dimanche 30 novembre 2008

Les leçons de choses



Apprendre les choses de ce monde
- concernant les éléments de la nature, de la géologie et les phénomènes physiques[température, pression ...] , ceux de la chimie minérale [composition, réactions dans la matière inerte] et enfin ceux qui touchent à la vie des êtres vivants, ceux de la biologie - fait acquérir, au départ à l'enfant, puis aux adolescents, aux adultes, des connaissances indispensables, d'une grande valeur éducative .

Que de phénomènes, que d'événements, que de merveilles, dans la nature s'offrent aux regards étonnés de l'enfant, de nous-même ! C'est la pluie bienfaisante qui ranime les plantes, revivifie tous les êtres du règne animal, c'est la chaleur accablante qui brûle tous les éléments du monde vivant et des roches. C'est la brise légère qui chante dans les ramures, c'est l'ouragan terrible qui glace d'effroi les hommes et tous les animaux ; c'est la montée incertaine de la fragile bulle de savon, c'est le vol puissant de l'avion ...

Pourquoi ?

Tel est le mot qui vient tout naturellement sur leurs lèvres . Ils veulent connaître la raison des phénomènes variés qui se produisent sous leurs yeux . Curiosité de bon aloi, à laquelle l'étude des sciences peut donner satisfaction . Et cette étude ne procure pas seulement , surtout à l'enfant élève, une joie intellectuelle, elle lui assure aussi un savoir pratique qui lui sera immédiatement et surtout plus tard de la plus grande utilité ; elle lui fait connaître, elle lui permettra d'être compétent pour dominer les moyens de se maintenir en bonne santé, lui apprend, lui permettra de s'imprégner des concepts qui précisent comment l'homme, - qu'il soit cultivateur ou artisan , philosophe ou ingénieur, - peut travailler, agir d'une manière fructueuse et accroître ainsi son bien-être matériel et intellectuel .

C'est par l'observation directe que le " Maître " initie l'enfant, l'adolescent, le futur adulte à l'enseignement des sciences matérielles et humaines . Il lui fait acquérir des connaissances qui, vraisemblablement, seront durables . Ce que l'on a entendu ou lu finit par s'oublier, mais ce que l'on a VU se fixe solidement dans l'esprit .

La faculté d'observation, cette lucidité indispensable !

L'enseignement donné surtout sous la forme de leçons de choses, nous permet d'apprendre aux novices, aux inexpérimentés, à faire " leurs premières armes ", à bien " voir ", c'est-à-dire à OBSERVER . Sans doute il leur fait acquérir bien des connaissances, mais on peut affirmer sans exagération qu'il vaut moins par les connaissances communiquées que par le développement de la faculté d'observation, cet art élevé, subtil, ineffable .

Combien il est utile pour l'enfant d'apprendre de bonne heure à observer !

Les choses extérieures , les êtres vivants et leurs niches écologiques , ainsi que, et surtout ses propres actions et productions .

Cela ne peut paraître (sembler, avoir l'air) de médiocre importance qu'aux esprits superficiels, insouciants ! Combien est-il de personnes qui " ont des yeux et ne voient pas ", et passent à peu près indifférentes à côté d'objets, de personnages, intéressants, remarquables, sur lesquels se portent leurs regards, sans doute, mais dont l'image s'évanouira bien vite dans leur esprit .
La forêt se pare au mois de Mai de feuilles verdoyantes, la prairie se revêt de gazon, de fleurs : le vent agite les fines branches de la végétation sur leur balcon, le soleil va et vient chaque jour avec son merveilleux éclat, et les nuages se mirent dans les beaux fleuves, mais beaucoup de personnes qui ont tout cela sous leurs yeux, elles ont aussi parfois, devant leur visage le regard de l'autre[!] , ne voient pas, ou, si elles les voient, elle les regardent comme une vache regarde " passer les trains " !

Le " Maître " ne peut tout enseigner . A un moment donné, l 'Enfant, une fois sorti de l'école, devra compléter par lui-même son savoir, s'il a contracté l'habitude d'observer au sens profond du terme, c'est-à-dire de lire dans le grand livre de la nature , et c'est cela qui lui sera le plus bénéfique . Le plus grand service que nous puissions lui rendre, c'est de lui apprendre à apprendre .

Développement et éducation des sens

Les leçons de choses contribuent à l'émancipation et à l'évolution des sens chez les enfants . Dans une leçon de choses, en effet, l'enfant " voit " les objets , et il ne les voit (sens de la vision) pas seulement : souvent aussi il les palpe (sens du tact) , il les soupèse (sens de l'équilibre) , il les sent (sens de l'odorat) , il juge de leur degré de sonorité (sens de l'audition) , goûte la substance dont ils sont formés ( sens de la gustation) ... Les sens sont perfectibles ; ils se développent par l'exercice et transmettent au cerveau des perceptions de plus en plus exactes et précises . Sans vouloir affirmer que toutes nos idées nous viennent des sens, il faut reconnaître que nos sens nous sont des auxiliaires indispensables en ce qui concerne l'acquisition des connaissances .

" Il suffit, pour juger de leur importance, de voir à quel misérable état est réduite l'intelligence des malheureux qui sont privés de plusieurs ou même d'un seul de leurs sens " .

Élaboration et développement de l'Esprit scientifique

Donner des leçons concernant les activités scientifiques à l'école primaire, toutes modestes qu'elles soient, exerce néanmoins une grande influence sur les esprits . Cet exercice indique la méthode à suivre pour arriver à la connaissance de la vérité, dont la recherche est toujours difficile .

" La vérité, dit Berthelot, s'acquiert et se constate par l'observation et l'expérience . Elle résulte uniquement de la connaissance des faits . C'est là une chose fondamentale que les éducateurs, les formateurs, doivent imprimer, imprégner, dans l'esprit des enfants d'une manière ineffaçable ? Il en résulte une habitude de sincérité absolue, fondée sur cette conviction que la vérité en tout ordre est indépendante de notre volonté et de nos désirs .
Celui qui essaie de tricher avec la vérité se trompe lui-même ... Et la science en même temps qu'elle nous apprend comment on peut découvrir la vérité, nous montre que cette recherche est difficile et sujette à défaillance ; elle nous enseigne la modestie . "

Elle pousse l'enfant à remonter des effets aux causes, c'est-à-dire de ce que l'on voit à ce que l'on ne voit pas . Il y a d'ailleurs en lui une tendance naturelle à procéder ainsi, mais qui demande à être fortifiée .

" Le premier gamin, qui, apercevant sur les feuilles d'une haie des traces suspectes, a eu l'idée de conclure à l'existence d'un nid, et de lever la tête pour l'apercevoir, a fait preuve d'esprit scientifique . "

L'enseignement des sciences fait prendre aussi aux enfants l'habitude de ne rien accepter sans contrôle, d'examiner toute chose avec attention, de passer tout raisonnement au crible de la raison ; il écarte le surnaturel et le miracle, affranchit l'intelligence des préjugés et des superstitions . En ce sens, on peut dire que l'étude des sciences élargit et élève la pensée et qu'elle est une étude libératrice de l'esprit .
Elle tend aussi à ancrer dans les jeunes cerveaux cette vérité scientifique que rien n'est immuable et que tout est soumis à la grande et fatale loi de l'évolution . Elle montre que si le progrès ne se produit lentement, il est néanmoins réel, et que même, depuis moins d'un siècle, le génie de l'homme a créé des merveilles qui excitent au plus haut point notre admiration et autorisent tous les espoirs .

