jeudi 25 septembre 2008

Histoire de la langue et de la littérature françaises :10 - Survol dans la période du XVIIIe siècle de la Poésie et duThéâtre [*] .

[*] Suite n°9 du 22 Septembre 2008 .
Jusqu'à André Chénier, la poésie du siècle ne consiste guère qu'en exercice de style . Il y a beaucoup de versificateurs et pas de vrai poètes .

* Les petits genres :

Dans ces conditions, il n'y a guère à louer dans les Odes de Jean-Baptiste Rousseau ni dans l'épopée La Henriade de Voltaire . Par contre, dans les œuvres qui exigent de la grâce ou de l'esprit, les épîtres, les contes, les épigrammes, il y a beaucoup de vers charmants et surtout ceux de Voltaire, de Piron, de Parny, de Lebrun .

** Les descriptifs :

Un genre nouveau se développe en poésie, la description, mais les poètes d'alors analysent au lieu de peindre et restent froids . C'est le cas de Saint-Lambert dans les Saisons, de Roucher dans les Mois et de Delille dans les Jardins .

André Chénier (1762-1794), né à Constantinople et fils d'une Grecque, retrouva spontanément l'inspiration et l'art antiques . Dans ses Eglogues et ses Iambes, grâce à une libre imitation des modèles grecs, il sut exprimer son amour de la nature, ses joies, ses douleurs et ses passions avec tous les élans d'un grand poète et le goût sûr d'un grand artiste .

*** La tragédie :

Après Racine, la tragédie se meurt . Crébillon emprunte à Corneille et à racine des situations et des caractères, complique l'intrigue, ne cherche plus que les effets de théâtre sans aucune observation de la vie . Voltaire, d'un goût plus sûr, cherche à renouveler l'intérêt dramatique par la mise en scène des caractères généraux comme dans Mérope et Zaïre ou de passions autres que l'amour, comme la ferveur dans Mahomet . Il a le sens du théâtre et apporte à la scène d'heureux perfectionnements .
Enfin Ducis essaie des adaptations affadies du théâtre de Shakespeare .

**** Le drame :

Dans la décadence de la tragédie apparaît un nouveau genre de pièces qui exposent les situations pathétiques des gens de condition moyenne . Ce sont d'abord les comédies larmoyantes de La Chaussée, puis les drames de Diderot qui ajoute à la nouveauté des situations la division en tableaux . Ces oeuvres sont faibles, mais elles préparent l'avenir .

***** La comédie :

La comédie reste dans sa tradition avec le Glorieux de Destouches, la Métromanie de Piron, le Méchant de Gresset, le Cercle de Poincinet, oeuvres légères et spirituelles . Deux noms dominent tous les autres, Marivaux et Beaumarchais .

Marivaux (1688-1763) a composé des comédies uniques en leur genre . Le Jeu de l'Amour et du Hasard, les Fausses Confidences sont des pièces presque sans intrigue où tout le charme réside dans la peinture exquise des sentiments, la grâce du langage et la profondeur réelle de l'observation .

Beaumarchais (1732-1799) est pour nous l'auteur du Barbier de Séville et du Mariage de Figaro où il retrouve la gaieté de la farce et y ajoute sa verve et son audace . Figaro bat en brèche l'ancienne société croulante et soulève le public par un mouvement et un esprit qui ne vieillissent pas .

Enfin, dans notre prochain billet, nous aborderons d'abord la prose du XIXe siècle . Son roman romantique, ses progrès dans l'érudition , en histoire, dans la vie publique et dans la philosophie critique .

Bien à vous, Gerboise .

lundi 22 septembre 2008

Histoire de la langue et de la littérature françaises: 9 - Survol de la période du XVIIIe siècle : la prose ( suite n°8 du 12 Septembre 2008 ) .

La littérature du XVIIIe siècle n'étudie plus seulement l'homme moral, mais l'homme social . Rationaliste avec Voltaire, sentimentale et lyrique avec Rousseau, elle prépare la Révolution et le Romantisme .

*) Les Écrivains :

Montesquieu (1689-1755) , magistrat et juriste, débute dans les lettres par une satire de la société, les Lettres Persanes . Puis il donne ses Considérations sur la Grandeur et la Décadence des Romains , où il cherche une explication rationnelle des faits et crée la philosophie de l'histoire . Dans l'Esprit des Lois, il étudie le fondement des lois, les gouvernements et les constitutions et formule des principes qui inspireront les hommes de 1789 .

Buffon (1707-1788) fait entrer l'Histoire Naturelle dans le domaine de la littérature . Méthode rigoureuse, science impartiale, style large et lumineux, tels furent les mérites de cet écrivain qui, dans son Discours sur le Style, enseigne lui-même à bien penser, bien sentir et bien rendre .

