cet écrivain français, 1740-1814, théoricien du théâtre, a exercé, après Diderot, une influence indéniable sur l'évolution du drame réaliste, national et populaire . Il a été un Observateur des mœurs et du langage de son époque . Ce court passage de l'ouvrage publié en 12 volumes , cité ci-dessous, a été choisi pour les " sous-entendus " (voir notre billet sur le texte de Boileau , du 15 Septembre 2007 , concernant le bruit et les embarras à Paris) .
"Un étranger, le lendemain de son arrivée , entend sous ses fenêtres quelques airs ( chants ) exécutés sur la basse et le violon . La curiosité lui fait ouvrir sa croisée qui donne sur la cour : quelle est sa surprise ? il ne voit qu'un homme qui accompagne sur un instrument l'air qu'il joue sur un autre ; et voici comment un seul homme compose l'orchestre adossé contre la muraille . Il tient en main son violon, une basse est étendue devant lui, et par le moyen d'un archet attaché à son pied droit il en tire une sorte de ronflement continu, qui du moins suit quelquefois la mesure de l'air qu'il joue avec ses mains .
Cet étranger, en sortant de chez lui, entend de loin les sons aigres d'un hautbois (instrument de musique) ; ces sons s'élèvent du milieu d'une foule de manouvriers (manoeuvres) et de servantes, et sont marqués par des coups de tambour frappés avec assez de justesse d'après le mouvement de l'air : en approchant il ne voit que l'homme qui tient son hautbois à deux mains ; mais, sous son manteau renflé par l'extension de ses bras, il a un tambour attaché sur la hanche : c'est un enfant de dix ans, qu'on aperçoit pas, qui bat cet instrument à mesure que son père joue sur le sien .
Plus loin passe un autre musicien; mais il ne marche point sur ses pieds, car il n'en a plus . le malheureux est assis les jambes croisées sur un petit cheval qu'une jeune fille conduit par la bride, en avançant la main gauche pour recevoir la monnaie qu'on voudra lui jeter des croisées . Le contraste de cet homme qui joue du violon et qui chante, après avoir perdu ses pieds, touche les coeurs; et la piété filiale de la jeune fille détermine l'aumône incertaine à tomber des fenêtres . Les gros sous de cuivre, très beaux et mieux frappés ( qui reçoit une empreinte entre deux matrices par percussion : frapper la monnaie, créer des pièces par ce procédé) que les écus, pleuvent autour du petit cheval, qui semble deviner que sa course doit être lente .
Toute cette musique, que le peuple paye avec la plus vile ( indigne, méprisable) monnaie, est intolérable pour quiconque a de l'oreille ; mais le Parisien n'a point d'oreille musicale ( ! ) .
Quand les Quinze-vingts (actuellement, Centre Hospitalier National d'ophtalmologie à Paris . A l'époque de L.S. Mercier, Hospice qui fut fondé en 1260 par Saint-Louis [ le roi Louis IX de France) au retour de la 7e Croisade qu'il mena et où certains Croisés eurent les yeux crevés par les Maures ] ) étaient réunis en corps de communautés, il y avait un jour de la semaine où quelques-uns d'entre eux s'acheminaient à tâtons sous les portes cochères, pour y chanter des cantiques pieux . Leur chant étaient si lamentable que les laquais (serviteurs) avaient ordre de se hâter de leur donner quelques liards (petite monnaie de cuivre trois deniers, le quart d'un sou et un peu plus qu'un centime) pour qu'ils allassent plus loin promener leur pitoyable ( déplorable, triste) musique . Elle était vraiment crucifiante (insupportable, source d'un véritable supplice) .
Lorsqu'il y a ( avait ?, à l'époque de l'auteur) quelque mécontentement parmi le peuple, la police fait (faisait ...? ; actuellement utilise-t-elle ce genre de moyen !) doubler la musique des rues, et elle se prolonge deux heures plus tard que de coutume . Quand la fermentation s'accroît, alors que la musique ambulante ne désempare pas ( se fait entendre sans relâche , sans cesse) des carrefours ; le tambourin résonne du matin au soir ; des fusils d'un côté, des clarinettes de l'autre ! , des soldats montant la garde autour du palais, des chanteurs faisant monter leurs voix jusqu'aux sommets des maisons, voilà comme on apaise (rassurer, calmer) les esprits, par les plus singuliers contrastes (surprenantes oppositions) ; on rouvre les académies de jeux qui avaient été fermées ; on concède (accorde, donne) un peu plus de licence ( autorisations, permissions ) aux filles (des rues !) ; on allonge les parades des boulevards, et le peuple qui chante, qui joue librement, qui voit de nouvelles prostituées, oublie les fusils, ne les aperçoit plus, et tout étourdi ne songe qu'à la jouissance ( satisfactions) du moment ".
Belle leçon , toujours d'actualité dans de nombreuses circonstances de notre vie de tous les jours et dans de très nombreux domaines , qu'avait malicieusement présenté avec beaucoup d' humour , Louis-Sébastien Mercier . Sa grande présence d"esprit , exacerbée, aiguisée, en faisait un redoutable observateur de ses contemporains . Il nous a laissé dans ses nombreux ouvrages un témoignage de son époque hors du commun .
Plongez-vous dans son oeuvre, vous en ressortirez plein de richesses !
Bien à vous , Gerboise.
Le Joueur d'Orgue de Barbarie, Barbéri . Dessin d'Honoré Daumier (XIXe siècle .