" Les ambitions de la science grandissent, montent, rayonnent . Elle a supprimé les distances, elle a conquis l'air : où s'arrêtera-t-elle ? Les vieux rêves de l'alchimie renaissent de leurs cendres . A son souffle, la maladie, la misère reculent et s'éloignent . Déjà elle s'attaque à la vieillesse . Qui sait ? ..." [ L. Gérard-Varet, L'idolâtrie de la science et de l'esprit scientifique, Revue pédagogique, janvier 1913]

En même temps, cette étude apprend aux élèves à connaître et à vénérer les noms des hommes illustres qui ont créé la science .

Voici un ensemble de" Réflexions " qui nous permettrons d'avancer dans notre analyse de l'acquisition des connaissances . Nous les intégrerons progressivement dans les divers sujets de nos billets futurs .

A bientôt, bien à vous ,Gerboise .

samedi 29 novembre 2008

Premières clartés du matin : Pensée de Pierre Termier .

" Au fond, ce qui est primordial , indispensable, premier dans la vie, c'est de n'être jamais satisfait, ni de soi-même, ni de sa part de connaissance ; c'est de chercher toujours, de s'efforcer toujours et de monter toujours . "

(C'est , également, de savoir " se cultiver " une curiosité à toute épreuve !)

Il a jeté un levain dans la pâte , et a marqué les âmes de tous ses élèves et de tous ceux qui l'ont approché .
Il a tracé un sillage : à d'autres de le suivre !

Bien à vous, Gerboise .

vendredi 28 novembre 2008

Premières clartés du matin: Discours de Pierre Termier* au banquet du XIIIe Congrès Géologique International à Bruxelles en 1922 , adressé aux femmes

*) Pierre Termier : [1859-1930], Professeur de Géologie et de Minéralogie à l' École Supérieure des Mines de Paris ; Inspecteur Général du Corps des Mines ; Ancien élève de l' École Polytechnique, major de promotion 1880 ; membre de l'Académie des Sciences en 1909 .

Voici ce texte extraordinaire pour l'époque, grandiose, superbe, où les femmes sont magnifiées, idéalisées pour leur esprit et leurs actions , mais également pour leur personnalité, leurs rôles, leurs missions , leurs vocations, dans notre monde complexe , déjà à cette époque . Aujourd'hui, n'en est-il pas de même ? Dans tous ces contextes ingrats qui constituent notre vie et qui surviennent au fil de toutes les informations qui arrivent jusqu'à nous tous les jours, ne serait-il pas opportun de se rappeler toute la sagesse énoncée dans son discours " aux Dames " par ce grand savant dont sa vaste culture l'avait rendu apte à posséder le sens des réalités et qui savait " regarder les choses en face " ?

Pierre Termier lors de son allocution au banquet du XIIIe Congrès Géologique International à Bruxellles, au Bois de la Chambre, le 18 août 1922 . Toast aux dames, disait, confiait, clamait à toute la "Société " :

" Mesdames ,

C'est à vous, à vous seules, que je m'adresse . (N'en profitait-il pas pour interpeller, apostropher[interpeller brusquement, vivement, d'une façon indirecte, parfois mortifiante] en vue de faire prendre vraiment conscience à tous les " Hommes" de certaine de ses convictions ?)

La série est terminée, des toasts officiels, des congratulations (échanges de compliments ; on dit féliciter ou complimenter, sauf quand il y a une nuance de critique, d'ironie, de dérision ) réciproques . Nous avons fait le tour des patries . Avec vous, je vais rentrer dans l'humanité pure et simple, l'humanité sans acception de race ni de langue, l'humanité telle qu'elle existe depuis le commencement, depuis le miracle inimaginable qui l'a fait jaillir un jour - du Règne vivant ? peut-être ; du Règne inanimé ? je ne sais pas - et l'a jetée sur les chemins du monde ; car les frontières changent, les peuples émigrent et les langues se modifient ; mais, dans leur fond, depuis qu'ils passent sur la terre, les hommes et les femmes n'ont pas changé . Avec vous, je vais rentrer dans l'humanité sans épithète, dont vous êtes, Mesdames, la plus belle et, je crois bien aussi, la meilleure moitié . C'est à vous que je m'adresse .

D'abord, je vous remercie . Je vous remercie d'être venues nombreuses à ce Congrès . Vous ne sauriez croire à quel point votre présence nous était nécessaire . Certes, la Science est magnifique, et tout particulièrement notre Science : j'aurai passé une grande partie de ma vie à exalter sa splendeur . Il est cependant tout un vaste domaine où elle ne pénètre pas ; où, quand elle pénètre, elle demeure comme une étrangère : c'est le domaine de la tendresse . Les géologues sont des contemplatifs . Or, tout contemplatif est un tendre, parce que, dans la profondeur, il n'y a pas de différence entre la Vérité cherchée pour elle-même et l'Amour . La soif de la vérité est une passion d'amour . Les géologues ont donc besoin de vous, qui êtes des êtres de tendresse . Pour quelques-uns d'entre nous, les privilégiés, vous avez été, durant ces jours de travail, la famille même, la famille transplantée et prolongée, l'épouse, la soeur ou la fille . Aux autres, votre simple passage dans nos groupes, le son de votre voix, la fraîcheur de votre rire, ont rappelé la famille absente, les amours lointaines, les joies lointaines, lointaines dans l'espace et que l'on va retrouver bientôt, ou lointaines dans le temps, hélas ! et que l'on ne retrouvera plus jamais ; et, même dans ce dernier cas, le rappel dont je parle n'allait pas sans grande douceur . Il y a d'autres choses encore que votre présence nous a apportées : c'est, dans nos préoccupations et discussions scientifiques, une note plus humaine ; c'est le souci, plus vif, d'expliquer nos idées en un langage simple et clair ; c'est le sentiment que la Géologie n'est pas tout, au monde ; que d'autres domaines existent, non moins beaux, et que, si la vie est faite pour connaître, elle est faite aussi pour aimer ; c'est, enfin, ce je ne sais quoi, qui est vous-mêmes, Mesdames, et que je trouve défini dans ce vers d'un de nos poètes :

Harmonie et parfum, charme, grâce, lumière .