Voltaire (1694-1778) est à lui seul le XVIIIe siècle militant . Partout il bataille pour les lettres, la philosophie, la tolérance, la raison et le progrès . Son action est universelle et son influence immense . Il écrit des tragédies, des œuvres historiques : le Siècle de Louis XIV , Charles XII ; un poème épique, la Henriade et des poésies légères ; des œuvres philosophiques : l'Essai sur les moeurs, le Dictionnaire Philosophique, les questions sur l'Encyclopédie ; des contes et des romans dont Candide . Il entretient la correspondance la plus vaste et la plus intéressante qui soit, combat les abus, défend Calas et Sirven contre leurs persécuteurs . Dans tous les genres il fait briller une verve endiablée, un esprit irrésistible, un style clair, incisif et éloquent .

**) L'Encyclopédie :

Une foule de philosophes menèrent le même combat que Voltaire pour la raison et contre l'intolérance religieuse . Leur oeuvre commune fut l' Encyclopédie, vaste dictionnaire des connaissances universelles dont la publication fut dirigée par d'Alembert et surtout par Diderot, publiciste étincelant, riche en idées neuves et d'une prodigieuse activité .

Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) se fait le réformateur des moeurs, de la société et de la littérature de son temps . Successivement dans ses Discours sur les Sciences et les Arts, l'Inégalité, les Spectacles, dans le roman de La Nouvelle Héloïse, dans l'Émile, dans le Contrat Social, dans les Confessions, il prêche le retour à la nature, à la morale, à la religion individuelle, à une organisation sociale fondée sur l'utilité publique . Sur tous les sujets, il est orateur et poète . C'est de lui que date le lyrisme en prose, la description émue, le sentiment du paysage ; il oriente la pensée et le style dans la voie qui mènera au romantisme .

***) Le roman :

Dans ce siècle de la prose, le roman prend une grande extension . Il est tantôt moral, tantôt philosophique ou sentimental . Il faut tirer à part le Gil Blas de Lesage, la Manon Lescaut de l'Abbé Prévost, Candide, Zadig et les autres romans de Voltaire, la Nouvelle Héloïse de Rousseau et le Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre .
Nul tableau réaliste ne dépasse en vigueur les Mémoires de Saint-Simon .

Lettre à Rousseau .

" J'ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain ; je vous en remercie . Vous plairez aux hommes à qui vous dites leurs vérités, mais vous ne les corrigerez pas . On ne peut peindre avec des couleurs plus fortes les horreurs de la société humaine, dont notre ignorance et autre faiblesse se promettent tant de consolations . On n'a jamais employé tant d'esprit à vouloir nous rendre bêtes ; il prend envie de de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage . Cependant comme il y a plus de soixante ans que j'en ai perdu l'habitude, je sens malheureusement qu'il m'est impossible de la reprendre et je laisse cette allure naturelle à ceux qui en sont plus dignes que vous et moi ... Je conviens avec vous que les Belles -Lettres et les Sciences ont causé quelquefois beaucoup de mal ... Si quelqu'un doit se plaindre des lettres, c'est moi, puisque, dans tous les temps et dans tous les lieux, elles ont servi à me persécuter ; mais il faut les aimer malgré l'abus qu'on en a fait, comme il faut aimer la société, dont tant d'hommes méchants corrompent les douceurs ; comme il faut aimer sa patrie, quelques injustices qu'on y essuie ."

Voltaire .

A une autre fois, pour aborder la poésie et le théâtre de ce XVIIIe siècle, avec les comédies de Marivaux et de Beaumarchais .

Bien à vous, Gerboise .

dimanche 21 septembre 2008

Eléments de l'inspiration: "souffle créateur" qui anime tout être qui réfléchit aux arts et à la science; idée, résolution spontanée, soudaine (*).


(*) suite du mercredi 10 Septembre 2008 . Nous poursuivons nos réflexions interrompues ce jour-là .

Les choses usuelles ; les connaissances techniques, la nature et ses merveilles, les animaux et le miracle de leur instinct, les hommes et leur activité illimitée, offrent d'amples réservoirs de connaissances, tous féconds pour l'observation et l'élaboration subconsciente des images .
La plupart de ceux à qui échoit ( échoir : être dévolu, attribué par le sort ou par le hasard) le privilège de manier quelque instrument professionnel, méconnaissent l'appoint que leur fournit ce modèle ami de leur destinée . Faute de réflexion , ils échouent à l'envisager tel qu'il est : un admirable moyen d'éducation générale menant de front la pensée et l'action .
Diverses théories philosophiques émises à presque toutes les époques, ont conclu de l'impossibilité de parler à l'impossibilité radicale de penser . Or nous ne saurions sans muscles proférer un son . La contribution primordiale des serviteurs musculaires à notre vie de relation est ainsi mise en lumière, ils apparaissent comme le pivot de tout ce que nous nous approprions de précieux : notre richesse sentimentale et notre clarté intellective . Adieu le muscle, adieu le mouvement et la sensation qui naît de lui, adieu la substance même de l'émotion et l'aliment subtil de nos cogitations .