Concert ambulant
Extrait du texte de Louis-Sébastien Mercier : Le Tableau de Paris , 1790 , véritable résurrection de la société française à la veille de la Révolution . Cet écrivain français, 1740-1814, théoricien du théâtre, a exercé, après Diderot, une influence indéniable sur l'évolution du drame réaliste, national et populaire . Il a été un Observateur des mœurs et du langage de son époque . Ce court passage de l'ouvrage publié en 12 volumes , cité ci-dessous, a été choisi pour les " sous-entendus " (voir notre billet sur le texte de Boileau , du 15 Septembre 2007 , concernant le bruit et les embarras à Paris) .
"Un étranger, le lendemain de son arrivée , entend sous ses fenêtres quelques airs ( chants ) exécutés sur la basse et le violon . La curiosité lui fait ouvrir sa croisée qui donne sur la cour : quelle est sa surprise ? il ne voit qu'un homme qui accompagne sur un instrument l'air qu'il joue sur un autre ; et voici comment un seul homme compose l'orchestre adossé contre la muraille . Il tient en main son violon, une basse est étendue devant lui, et par le moyen d'un archet attaché à son pied droit il en tire une sorte de ronflement continu, qui du moins suit quelquefois la mesure de l'air qu'il joue avec ses mains .
Cet étranger, en sortant de chez lui, entend de loin les sons aigres d'un hautbois (instrument de musique) ; ces sons s'élèvent du milieu d'une foule de manouvriers (manoeuvres) et de servantes, et sont marqués par des coups de tambour frappés avec assez de justesse d'après le mouvement de l'air : en approchant il ne voit que l'homme qui tient son hautbois à deux mains ; mais, sous son manteau renflé par l'extension de ses bras, il a un tambour attaché sur la hanche : c'est un enfant de dix ans, qu'on aperçoit pas, qui bat cet instrument à mesure que son père joue sur le sien .
Plus loin passe un autre musicien; mais il ne marche point sur ses pieds, car il n'en a plus . le malheureux est assis les jambes croisées sur un petit cheval qu'une jeune fille conduit par la bride, en avançant la main gauche pour recevoir la monnaie qu'on voudra lui jeter des croisées . Le contraste de cet homme qui joue du violon et qui chante, après avoir perdu ses pieds, touche les coeurs; et la piété filiale de la jeune fille détermine l'aumône incertaine à tomber des fenêtres . Les gros sous de cuivre, très beaux et mieux frappés ( qui reçoit une empreinte entre deux matrices par percussion : frapper la monnaie, créer des pièces par ce procédé) que les écus, pleuvent autour du petit cheval, qui semble deviner que sa course doit être lente .
Toute cette musique, que le peuple paye avec la plus vile ( indigne, méprisable) monnaie, est intolérable pour quiconque a de l'oreille ; mais le Parisien n'a point d'oreille musicale ( ! ) .
Quand les Quinze-vingts (actuellement, Centre Hospitalier National d'ophtalmologie à Paris . A l'époque de L.S. Mercier, Hospice qui fut fondé en 1260 par Saint-Louis [ le roi Louis IX de France) au retour de la 7e Croisade qu'il mena et où certains Croisés eurent les yeux crevés par les Maures ] ) étaient réunis en corps de communautés, il y avait un jour de la semaine où quelques-uns d'entre eux s'acheminaient à tâtons sous les portes cochères, pour y chanter des cantiques pieux . Leur chant étaient si lamentable que les laquais (serviteurs) avaient ordre de se hâter de leur donner quelques liards (petite monnaie de cuivre trois deniers, le quart d'un sou et un peu plus qu'un centime) pour qu'ils allassent plus loin promener leur pitoyable ( déplorable, triste) musique . Elle était vraiment crucifiante (insupportable, source d'un véritable supplice) .
Lorsqu'il y a ( avait ?, à l'époque de l'auteur) quelque mécontentement parmi le peuple, la police fait (faisait ...? ; actuellement utilise-t-elle ce genre de moyen !) doubler la musique des rues, et elle se prolonge deux heures plus tard que de coutume . Quand la fermentation s'accroît, alors que la musique ambulante ne désempare pas ( se fait entendre sans relâche , sans cesse) des carrefours ; le tambourin résonne du matin au soir ; des fusils d'un côté, des clarinettes de l'autre ! , des soldats montant la garde autour du palais, des chanteurs faisant monter leurs voix jusqu'aux sommets des maisons, voilà comme on apaise (rassurer, calmer) les esprits, par les plus singuliers contrastes (surprenantes oppositions) ; on rouvre les académies de jeux qui avaient été fermées ; on concède (accorde, donne) un peu plus de licence ( autorisations, permissions ) aux filles (des rues !) ; on allonge les parades des boulevards, et le peuple qui chante, qui joue librement, qui voit de nouvelles prostituées, oublie les fusils, ne les aperçoit plus, et tout étourdi ne songe qu'à la jouissance ( satisfactions) du moment ".
Belle leçon , toujours d'actualité dans de nombreuses circonstances de notre vie de tous les jours et dans de très nombreux domaines , qu'avait malicieusement présenté avec beaucoup d' humour , Louis-Sébastien Mercier . Sa grande présence d"esprit , exacerbée, aiguisée, en faisait un redoutable observateur de ses contemporains . Il nous a laissé dans ses nombreux ouvrages un témoignage de son époque hors du commun .
Plongez-vous dans son oeuvre, vous en ressortirez plein de richesses !
Bien à vous , Gerboise.
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