Pour tout cela, je vous remercie .
Ensuite, je vous salue, au nom des géologues ici présents, au nom de tous les géologues du monde, frères de ceux-ci . Et je vous apporte de leur part des cadeaux magnifiques, des continents entiers, et des guirlandes d'îles . Voulez-vous des couronnes, pour ceindre vos têtes ? En voici trois, toutes prêtes, de dimensions et d'ancienneté bien inégales, que nous appelons des chaînes : chaîne calédonienne, chaîne hercynienne, chaîne alpine ; et, pour peu que vous le désiriez, nous saurons les tresser ensemble et en faire un tapis merveilleux, qui s'appellera l'Eurasie et que nous étendrons sous vos pieds . Voulez-vous des joyaux qui étincellent ? Rien n'est trop beau pour vous : voici les lacs de nos montagnes, plus bleus que le saphir ; et les neiges de nos régions polaires, plus éblouissantes que le diamant ; et les dunes de nos déserts, plus brûlées que la topaze ; et les laves ardentes de nos volcans, plus rouges que le rubis . Voulez-vous une ceinture, qui laisse bien loin derrière elle celle que portait Cléopâtre ? Voici la " Ceinture de feu du Pacifique " . Et pour charmer vos yeux et vos oreilles, voici le long déroulement des rivages où la mer se brise, et le bruit des vagues sur la côte, et la chanson du vent dans la forêt endormie .

Voulez-vous plus encore ?

Nous ferons sous vos yeux défiler la Vie, depuis les temps fabuleux jusqu'à nos jours : armée innombrable, sans cesse grossie de colonnes nouvelles, sans cesse décimées par des ennemis invisibles ; armée qui se transforme suivant une discipline précise, et qui va, sans une hésitation, sans un regard en arrière, vers des destinées inconnues .

Il n'y a pas de spectacle comparable .

En un mot, nous vous offrons la Terre entière ! c'est un présent digne de vous .

La Terre !

Je l'ai souvent regardée comme une très belle princesse, c'est-à-dire comme une de vos soeurs ;
Elle est toute pleine d'énigmes ; mais la Femme aussi est indiciblement énigmatique . La terre est , comme vous, " maternelle et douce " ; elle est secourable au blessé qui tombe, au chemineau qui n'en peut plus de fatigue, au moribond qui va s'endormir du grand sommeil . Elle aime, comme vous, à changer de vêtement et de parure, suivant la saison, et même suivant l'heure du jour ; elle a, comme vous, le goût des étoffes somptueuses et légères, des écharpes à fleurs . Elle fut le jardin fermé, le jardin paradisiaque par lequel la Femme était exactement préfigurée . Il y a entre la Terre et vous, bien des affinités mystérieuses . Oui, en vérité, c'est un présent digne de vous .

Enfin, je bois à vous, Mesdames, accomplissant ainsi le rite auguste de la libation, par lequel tout banquet doit finir, par lequel tout banquet prend la grandeur et la solennité d'un sacrifice .Italique Je bois à vous, à votre santé, c'est sûr, et au bonheur des êtres qui vous sont chers . Mais , beaucoup plus encore, je bois au développement de votre influence bienfaisante sur l'humanité .

LA SOCIÉTÉ FUTURE SERA CE QUE SERA LA FEMME .

Dans vos mains, si frêles en apparence,

Belles petites mains qui fermerez nos yeux !

Dans vos mains, vous tenez le sort de l'humanité entière . Je souhaite que vous compreniez de mieux en mieux votre rôle . Il n'est pas d'être la rivale de l'homme . Il est d'être la dispensatrice des joies, la confortatrice dans le travail, la consolatrice dans la douleur, et, dans la mesure du possible, la génératrice et l'éducatrice d'hommes nouveaux . Telle est la signification de mon toast ; telle est sa portée, immense ; tel est le souhait que je forme quand je lève mon verre, en votre honneur, Mesdames ! "

Gerboise vous laisse méditer ce texte extraordinaire . Nous reparlerons de l'auteur, lorsqu'il nous parlera de "La joie de connaître " . Bien à vous .

mardi 18 novembre 2008

Premières clartés du matin: Il y a des vérités pas toujours bonnes à dire à tout le monde, c'est ici que l'esprit critique est utile et indispensable

" Peu d'êtres savent voir les choses comme elles sont . Les uns aperçoivent seulement ce qu'ils veulent voir, les autres ce qu'on leur fait voir ."


" Les vérités scientifiques s'établissent facilement parce qu'elles s'adressent à l'intelligence . Les vérités économiques, se heurtant à des sentiments et à des illusions sociales, ne s'imposent qu'après de désastreuses expériences ..."

" Les énergies invisibles qui mènent le monde sont comparables à l'électricité, force de nature ignorée, connue seulement pour les résultats visibles qu'elle produit ."

Docteur Gustave Le Bon, Aphorismes du temps présent [1913] Incertitudes de l'heure présente [1924] .

Bien à vous, Gerboise .

vendredi 14 novembre 2008

Histoire de la langue et de la littérature françaises : 14 - Survol de la deuxième période du XIXe siècle , La poésie et le théâtre [*] .

[*] suite du n° 13 du 10 Novembre 2008

De personnelle la poésie tend à devenir impersonnelle . Les sujets ne sont plus les exaltations du moi, mais les formes de la vie extérieure .

Victor Hugo, dans sa seconde manière, humanitaire et démocratique, publie les Châtiments, satire passionnée de l'Empire ; la Légende des Siècles qui représente l'histoire de l'humanité, contée en tableaux épiques ; les Contemplations, les Chansons des rues et des bois, l' Année terrible, l'Art d'être grand-père, les Quatre vents de l'esprit . Sa poésie s'élargit en symboles et en mythes ; son art reste aussi puissant .

*) La suite de Victor Hugo :

Le romantisme s'achève dans la virtuosité rythmique de Banville, l'art laborieux et sensuel de Baudelaire, les intentions moralisatrices de de Laprade . Une école nouvelle apparaît, l'école Parnassienne, qui prend pour principe l'impassibilité de l'auteur . Le chef en fut Leconte de Lisle qui dans ses vers érudits, mais pleins et sonores, essaya de restituer l'âme des religions et des mythologies passées . Il est pessimiste, comme l'est Sully-Prudhomme qui s'inspire de la science et de la philosophie, poète ému de la résignation et du sacrifice . De Hérédia réalise dans ses Sonnets d'une forme si parfaite la théorie de l'art pour l'art . Manuel et Coppée chantent avec une tendresse contenue la vie des humbles .
De nouvelles écoles surgissent, les Décadents et les symbolistes, parmi lesquels se distinguent Verlaine et Henri de Régnier . Avec ces écrivains la poésie reste un travail d'artiste et perd tout contact avec le peuple .

**) Le théâtre :

Le mouvement réaliste a favorisé la comédie, dont la matière est l'observation des hommes et des moeurs .
Le vaudeville et sa fantaisie bouffonne font la réputation de Labiche ; le livret d'opérette, celle de Meilhac et Halévy . La comédie moyenne est représentée par Augier et Dumas fils .

Emile Augier (1820-1889) est surtout remarquable par ses pièces en prose, entre lesquelles il faut retenir Le Gendre de M. Poirier, les Lionnes pauvres, Maître Guérin . Dans un style ferme et net, avec un grand accent de sincérité, il met à la scène les misères et les vices de la société bourgeoise .