La logique rationnelle dont nous sommes si fiers est elle-même fille de la technique, première discipline imposée à l'esprit par la rigueur imbrisable des faits .
Combien erronée la supposition que l'on peut intervertir l'ordre naturel des facteurs pédagogiques et négliger le primat concret des sens pour mieux s'adonner à la culture intensive de l'abstrait choisi en lui-même et pour lui-même .
La profondeur, la génialité des facultés abstraites s'inspirent toujours de la justesse de l'observation . Tant vaut le point de départ, tant vaut le point d'arrivée .

L'esprit ne saurait être envisagé comme une entité indépendante du corps . Tributaire des sens et partant du muscle, la conscience reçoit de ces intermédiaires des données essentielles . Sur la toile de fonds qu'est le jeu musculaire, l'ébat de nos cinq sens vient dessiner de captivantes arabesques . C'est ainsi que le sport, physiologiquement compris et dépouillé de la vanité des records, ou des erreurs d'excès, se révèle un moyen d'éducation des réflexes, un stimulant pour l'auto-culture et l'enrichissement psychologique, voire littéraire .
Monsieur Henry de Montherland leur doit, pour ne citer que celui-là, la meilleure part de son inspiration .

Partout dans l'enseignement officiel, des esprits avisés crient haro (dénoncer à l'indignation de tous) sur les méfaits de l'abstraction à outrance (exagération) . L'absurdité apparaît manifeste d'un savoir verbal et mnémonique (qui à rapport à la mémoire) , scindé (séparé) de l'expérience sensorielle qui en est la source logique . Faute d'avoir pu apprécier l'équivalent olfactif du terme " vireux " (vénéneux) un sujet l'appliquera sa vie durant au rebours de sa signification . La lésion des contresens littéraires n'a pas d'autre origine . Tout intellect privé du point d'appui expérimental, imagine en dehors du réel et par là se fausse irrémédiablement .

Plus d'observation, plus de vérité . C'est donc aux faits qu'il faut revenir, c'est à la réalité qu'il faut puiser . Au XVIIe siècle Bacon le disait déjà et Galilée avant lui, et plus tard tant d'autres encore . L'expérience est la loi, le " Fiat Lux " de tout savoir .

Éduquons nos sens , puisqu'ils nous approvisionnent de richesses intérieures tant émotives que rationnelles . Procédons à une sympathique enquête à travers la nature et le monde animal . Nous nous verrons assiégés tout aussitôt de réflexions innombrables, envahis de suggestions inattendues, pressés, intrigués par de multiples rapports où les disparités et les ressemblances s'accuseront comme deux taches très vives . Notre sens causal s'éveillera, notre intérêt s'aiguisera, et le monde, selon l'aphorisme de Shopenhauer, n'étant en définitive que notre représentation, celle-ci craquera de toutes parts, se dilatera à la mesure illimitée des nouveautés appréhendées . Hors du viel Adam qui sommeille en nous, l'homme nouveau surgira, le surhomme naîtra que l'humanité se doit peut-être de connaître un jour .

L'écueil ( le danger, l'obstacle) de cette méthode serait de conduire par pléthore (excès) de la matière observable, à la dispersion de l'esprit . Mais ce danger se pallie aisément puisqu'il nous est donné de pouvoir limiter l'incontinence naturelle de l'attention, et qu'il est toujours loisible de circonscrire à l'avance, le choix délibéré des sujets d'observation .

Séjournez-vous à la campagne ? Tracez-vous un plan d'études prévoyant pour chaque jour une musardise ( petite promenade en flânant) à travers champs . Destinez-en l'emploi à la perception allègre ( leste, enjouée) et profonde de tout ce qui tombe sous l'un de vos sens, mettons l'ouïe pour la circonstance . Vous comparerez entre eux les sonorités, les crissements, les milles rumeurs et frôlements qui trahissent l'existence des êtres et des choses . Les éléments, le vent, la pluie, le soleil, l'orage ; les animaux, la chouette qui hulule, la grenouille qui coasse ; les voix humaines ; la fraîcheur des timbres enfantins, le ahan (halètement) fourbu du laboureur haletant ; tout se nuancera ( précisera, distinguera) à l'infini pour l'oreille attentive, accumulant des réserves d'impressions prêtes à se muer ( transformer, métamorphoser) tôt ou tard en images littéraires .

Personne ne rit, chante ou pleure avec le même ton dans l'émoi, le même diapason dans la douleur, la même euphorie dans la joie . Il suffit d'observer avec volonté, avec rigueur, avec passion pour moissonner d'inépuisables gerbes où plus tard le souvenir fera son tri, artistement. Dans le plus humble des hameaux, chaque crépuscule, chaque aurore, découvre aux sensibilités tendues, de vierges Amériques inexplorées et tentantes . A nous de stimuler cet appétit sain de la beauté pittoresque ou formelle qui gît enclose au cœur de tout, car il n'est pas de laideur qu'elle ne sache dorer d'un reflet occasionnel . Après avoir ouvert nos oreilles pour mieux entendre, ouvrons aussi nos yeux pour mieux voir .

Ce que l'on aura fait pour l'ouïe, qu'on le fasse pour la vue, l'odorat, le toucher, le goût, etc.
Le choix préalable d'un sens ou d'un ordre de faits n'a rien d'arbitraire . Il introduit l'unité dans la diversité, imprime à la Réalité cahotique le sceau d'une synthèse intelligente, préserve l'attention d'une fatigue papillotante, et provoque dans une direction donnée l'établissement d'une échelle de valeurs .

L'analyse uni-sensorielle canalise en un multiple réseau les sensations de même type qui se coordonnent chacune à notre conscience, y trouvent une place, y reçoivent un nom, s'y colorent d'une harmonie plus vivante, vibrant des résonances qu'elles éveillent au fond de notre âme, s'éclairant d'une qualité intellectuelle que suscitent leurs relations à nos perceptions passées . Une classification basée sur l'exercice d'un sens unique, entraîne les plus heureux résultats, à condition que soit variée, lors de chaque expérience, l'unité de mesure ou plus explicitement, le sens type auquel nous rapportons les observations colligées ( assemblées, réunies) . Aucune dissociation sèchement abstraite n'affirme à ce degré le discernement, ne porte à ce même apogée le goût de l'observation patiente, le besoin de la précision loyale, l'aptitude à la nuance subtile et, partant, l'horreur de l'épithète gauche ou ambiguë, vide ou erronée .

Illustrant d'exemples l'inévitable sécheresse d'un exposé théorique, nous allons produire quelques citations où la théorie soutenue apparaîtra sur le vif . Elles aideront à la démonstration et éclaireront d'évidence la pénombre éventuelle de nos explications .

Voici tout d'abord de Chateaubriand, la description d'une tempête relatée de souvenir, où se retrouve avec le relief évocatoire de l'émotion, l'effervescence écumeuse de la sensation nue .

" J'avais passé deux nuits à me promener sur le tillac au glapissement des ondes dans les ténèbres, au bourdonnement du vent dans les cordages et sous les sauts de la mer qui couvrait et découvrait le pont : c'était tout autour de moi une émeute de vagues . Fatigué des chocs et des heurts à l'entrée de la troisième nuit, je m'allais coucher . Le temps était horrible . Mon hamac craquait et blutait aux coups du flot qui, crevant sur le navire en disloquait la carcasse . Bientôt j'entends courir d'un bout du pont à l'autre et tomber des paquets de cordages : j'éprouve le mouvement que l'on ressent lorsqu'un vaisseau vire de bord . Le couvercle de l'échelle de l'entrepont s'ouvre : une voix effrayée appelle le capitaine ; et cette voix au milieu de la nuit et de la tempête avait quelque chose de formidable . Je prête l'oreille . Il me semble ouïr des marins discuter sur le gisement d'une terre . Je me jette à bas de mon lit : une vague enfonce le château de poupe, inonde la chambre du capitaine, renverse et roule pêle-mêle tables, lits, coffres, meubles et armes ; je gagne le tillac à demi noyé .