A. Dumas fils (1824-1895) est avant tout moraliste . Ses pièces sont des pièces à thèses contre les préjugés du temps . Un habile agencement scénique, la logique serrée des situations, un dialogue étincelant d'esprit, une observation pénétrante retiennent l'attention du lecteur comme du spectateur .
A côté d'eux Sardou obtint un grand succès par ses pièces où il rivalise avec Scribe d'ingéniosité et d'adresse dans les effets de théâtre .
Le goût du drame ne s'éteint pas, et l'on fait fête au talent de Jean Richepin, à la fantaisie sentimentale du Cyrano de Rostand .
Une tentative de réaction contre les artifices dramatiques, le théâtre libre, a orienté les auteurs contemporains vers une recherche plus serrée de la vérité . Les Becque, les de Curel , les Donnay, les Hervieu, les Bataille donnent une impression de vie intense et sincère, mais l'étude fréquente de cas particuliers entraîne le drame hors du naturel et de le vérité commune .

L' habitude .

" L'habitude est une étrangère
Qui supplante en nous la raison ;
C'est une ancienne ménagère
Qui s'installe dans la maison .

Elle est discrète, humble, fidèle,
Familière avec tous les coins,
On ne s'occupe jamais d'elle,
Car elle a d'invisibles soins :

Elle conduit les pieds de l'homme,
Sait le chemin qu'il eût choisi,
Connaît son but sans qu'il le nomme
Et lui dit tout bas : "Par ici "

Travaillant pour nous en silence,
D'un geste sûr, toujours pareil,
Elle a l'oeil de la vigilance,
Les lèvres douces du sommeil ;

Mais imprudent qui s'abandonne
A son joug une fois porté !
Cette vieille au pas monotone
Endort la jeune liberté ;

Et tous ceux que sa force obscure
A gagnés insensiblement,
Sont des hommes par la figure,
Des choses par le mouvement ."

Sully Prudhomme, Stances et poèmes , A. Lemerre, éditeur .

Cette description de l'habitude sous les traits d'une vieille servante tyrannique est un modèle de poésie symbolique et philosophique . L'auteur veut étudier des états d'âme et en tirer une leçon morale . Il le fait avec une rare pénétration, une sensibilité discrète, une justesse d'analyse qui donnent à ce tableau de la vie intérieure autant de profondeur que de charme .
La perfection de la strophe, et la netteté d'expression sont les qualités dominantes de cet art à la fois puissant et sobre qui s'adresse à la pensée plus qu'à l'imagination . Une émotion intellectuelle se dégage de ces notations exactes qui transposent les idées en faits visibles .

Bien à vous, Gerboise .

jeudi 13 novembre 2008

Premières clartés du matin : une certaine maîtrise de l'observation et de ses conséquences .

" La Terre étant immobile (* ) , l'humide qui l'environne,
vaporisé par les rayons du Soleil ...,
se porte vers le haut . Mais quand la chaleur,
qui l'élevait, vient à lui manquer, ...
alors la vapeur refroidie tant par le défaut de chaleur
que par la nature du lieu,
se condense de nouveau, et d'air devient eau .
Et l'eau, une fois formée, se porte derechef (** ) vers la Terre ."

Aristote, Les Météorologiques I . 9

*) la Terre étant immobile ! en ces temps-là : Aristote, [~ -384 à ~ -322], cette contre-vérité ne diminue pas la sagacité (pénétration, perspicacité) et la réflexion de ce penseur . Ses observations et ses interprétations sont d'un réalisme qui doit nous laisser admiratif !

**) derechef : de nouveau, une seconde fois, encore une fois .

Prévoir les phénomènes atmosphériques, le temps, est depuis toujours l'ambition des hommes . Aristote y prétendait . Le nombre immense des dictons (sentences [décisions d'un juge, d'un arbitre] passées en proverbe) , adages (maximes pratiques ou juridiques, anciennes et populaires) , proverbes (vérités d'expérience, ou conseils de sagesse pratique, exprimées en une phrase généralement imagée) , contradictoires et ambigus, mais parfois pertinents, témoigne du bien fondé et de l'ubiquité de ce désir .

Bien à vous, Gerboise .

mercredi 12 novembre 2008

Premières clartés du matin : Les limites du connaissable

" ...Cette apparence de stabilité ( caractère de ce qui tend à demeurer dans le même état) des choses dans la nature sera toujours prise, par le vulgaire ( le commun des hommes, sans valeur péjorative, défavorable) des hommes, pour la réalité (caractère de ce qui est réel, de ce qui existe effectivement, et n'est pas seulement une invention ou une apparence) , parce qu'en général on ne juge de tout que relativement à soi . "

" ...En me livrant aux observations qui ont fait naître les considérations exposées dans cet ouvrage, j'ai obtenu les jouissances que leur ressemblance à des vérités m'a fait éprouver, ainsi que la récompense des fatigues que mes études et mes méditations ont entraînées ; et en publiant ces observations, avec les résultats que j'en ai déduits, j'ai pour but d'inviter les hommes éclairés, qui aiment l'étude de la nature, à les suivre et à les vérifier et à en tirer de leur côté les conséquences qu'ils jugeront convenables " ...

J.B.P.A. Lamarck, Philosophie zoologique, Paris, 1809 .

..." Quand on parle d'inconnaissable et qu'on se sert de ce mot pour nous terrasser, comme du mot infini et de quelques autres chers aux dogmatistes, ne baissons pas la tête et ne laissons pas crier à la banqueroute de la science .

Oui, il y a de l'inconnaissable pour l'homme, par suite même de la nature de l'homme, et cet inconnaissable se compose de tout ce qui, dans l'univers, est sans action sur nous ou sur les phénomènes qui nous sont accessibles .

Évidemment, nous ne pouvons pas connaître ce qui agit sur rien de ce que nous connaissons . Mais, précisément, ce qui n'agit sur rien de ce que nous connaissons nous est parfaitement indifférent et il est vraiment illogique d'attribuer à cet inconnaissable la direction du monde "...

Félix Le Dantec, Les Limites du Connaissable, Félix Alcan, Éditeur, 1903 .

Bien à vous, Gerboise .

mardi 11 novembre 2008

Le courage*, notion relative qui, dans certains contextes, va dépendre de circonstances infernales : celles des" poilus " de la Grande Guerre ?

Oui , ces images font partie également d'un certain Savoir, que nous ne devons pas oublier, et qui doit nous inciter à nous poser de nombreuses questions pertinentes . Elles doivent nous encourager à construire une Réflexion, qui doit s'intégrer au sein de nos connaissances et de notre entendement des choses de ce monde, si nous voulons rester un " Être humain respectable ", "comme il faut", estimable, digne de vivre dans l' honneur !

( Ces 4 images , comme d'habitude, peuvent être agrandies par un clic gauche sur chacune d'entre-elles) .

"Dans la bataille : La contre-attaque française au petit matin . Les assaillants ont été arrêtés, leur flot se retire, et c'est sur un terrain jonché de cadavres allemands qu'avance à la baïonnette notre infanterie [Dessin de J. Simont] ."