~En mettant la tête à l'entrepont je fus frappé d'un spectacle sublime . Le bâtiment avait essayé de virer de bord ; mais n'ayant pu y parvenir, il s'est affalé sous le vent .A la lueur de la lune écornée qui émergeait des nuages pour s'y replonger aussitôt, on découvrait sur les deux bords du navire à travers une brume jaune, des côtes hérissées de rochers . La mer boursouflant ses flots comme des monts, dans le canal où nous nous trouvions engouffrés ; tantôt ils s'épanouissaient en écume et en étincelles ; tantôt ils n'offraient qu'une surface huileuse et vitreuse, marbrée de taches noires, cuivrées, verdâtres, selon la couleur des bas-fonds sur lesquels ils mugissaient . Pendant deux ou trois minutes les vagissements de l'abîme et ceux du vent étaient confondus ; l'instant d'après on distinguait le détaler des courants, le sifflement des récifs, la voix de la lame lointaine . De la concavité du bâtiment sortaient des bruits qui faisaient battre le cœur des plus intrépides matelots . La proue du navire tranchait la masse épaisse des vagues avec un froissement affreux ; et au gouvernail des torrents d'eau s'écoulaient en tourbillonnant, comme à l'échappée d'une écluse . Au milieu de ce fracas rien n'était aussi alarmant qu'un certain murmure sourd pareil à celui d'un vase qui se remplit ...

~Un essai restait à tenter : la sonde ne marquait plus que quatre brasses sur le fond de sable que traversait le chenal ; il était possible que la lame nous fît franchir le banc et nous portât dans une eau profonde : mais qui oserait saisir le gouvernail et se charger du salut commun ?
~Un faux coup de barre, nous étions perdus ...
~Un matelot de New-York s'empare de la place désertée du pilote . Il me semble encore le voir en chemise, en pantalon de toile les pieds nus, les cheveux épars et diluviés,tenant le timon dans ses fortes serres, tandis que la tête tournée il regardait à la poupe l'onde qui devait nous sauver ou nous perdre .
~Voici venir cette lame embrassant la largeur de la passe, roulant haut sur elle-même, ainsi qu'une mer envahissant les flots d'une autre mer ; de grands oiseaux blancs au vol calme la précèdent comme des oiseaux de la mort . Le navire touchait et talonnait . Il se fit un silence profond, tous les visages blêmirent . La houle arrive : au moment où elle nous attaque, le matelot donne le coup de barre . Le vaisseau près de tomber sur le flanc présente l'arrière et la lame qui paraît nous engloutir nous soulève . On jette la sonde, elle rapporte vingt-sept brasses . Un hourrah monte jusqu'au ciel . "

Il sera bon de noter combien dans ce récit les expressions descriptives, loin d'être juxtaposées à la sensation font corps avec elle , apparaissent fondues, chevillées, unifiées aux impressions auditives et visuelles . A noter aussi le changement des temps verbaux, l'emploi du présent à diverses reprises rendant imminente, plus angoissée la notion du péril .

Comparons maintenant le précédent extrait à la facture de Charles Maurras, dans Anthinéa ; nous y reconnaîtrons un même contingent impressif mais l'ambiance va varier, un intellect avide s'en empare pour l'étirer, le laminer, le filigraner de pensée . Ce que nous livre finalement ce cerveau d'élite semble déjà du transformé, une sorte d'équivalent du chyle ( suc formé dans l'intestin grèle) par rapport à l'aliment brut . Mais voici la citation, qu'on en juge . Il s'agit d'une description de la ville de Florence .

" Aussi quand Florence véritable apparut, l'effet de ma surprise ne fut pas médiocre . A l'angle d'une rue obscure qui débouchait sur une place vivement éclairée, j'ai senti comme un coup au cœur la gravité, la force et la majesté florentine . Quel visage sévère, dur, aux traits anguleux et profonds me montra le génial toscan ! D'âpres maison de pierre nue, de hautes façades aveugles, sombres, mortes à tout, brisant ou lassant le regard, hostiles au mouvement de la curiosité, et enfin presque menaçantes : ce sont les palais de Florence . Des points de fer sortent du mur de place en place . Il paraît que jadis on fixait là-dedans des torches . Mais on les dirait tendus contre le passant . Aucune autre saillie . Et des portes épaisses de bois dur ou de fer massif, couvertes de dessins farouches souvent parsemés de gros clous d'un métal qui ne brille pas ."

La sensation primitive se soumet ici au service d'une émotion plus élaborée, se sous-tend à une pensée plus abstraite et cette description que nous regrettons d'écourter dans ce billet, pourrait illustrer tout autre face de la perfection littéraire, , tant apparaît harmonieux le dosage de ses diverses composantes .
La norme intellectuelle revient donc à fabriquer de l'abstrait avec du concret . Inutile d'éluder ou de rechercher des variantes . Il faut se l'adapter ou se résoudre à ne rien produire . On ne commande à la nature qu'en se soumettant à ses lois . Certes il n'est pas assuré que la cargaison adroitement happée par la conscience élabore, un jour, idées ou sentiments, mais le fait apparaît évident que là où il y a production il y a transformation par l'esprit d'une donnée brute ou concrète, la sensation jouant le rôle de boute-feu littéraire .

Si nous recommandons de vivre en symbiose avec l'univers concret, c'est que la sensation vécue s'atteste pour l'esprit une sorte de Jouvence qui constamment le retrempe . La fâcheuse illusion qui consiste à se suralimenter, par voie exclusivement livresque, des sensations d'autrui est un facteur d'appauvrissement mental . Le style est un outil enchanté, serviteur des seules mains qui ont su le forger, il requiert d'être élaboré par chacun avec les matériaux les mieux appropriés à son équation personnelle .

Au rebours de l'abstraction qui souvent dessèche la veine littéraire, anémie l'esprit qu'elle gave, l'ébat dans le concret fortifie et enrichit l'intellection . Multiplions donc les expériences . Nous croyons souvent à une perte de temps, impuissants que nous sommes à suivre le lent cheminement de l'impression au souterrain de l'inconscient, car c'est en lui que s'accumule le "vaste sédiment" des perceptions qu'il nous restitue, à son heure, suivant ses dons, si nous savons favoriser le processus alchimique au fond de ce vivant athanor .

La fonction vitale de l'esprit littéraire consiste à appréhender le contenu concret pour le dissocier et l'informer en combinaisons imaginatives, selon un mécanisme psychique, si l'on peut dire . Un esprit entraîné à une connaissance précise des nuances sensorielles, habitué à soupeser la variété des résistances et des élasticités, accoutumé à évoquer le mot le plus idoine ( qui convient parfaitement) pour signifier le dégradé des lumières, un esprit exercé aux différenciations tactiles, aux particularités auditives, aux dissociations des complexes de saveur ou de senteur ; un tel esprit acquerrait d'emblée une acuité ( caractère intense) et une pénétration bouleversantes .

Mais le sondage laborieux du réel, son investigation patiente, le souci de se constituer un terrain primaire, base du futur envol pour des talents éventuels, tout exige que nous explorions les gisements les plus divers, inhabiles que nous sommes à détecter, dès l'abord, les mines susceptibles de valoir à notre inspiration les plu précieuses pépites . Il s'agit ici, la chose va de soi, de se familiariser avec le monde phénoménal , ce réactif de la sensibilité trop méconnu de la pédagogie contemporaine . Qu'on ne nous impute surtout pas de vouloir orienter les esprits vers de multiples disciplines .
Nous désirons tout simplement insuffler chez nos lecteurs, le désir de s'instruire et surtout de dominer, de comprendre le savoir en acquérant une "disposition d'esprit", une présence d'esprit qui guide et mène à la possession d'un esprit critique de bon aloi .

Tout ce qui précède mérite " réflexions " ! Qu'en pensez-vous ? Bien à vous, Gerboise .







lundi 15 septembre 2008

Comment définir l'activité scientifique . La Science ne s'est pas faite sans à-coups, elle n'a pas progressé d'une manière continue . (*)


(*) Elle a connu des périodes de stagnation, pour reprendre une vive progression à certaines époques, dont la nôtre, et bouleverser matériellement et spirituellement la vie des hommes .

Quelles sont les raisons de ces brusques variations du mouvement scientifique qui se présente, à la réflexion, comme la plus dramatique des aventures humaines ?

Dans une série de billets, nous nous aventurerons à travers les siècles pour parcourir cette épopée; dans l'ensemble de cette progression nous aborderons les grandes voies et les grands carrefours qui ont conduit , avec de nombreuses vicissitudes , l'humanité à la "Connaissance" actuelle .

Nous entendons toujours parler de la Science : de quoi s'agit-il exactement ?

Nous allons la définir comme l'ensemble des connaissances répondant aux exigences plus ou moins rigoureuses de notre esprit, qui voudrait savoir, juger, comprendre et... dominer .
La recherche de ces connaissances correspond à une nécessité de vérité qui est en nous et qui nous entraîne à considérer la Nature comme une série d'énigmes proposées par la Science . Elle en a résolu beaucoup en les classant et en cherchant les liens qui facilitent la solution des énigmes d'une même famille, lorsque l'une de celles-ci a été résolue .
Chaque solution valable pour une famille fait apparaître des énigmes nouvelles proposées au jeu de l'intelligence . 
Nous sommes comme un alpiniste qui, ayant atteint le faîte, éprouve à la fois la joie de sa réussite et l'espoir de vaincre aussi les cimes innombrables que son regard découvre en prenant de l'altitude .

Par la Science, l'homme a inventé les moyens d'accroître son pouvoir et de se soustraire de plus en plus à l'oppression de la Nature . A cette cause évidente des efforts de recherche, qui fut sans doute la première en date, s'ajoute le désir de s'informer et de comprendre : placé devant la diversité cahotique du monde sensible, l'homme y cherche des lignes de structure . Cette aspiration se relie au besoin d'ordre inscrit en lui-même, car sa propre vie, née d'une organisation, reste conditionnée par le maintien de l'ordre qui a présidé à cette organisation .