Dans les Flandres, passage du canal de l'Yser par l'infanterie du 1er Corps, le 31 Juillet 1917 à 4 h 45 du matin près de l'écluse de Het-Sas [ Croquis de guerre par François Flameng] .


En pleine action : ravitaillement d'artillerie en Mars 1918 au petit matin [dessin d'après nature de Georges Scott ] .



Sur le front Italien en avril 1918 . Italiens et Français discutent, bavardent en causant entre eux de choses et d'autres [futiles et/ou sérieuses ?] avant de monter en ligne ! Au cantonnement : l'heure de la fermeture à l' "Auberge del Sole " . La détente, dans une ambiance plus humaine, en présence d'une femme et de l'enfant . Un moment de répit [ arrêt d'une chose pénible ; temps pendant lequel on cesse d'être menacé ou accablé par elle] , avant de repartir vers l'enfer ! [ Dessin d'après nature de Lucien Jonas ]

Nous vous offrons seulement ces quelques images en ce jour anniversaire mémorable du 11 Novembre 1918 [déjà 90 années se sont écoulées !] publiées dans les numéros du printemps 1918 du grand Journal l' "Illustration" .

Dans le blog de Gerboise, "Elles" sont là pour honorer ces millions de soldats qui furent tous , d'une certaine façon, des héros . Certains disent que pour aller au combat, monter à l'assaut, il valait mieux ne pas réfléchir : " Foutaise! " . C'est avoir une opinion déplorable que de croire à cette ineptie (caractère de ce qui est inepte, chose insignifiante, sans intérêt), ...cette stupidité .

Ces hommes pensaient, réfléchissaient ! c'est certain . Peut-on croire , que sans cela, ils n'auraient pas " laissé tout tomber " ? Nous préférons le penser !
Le courage, notion relative, qui dans certains contextes, va dépendre des circonstances, parfois infernales (qui appartient aux enfers) , qui évoque des conditions insupportables pour un être humain normal !


* ) courage


Nous vous proposons une définition du courage provenant du livre d'Alain : "Définitions" publié en 1953 aux éditions Gallimard, Paris .

Avertissement de l'Editeur

" Alain mettait très haut les définitions . Il en citait d'Aristote, qu'il jugeait magistrales ; il en découvrait aussi avec bonheur en Descartes, en Montesquieu, en Kant ... Il admirait comme la brève exposition d'une idée commune, ramenée à son essence, acquérait, par la simple rigueur de l'énoncé, une vertu tranquille, étrangère aux idéologies, inaccessibles aux polémiques ; modèle et source de toute vraie réflexion .

Ceux qui eurent Alain pour maître pendant ses dernières années d'enseignement [ 1930-1933 environ] ont raconté comment il était parvenu à obtenir de ses élèves la rédaction en classe de définitions improvisées, qui, aussitôt lues, reprises, complétées, ajustées, s'achevaient souvent au tableau en formules puissantes, dont beaucoup ont gardé la trace .
" Cet exercice, écrit Alain, est le meilleur que j'aie jamais inventé . "

A une époque assez incertaine [ sans doute entre 1929 et 1934 ], Alain avait établi ou fait établir environ cinq cents fiches portant chacune un mot . Le hasard et l'humeur semblent avoir joué un grand rôle dans le choix de ces mots, choix qui ne témoigne d'aucune prétention systématique . Alain, de temps en temps, prenait une de ces fiches, et, d'une écriture ferme, sans ratures, il composait une Définition ; il n'a malheureusement pas rempli toutes les fiches .
Un petit nombre de ces Définitions a paru dans le Mercure de France [ 1er décembre 1951] . L'ensemble est publié ici ."

Le courage

" La vertu qui surmonte la peur . La peur est tremblement, maladresse, faiblesse, fuite, et peur de tout cela . Le courage va directement et par principe contre ces abandons de soi . Toutefois il n'est point dit que le courage poussera vers le plus grand danger . Ce serait alors témérité ; et le courroux [parent de courage] est alors le moyen du courage . Au lieu que le courage peut s'allier avec la prudence et se passe très bien de colère . Et l'action, même imprudente, est souvent nécessaire contre la peur même ; et dans ces cas-là c'est au calme sans colère qu'on reconnaît le courage ."

...et , les poilus sortaient de la tranchée grâce à cet état d'esprit....

Bien à vous tous, à bientôt, Gerboise .

lundi 10 novembre 2008

Histoire de la langue et de la littérature françaises : 13 - Survol de la deuxième période du XIXe siècle , la Prose [*]

[*] suite du n° 12 du 28 Octobre 2008

A l'exaltation sentimentale, à l'idéalisme, au lyrisme succèdent le réalisme et le positivisme . Sous l'influence de l'esprit scientifique, on se défie de l'imagination, on revient à l'étude des faits, et de là sort le naturalisme .

*) Le roman :

Le roman devient la forme littéraire dominante comme l'avait été auparavant la poésie . Flaubert, le premier, cherche à faire sortir l'émotion du spectacle des choses et patiemment il étudie la vie moyenne comme l'antiquité, dans ses chefs-d'œuvre Mme Bovary et Salambo . Il est de plus un styliste parfait, l'un des maîtres de la phrase française . Les frères Goncourt poussent plus avant dans le naturalisme, mettant avant tout le document, notant des détails et des impressions, créant le style impressionniste . Zola veut fonder sur la science expérimentale une vaste synthèse de la vie moderne ; mais son esprit imaginatif l'entraîne, loin du roman documentaire à de lourdes et puissantes constructions comme Germinal ou l'Assommoir, qui sont de véritables épopées de la vie ouvrière . Alphonse Daudet, dans ses contes et ses romans, a su allier à une observation aiguë une sensibilité délicate, une émotion discrète . Il est touchant et séduisant . Guy de Maupassant excelle à conter avec simplicité la vie telle que son expérience et la nôtre la révèlent . Edmond About est un fin et spirituel conteur . Pierre Loti promène à travers le monde un regard désabusé, riche en impressions pittoresques ; c'est un maître de l'exotisme . Paul Bourget analyse avec profondeur les mobiles de nos actions et Anatole France, ironiste pénétrant, enchante par la magie de son style .

**) L'histoire :

Trois grands noms se détachent, Fustel de Coulanges, l'auteur de la Cité Antique, sait dégager les lois qui ont présidé à la formation des sociétés passées ; son exposé, clair, sobre et vigoureux, est d'une grande puissance . Taine se sert de l'histoire pour la psychologie et la sociologie . Posant que tout est déterminé par la race, le milieu et le moment, il établit l'histoire littéraire ou politique, comme dans sa Littérature anglaise ou les Origines de la France contemporaine, avec un style riche de pensées et d'images . Renan a tous les dons de la pensée et du style . Il s'est consacré surtout à l'histoire religieuse, y mêlant sa conception de l'univers et de la vie, et séparant nettement le domaine de la science et celui de la foi .