Il éprouve donc du contentement à réunir peu à peu et à grouper les parcelles de vérité qu'il récolte dans la perception et l'observation interprétées par le raisonnement, en utilisant des instruments (outils) intellectuels et matériels qui, en progressant, ont permis le développement et l'enrichissement de la connaissance .

Maints écrits pourraient être évoqués au sujet du sens attribué au mot " connaissance " que nous venons d'appliquer à l'objectif de la recherche scientifique, et qui correspond à des notions fort différentes selon les écoles philosophiques . Dans le cadre restreint de notre propos,  dans ce billet d' aujourd'hui, retenons seulement qu'il existe des degrés dans cette élévation de la perception à la connaissance,  que Platon, dans la Grèce Antique, avait déjà analysée .

Cette opération de l'esprit permet le cheminement des hommes vers ce qu'ils ont appelé la vérité, autre notion dont les nuances sont infinies . " A chacun sa vérité ! "  A chaque époque, à chaque école, la sienne . Nous savons que la logique actuelle interpose entre le faux et le vrai les nuances du relatif , du probable , de l'éventuel , du possible et de l'indéterminé

Comment ces degrés de la connaissance à la recherche du vrai peuvent-ils être franchis ?
Comment procède l'esprit dans la création et le perfectionnement des moyens de ses démarches vers une Vérité absolue et universelle qu'il n'atteint jamais et qui lui semblent aussi le rapprocher d'une réponse à ces questions suprêmes : qui suis-je ?  que deviendrai-je ? 

L'homme n'a pas cessé de s'inquiéter de sa destinée, de chercher la solution de son problème, dans la connaissance scientifique, dans la Philosophie et dans la Religion .

Nous poursuivrons ces réflexions à partir des faits de l'histoire des techniques,  des activités  scientifiques, économiques et sociales des savants de toutes les époques cruciales des temps qui nous ont précédés dans l'ensemble de notre monde : la Terre .

Bien à vous, Gerboise .

dimanche 14 septembre 2008

La ponctuation, un des " visages " de la langue française , une nécessité qui mérite d'être prise en considération .


 Pourquoi  devons-nous "ponctuer" nos textes ?

Nous avions déjà, dans un ancien billet de notre blog, présenté les conditions d'utilisation de quelques signes de ponctuation . Avant de reprendre cette étude et la terminer, il est nécessaire de préciser avant cette réalisation, pourquoi nous devons les employer à bon escient .

L'emploi des signes de ponctuation répond à un besoin d'ordre et de clarté dans l'expression de la pensée, et aussi aux besoins de la respiration . Il faut ajouter que la ponctuation est précieuse pour le rythme, la cadence de la phrase .

La ponctuation répond d'abord aux besoins de la respiration .

Il ne faut pas, en effet, que nous ayons devant nous, en lisant à haute voix, un texte indéfini qui vous mette hors d'haleine . Il convient de tenir compte de la capacité des poumons, de la portée commune de la respiration . Donc il importe de couper convenablement le discours, de doser les pauses . Et ce dosage délicat permettra au lecteur des inflexions ( ) fines et variées .

La ponctuation répond aussi à un besoin d'ordre et de clarté dans l'expression de la pensée .

En effet, les pauses ne peuvent être faites selon la seule capacité respiratoire, qui ne tiendrait compte ni du sens, ni des nuances du texte . Pour que le texte soit intelligible et clair, il faut séparer logiquement les phrases et les membres de phrases . Et il faut se montrer judicieux dans le choix des signes, pour marquer les sens divers au cours d'une période, le degré de subordination qui convient à chacun d'eux . Bref, il faut distinguer convenablement par des signes les parties principales et subordonnées du discours, et leur degré d'affinité .
Enfin il ne faut pas oublier, surtout en poésie, le balancement, la " musique de la phrase " ... La "ponctuation parlée"  a aussi son importance, surtout pour l'orateur et pour l'acteur, et elle est intimement liée à la mimique de celui qui parle . Il faut se garder de trop ponctuer, ou de ponctuer trop peu ; il faut se tenir dans de justes limites . Et, en définitive, il convient de combiner les besoins d'ordre, de clarté, avec ceux de la respiration, ceux d'une juste cadence et d'une juste mesure .
Ainsi comprise et employée, la ponctuation clarifie, repose, rythme, vivifie ...