***) La vie publique :

La presse compta de grands écrivains : le catholique Veuillot, le libéral Prévost-Par adol, l'indépendant Edmond About. A la tribune de grandes voix retentissent : Thiers, Jules Favre, Jules Simon, Gambetta, à la fin de l'Empire ; Jules Ferry ensuite ; Jaurès et Clémenceau à la fin de cette période, pour ne citer que des talents incontestés .

****) Philosophie et critique :

La philosophie s'illustre des oeuvres de Claude Bernard, Renouvier, Th. Ribot, Taine . Leurs théories influent sur la critique littéraire qui prend une place de plus en plus grande et où on relève les noms de Sainte Beuve finissant, Taine, Sarcey, Brunetière, J. Lemaître,
Faguet .

Considérations philosophiques

" N'est-ce pas un fait étrange que toutes les idées que la science primitive s'était formées sur le monde nous paraissent étroites (sans largeur de vues, sans compréhension ni tolérance) , mesquines (étriqué, qui dénote une grande étroitesse d'esprit et une certaine indigence de l'entendement) , ridicules (dignes de moquerie, dénués de bon sens, absurdes), auprès de ce qui s'est trouvé véritable ? La terre semblable à un disque, à une colonne, à un cône, le soleil gros comme le Péloponèse ( en Grèce) , ou conçu comme un simple météore s'allumant tous les jours, les étoiles roulant à quelques lieues sur une voûte solide, des sphères concentriques, un univers fermé, étouffant, des murailles, un cintre étroit contre lequel va se briser l'instinct de l'infini, voilà les plus brillantes hypothèses auxquelles était arrivé l'esprit humain . Au delà, il est vrai, était le monde des anges, avec ses éternelles splendeurs, mais là encore quelles étroites limites, quelles conceptions finies( limitées) ! Le temple de notre Dieu n'est-il pas agrandi depuis que la science nous a découvert l'infinité des mondes ? ... Disons donc sans crainte que , si le merveilleux de la fiction a pu jusqu'ici sembler nécessaire à la poésie, le merveilleux de la nature, quand il sera dévoilé dans toute sa splendeur, constituera une poésie mille fois plus sublime ."

RENAN, L'Avenir de la Science, [ Calman-Lévy, Éditeur ] .

Bientôt, la poésie et le théâtre de cette deuxième période du XIX e siècle vous seront présentés . A la suite de Victor Hugo : Baudelaire, Sully-Prudhomme, Leconte de Lisle, de Hérédia, ainsi que Verlaine et Henri de Régnier vont transfigurer le siècle . Le théâtre de Labiche va nous transcender. Nous verrons qu'une multitude d'autres personnalités vont imprégner toute cette fin de siècle .

A bientôt, bien à vous, Gerboise .

vendredi 7 novembre 2008

Un être humain singulier (*) , extraordinaire (**), particulier (***) :" LE SINGE NU " ,réflexions sur les vérités du grand zoologue Desmond Morris .

*) singulier : ce qui rend unique en son genre, original .
**) extraordinaire : suppose la comparaison et se dit , en bien ou en mal, de ce qui n'est pas selon l'ordre ordinaire et s'en distingue souvent par quelque chose de supérieur, de très grand ou d'expressif .
***) particulier : qui n'est pas commun à d'autres choses, à d'autres êtres vivants de même espèce, séparé, distinct ; qui met à part, sépare des autres, n'est pas banal ; qui est propre à quelqu'un, qui est spécial, au-dessus ou en dehors de l'ordinaire, du commun, de l'habituel, qui distingue un être des autres individus de la même classe .

Voici quelques
Réflexions sur ce que nous sommes, nous les êtres humains, qui avons acquit progressivement par le travail, la ténacité, le courage, l'endurance, une capacité d'observation réfléchie unique au monde qui nous a permis d'être capable de " jauger " les informations provenant de toutes sortes d'environnements , une " sorte d'esprit critique " caractéristique, justement, de notre espèce, il y a plusieurs centaines de millénaires, cette faculté de savoir fabriquer, de savoir parler, de savoir penser, de savoir représenter par un art pariétal son entourage, sa façon de" voir son monde ! ", de savoir créer des signes puis de composer des alphabets, de savoir écrire, de savoir que nous existons, de savoir que l'on va mourir et qu'il est nécessaire d'enterrer les morts, de savoir qu'il existe un passé et un avenir par rapport au présent, de savoir que la Terre n'est pas le Centre du Monde, de savoir que les espèces vivantes sont en perpétuelle " Évolution ", enfin, de savoir que l' Univers est en continuelle " Expansion "et que notre étoile, le Soleil, n'est qu'une d'entre elles parmi des milliard de milliard d'astres situés à des distances incommensurables mesurées en années lumière .

Oui, dans l'étendue de sa domination sur la planète, l'homme perd souvent de vue qu'il se définit essentiellement comme un animal doué de Raison .

Voici, en livre de poche [2752], un petit ouvrage d'une richesse féconde, publié en 1968 aux Éditions Bernard Grasset [édition originale, 1967 : The Naked Ape, est un ouvrage de Desmond MORRIS qui décrit l'espèce humaine à travers un regard d'Ethologiste, c'est-à-dire avec le même regard que celui que l'on porte généralement sur les autres animaux .

Ce"Singe Nu", l'homme authentique, vu par Desmond MORRIS, une réalité dont nous devons tenir compte, prendre en considération, à ouvert de nouvelles portes sur la connaissance humaine, notamment celle de l'éthologie humaine et ainsi amené un nouveau regard sur l'Homme, " cette espèce de Primate sans fourrure " .

Commentaires de l'Editeur :

"Desmond MORRIS est né en Angleterre en 1928 . Diplômé de zoologie, il travaille de 1951 à 1956 à Oxford avec le groupe de Niko Tibergen . De 1956 à 1959, il dirige le service des émissions de télévision rattaché au Zoo de Londres .
Nommé en 1959 directeur du département des mammifères de ce zoo, il y poursuit ses recherches . Depuis 1967, il dirige également l'Institut des arts contemporains .
Après Le Singe nu qui a remporté un succès immédiat et considérable dans de très nombreux pays, Desmond MORRIS a rédigé dans la même veine d'humour scientifique" Le Zoo humain " .( Livre que gerboise vous présentera par la suite .)
A ce spécialiste de zoologie on doit une Biologie de l'art .

Familiarisés comme nous le sommes maintenant avec l'idée que l'homme descend du singe (indirectement : branche parallèle) nous avons coutume de considérer ce parent comme un ancêtre très lointain distancé " depuis belle lurette " (il y a bien longtemps) sur la route de l'évolution des espèces par la variété dite " Homo sapiens " . Le zoologiste Desmond MORRIS bouleverse allègrement cette notion rassurante pour notre vanité (défaut d'une personne vaine, satisfaite d'elle-même et étalant cette satisfaction, orgueil, suffisance) .

Non, déclare-t-il, nous ne sommes pas une espèce nouvelle née du processus de l'évolution, nous sommes toujours des singes .Et il le démontre .

Éliminant les sociétés primitives encore existantes comme étant " des ratés de l'évolution " , il observe le singe nu moderne, arboricole sorti des forêts et devenu carnivore, sous l'angle de la sexualité, de l'éducation, de la combativité et de la recherche du confort [ où il assimile hardiment la quête des poux chez les primates aux menus propos mondains dans un effet scientifico-comique irrésistible] .
Pour élaborer cette thèse originale, il lui a suffi d'étudier le comportement humain dans la même optique que celui des animaux - et en utilisant le même vocabulaire . Le résultat est extraordinaire de précision scientifique, de logique (de réflexion profonde sur les hommes que nous sommes) ...et d'humour ."

Remerciements de l'auteur :

" Ce livre est destiné au grand public ; aussi bien, et pour ne pas rompre le cours de l'exposé, n'a-t-on pas, dans le texte, cité les sources . Mais de nombreux livres et communications d'une brillante originalité ont nourri la composition de ce volume et il serait injuste de le présenter sans remercier les auteurs de leur précieux concours . A la fin du livre, j'ai donc ajouté un appendice groupant, chapitre par chapitre, les sujets traités et les principales autorités que j'ai consultées ..."

Ce livre de poche doit être lu , découvert par tous les lecteurs de Gerboise . Il vous permettra d'apprendre à réfléchir , à partir de sujets qui nous concerne tous, sur la manière de poser les problèmes et de les résoudre, d'acquérir un esprit critique opérationnel et de savoir " jauger " ( apprécier, évaluer, juger ...) les informations qui vous seront proposées dans de nombreux contextes de la vie de tous les jours . Gerboise vous propose ci-dessous de prendre connaissance de l'introduction de l'auteur et des trois dernières pages de son livre en vue de vous convaincre de la nécessité de le lire . Voici :

Introduction

" Il existe cent quatre-vingt treize espèces vivantes de singes et de gorilles . Cent quatre-vingt- douze d'entre elles sont couvertes de poils ; La seule exception est un singe nu qui s'est donné le nom d' Homo sapiens . Cette espèce à part, qui a brillamment réussi, passe une grande partie de son temps à étudier les plus nobles mobiles de son comportement et non moins de temps à en négliger [là elle s'acharne] les facteurs fondamentaux . Le singe nu est fier d'avoir le plus gros cerveau de tous les primates, mais il s'efforce de dissimuler le fait qu'il a aussi le plus gros pénis, préférant attribuer cet honneur au puissant gorille . Mensonge. C'est un singe qui utilise de façon intense ses possibilités vocales, qui a le sens de l'exploration poussé au plus haut point et qui vit dans une société surpeuplée : il est grand temps qu'on examine les bases de son comportement . Je suis zoologue et le singe nu est un animal . Je me sens donc le droit d'écrire sur lui et je refuse de garder plus longtemps le silence sous prétexte que certaines de ses conduites sont assez complexes et impressionnantes . Mon excuse : en devenant érudit (instruit) , l'Homo sapiens n'en est pas moins resté un singe nu ; en acquérant de nouveaux mobiles élevés, il n'a perdu aucun de ceux, beaucoup moins nobles, qu'il a toujours eus . Cela provoque souvent chez lui une certaine gêne mais voilà bien des millions d'années que ses instincts originaux le conduisent, les nouveaux n'ayant tout au plus que quelques milliers d'années, et il ne doit pas espérer se débarrasser avec un haussement d'épaules de l'héritage génétique qu'il a accumulé tout au long de son évolution . Ce serait un animal beaucoup moins inquiet et beaucoup plus accompli si seulement il voulait bien admettre ce fait . Là, peut-être, le zoologue peut lui venir en aide .

Une des caractéristiques les plus étranges des études qui ont choisi pour objet le comportement du singe nu, c'est qu'elles sont presque toujours passées à côté de l'évidence ( comme actuellement, en considérant un seul point de vue, celui qui avantage la seule façon de considérer, d' " envisager les choses ", alors que d'autres possibilités existent , beaucoup de nos contemporains dénaturent les réalités de beaucoup de problèmes qui nous sont esentiels et ainsi, nous induisent en erreur , nous trompent , introduisent dans notre entendement des constructions pernicieuses [ nuisibles, nocives, malsaines] qui se manifesteront dans tous les cas où notre esprit d'analyse devra se manifester sans être dénaturé par des schémas mal fondés!) . Les premiers anthropologues ont couru aux antipodes pour découvrir les vérités fondamentales de notre caractère, alors que ces lointaines cultures sont en voie d'instinction . Ils en sont revenus riches d'observations stupéfiantes sur les bizarres coutumes amoureuses, les étranges systèmes de parenté ou les rites mystérieux de ces tribus et ils ont exploité ces matériaux comme s' ils étaient d'une importance vitale pour éclairer le comportement de l'espèce tout entière . Certes, les travaux de ces chercheurs sont extrêmement intéressants, mais ils ne nous ont rien appris du comportement typique du singe nu moyen . On ne peut y parvenir qu'en examinant le comportement des représentants ordinaires et évolués des grandes cultures, qui forment la majorité . Contrairement à l'opinion des anthropologues ancien style, j'affirme que les groupes tribaux vivant aujourd'hui ne sont pas primitifs ; ils sont abêtis .
Voilà des millénaires qu'il n'existe plus de tribus vraiment primitives . Le singe nu est une espèce essentiellement exploratrice et une société qui n'a pas réussi à progresser a, dans une certaine mesure, " mal tournée " . Les psychiatres et les psychanalystes, eux, ne sont pas allés si loin et se sont concentrés sur des études cliniques des spécimens de la branche principale . Toutefois, une grande partie de leurs études initiales est encore déformée par un regrettable préjugé . Les sujets sur lesquels ils ont fondé leurs communications sont toujours des spécimens anormaux ou déficients à certains égards . Ces savants nous ont donnés des aperçus très importants sur la façon dont nos schémas de comportement peuvent se dérégler . Mais quand on tente d'établir la nature biologique de notre espèce prise dans son ensemble, il est inopportun de se fonder uniquement sur les premières découvertes des anthropologues et des psychiatres .

La méthode que je me propose d'utiliser dans cet ouvrage puise ses matériaux à trois sources principales : les renseignements sur notre passé que nous fournissent les paléontologues et tirés de l'examen des fossiles et autres vestiges de nos lointains ancêtres ; les renseignements accumulés dans les études du comportement animal que les spécialistes de l'éthologie comparée ont entreprises, notamment sur nos plus proches parents vivants, les singes et les gorilles ; et les renseignements que l'on peut recueillir par l'observation directe des schémas de comportement fondamentaux, communément observés chez les spécimens de la branche principale la plus évoluée .

En raison de l'ampleur de la tâche, il sera nécessaire, dans une certaine mesure, de simplifier .

Je me concentrerai surtout sur les aspects de notre vie qui ont manifestement leur contrepartie dans d'autres espèces ; j'entends par là des activités comme l'alimentation, l'hygiène corporelle, le sommeil, le combat, l'accouplement et le soin des petits .

Confronté à ces problèmes fondamentaux, comment le singe nu réagit-il ? Comment comparer ses réactions à celles des autres singes ? Sur quel point particulier est-il unique et quel est le rapport entre ses singularités et le profil très spécial de son évolution ?


En traitant de ces problèmes, je cours le risque de heurter un certain nombre de gens . Certains préféreront ne pas découvrir ni contempler le côté animal de leur personne . Ils estimeront peut-être que j'ai avili (abaissé la valeur de, déprécié) notre espèce en discutant de son cas en termes amicaux mais grossiers ; assurément, telle n'est pas mon intention . D'autres n'apprécieront pas cette intrusion d'un zoologue dans leur spécialité . Mais je suis convaincu que cette façon d'aborder le problème peut être fort utile et que, malgré les lacunes de ma méthode, elle ne manquera pas de jeter une lumière nouvelle [ et à certains égards inattendue] sur la nature complexe de cette extraordinaire espèce ."

Quatre dernières pages du livre

"... A mesure que la demande d'espace vital s'accroîtra il faudra finir par prendre des mesures encore plus radicales et nous serons amenés à synthétiser nos produits alimentaires . A moins de pouvoir coloniser d'autres planètes sur une grande échelle et répartir ainsi la charge, ou bien trouver un moyen de contrôler sérieusement l'accroissement de notre population, il nous faudra, dans un avenir moins éloigné qu'on ne le croit, éliminer de la terre toutes les autres formes de vie . J'ai l'air de faire du mélodrame, mais il n'est que de considérer les chiffres . A la fin du XVIIe siècle, la population mondiale des singes nus n'était que de cinq cents millions . Elle s'est élevée aujourd'hui (en 1967) à trois milliards . Elle s'accroît toutes les vingt-quatre heures de cent cinquante mille individus . [Les autorités d'émigration interplanétaire verraient sans doute dans ce chiffre l'énoncé d'un problème décourageant .]
D'ici à deux cent soixante ans, si le taux d'accroissement reste constant - ce qui est peu probable - il y aura sur terre une masse grouillante de quatre cents milliards de singes nus, ce qui représente un chiffre de quatre mille deux cent soixante-dix personnes au kilomètre carré sur toutes la superficie des terres émergées . Pour présenter les choses autrement, disons que la densité de la population que l'on rencontre aujourd'hui dans nos grandes villes s'étendrait au globe tout entier . La conséquence, pour toutes les formes de vie sauvage est évidente . L'effet que cela pourrait avoir sur notre propre espèce n'est pas moins déprimant . Inutile de nous appesantir sur ce cauchemar : il y a peu de chances qu'il se réalise . Comme je l'ai souligné tout au long de ce livre, nous ne sommes guère plus qu'un simple phénomène biologique, malgré nos énormes progrès techniques . Nos idées grandioses et notre vanité sans limite n'y changent rien :

Nous demeurons d'humbles animaux, soumis à toutes les lois fondamentales du comportement animal .

Bien avant que nos populations n'atteignent les niveaux envisagés plus haut, nous aurons enfreint( outrepassé, transgressé) tant de règles qui gouvernent notre nature biologique que nous nous serons effondrés en tant qu'espèce dominante . Dans notre complaisance, nous avons tendance à nous bercer d'illusions, imaginant que cela ne pourra jamais arriver, qu'il y a chez nous quelque chose de spécial, que nous sommes en quelque sorte au-dessus du contrôle biologique . Il n'en est rien .

De nombreuses espèces remarquables se sont éteintes dans le passé et nous ne faisons pas exception à la règle .
Tôt ou tard nous disparaîtrons, et laisserons la place à d'autres .

Si nous voulons que ce soit dans un avenir plus lointain que proche, il nous faut alors nous considérer sans indulgence comme des spécimens biologiques et accepter nos limites .


Tel est le but de ce livre, où nous sommes délibérément traités de singes nus, pour nous " rabattre le caquet " ( obliger à se taire, forcer à être moins insolent ) . Il est bon de garder un certain sens des proportions et de considérer ce qui se passe juste sous la surface de notre existence . Il est possible que dans mon enthousiasme j'aie quelque peu exagéré .
J'aurais pu nous prodiguer des compliments mérités et vanter de nombreuses réussites magnifiques qui sont à notre honneur . En m'y refusant, j'ai certainement donné un tableau partial ( qui prend parti pour ou contre quelqu'un ou quelque chose, sans souci de justice ni de vérité, avec parti pris) de la situation, car nous sommes une espèce extraordinaire et je n'entends pas le nier . Mais on l'a trop souvent répété .

Quand on lance la pièce en l'air, on dirait qu'elle retombe toujours du côté face ; il m'a semblé utile d'en montrer un peu le côté pile . Malheureusement, notre puissance et notre réussite extraordinaires, en comparaison des autres animaux, nous inclinent à considérer nos humbles origines avec un certain mépris ; je ne m'attends donc pas à des remerciements .

Notre ascension fut un enrichissement rapide et, comme tous les nouveaux riches, nous n'aimons guère qu'on évoque nos modestes débuts, si proches encore .


Il est des optimistes qui estiment que notre haut niveau d'intelligence et notre instinct puissamment inventif devraient nous permettre de retourner n'importe qu'elle situation à notre avantage ; que notre extrême souplesse nous aidera à modifier notre existence selon les nouvelles exigences que nous impose la situation présente et future ; que, le moment venu, nous aurons à faire face au problème de la surpopulation, à la disparition de toute intimité et de toute indépendance d'action ; que nous parviendrons à vivre comme des fourmis géantes et à contrôler nos sentiments d'agressivité, nos instincts territoriaux, et sexuels, ainsi que nos tendances parentales ; que notre esprit pourra dominer tous nos instincts biologiques fondamentaux .

J'affirme que tout cela est une plaisanterie .

Notre nature animale brute ne le permettra jamais . Certes nous sommes adaptables . Certes nous sommes par comportement des opportunistes ( opportunisme : comportement ou politique qui consiste à tirer parti des circonstances, en transigeant, au besoin, avec les principes) , mais il y a des limites à l'opportunisme .


En soulignant dans ce livre nos caractères biologiques, j'ai essayé de montrer la nature même de ces limites . En les reconnaissant clairement et en nous soumettant à elles, nous multiplierons nos chances de survie . Cela ne signifie pas un naïf " retour à la nature " . Cela veut dire simplement qu'il nous faut adapter nos progrès aux exigences de notre comportement fondamental . D'une façon ou d'une autre nous devons nous développer sur le plan qualitatif plutôt que sur le plan quantitatif .

Si nous y parvenons (!) , nous pourrons continuer à progresser de façon spectaculaire dans le domaine de la technique sans renier l'héritage de notre évolution .

Si nous n'y parvenons pas, nos instincts biologiques refoulés ne vont cesser d'augmenter leur pression jusqu'au moment où cédera le barrage . Alors tout le système compliqué de notre existence sera définitivement emporté par le nouveau déluge ( catastrophes à venir) .

A bientôt . Nous commenterons d'une manière exhautive l'ensemble des deux livres d' Desmond MORRIS, celui-ci et le " Zoo humain ", dans un prochain billet .

Bien à vous, Gerboise .