En vue d'attirer votre attention sur cet art, voici d'abord , en extrait, le fameux discours de Mirabeau sur la Contribution du quart des revenus . En 1789, comme de nos jours, le Trésor donnait des inquiétudes . Et le discours de Mirabeau est ainsi d'une brûlante actualité .

" ...Le premier  ministre des finance ne vous a-t-il pas offert le tableau le plus effrayant de notre situation actuelle ? Ne vous a-t-il pas dit que tout délai aggravait le péril ? Qu'un jour, une heure, un instant pouvaient le rendre mortel ? Avons-nous un plan à substituer à celui qu'il nous propose ? [ Oui, s'écrie quelqu'un dans l'assemblée .]
Je conjure celui qui a dit oui de considérer que son plan n'est pas connu ; qu'il faut du temps pour le développer, l'examiner, le démontrer ; que, fût-il soumis immédiatement à notre délibération, son auteur a pu se tromper ; que fût-il exempt de toute erreur, on peut croire qu'il s'est trompé ; que, quand tout le monde a tort, tout le monde a raison ; qu'il se pourrait donc que l'auteur de cet autre projet, même en ayant raison, eût tort contre tout le monde, puisque, sans l'assentiment de l'opinion publique, le plus grand talent ne saurait triompher des circonstances .
Et moi aussi, je ne crois pas les moyens de M. Necker les meilleurs possibles ; mais le ciel me préserve, dans une situation si critique, d'opposer mes moyens aux siens . Vainement je les tiendrais pour préférables : on ne rivalise pas en un instant avec une popularité prodigieuse, conquise par des services éclatants, une longue expérience, la réputation du premier financier connu ; et, s'il faut tout dire, des hasards, une destinée telle qu'elle n'échut en partage à aucun mortel .
Il faut donc revenir au plan de M. Necker .
Mais avons- nous le temps de l'examiner, de sonder ses bases, de vérifier ses calculs ? Non, mille fois non !
D'insignifiantes questions, des conjonctures hasardées, des tâtonnements infidèles, voilà tout ce qui, dans un moment, est en notre pouvoir .

Qu'allons-nous donc faire par la délibération ? Manquer le moment décisif . Acharner notre amour-propre à changer quelque chose à un ensemble que nous n'avons pas même conçu, et diminuer, par notre intervention indiscrète,  l'influence d'un ministre dont le crédit financier est et doit être plus grand que le nôtre ? ... Qu'est-ce donc que la banqueroute, si ce n'est le plus cruel, le plus inique, le plus inégal, le plus désastreux des impôts ? ..."

D'autre part, ensuite, voici quelques strophes de la charmante " harmonie " de Milly , de Lamartine :

Pourquoi le prononcer, ce nom de la Patrie ?
Dans son brillant exil mon coeur en a frémi .
Il résonne de loin dans mon âme attendrie, 
Comme les pas connus ou la voix d'un ami .

Montagnes que voilait le brouillard de l'automne
Vallons que tapissait le givre du matin, 
Saules dont l'émondeur effeuillait la couronne,
Vieilles tours que le soir dorait dans le lointain ;
....................................................................
Chaumière où du foyer étincelait la flamme,
Toits que le pèlerin aimait à voir fumer,
Objets inanimés, avez-vous donc une âme
Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?
....................................................................
...Il est dans ces déserts un toit rustique et sombre
Que la montagne seule abrite de son ombre,
Et dont les murs, battus par la pluie ou les vents
Portent leur âge écrit sous la mousse des ans .
Sur le seuil désuni de trois marches de pierre
Le hasard à planté les racines d'un lierre,
Qui, redoublant cent fois ses noeuds entrelacés,
Cache l'affront du temps sous ses bras élancés,
Et, recourbant en arc sa volute rustique,
Fait le seul ornement du champêtre portique
... Rien n'y console l'oeil de sa prison stérile :
Ni les dômes dorés d'une superbe ville,
Ni les toits blanchissants aux clartés du matin .
Seulement, répandus de distance en distance,
De sauvages abris, qu'habite l'indigence,
Le long d'étroits sentiers en désordre semés,
Montrant leur toit de chaume et leurs murs enfumés,
Où le vieillard, assis au seuil de sa demeure, 
Dans son berceau de jonc endort l'enfant qui pleure ...
Enfin un sol sans ombre, et des cieux sans couleur, 
Et des vallons sans onde ! - Et c'est là qu'est mon coeur !

Lamartine .

A bientôt, bien à vous, Gerboise .


vendredi 12 septembre 2008

Histoire de la langue et de la littérature françaises :8 - Survol dans la deuxième période du XVIIe siècle de la poésie et du théâtre (suite n° 7) [*]

[*] du 1er Septembre 2008 .

L'esprit du XVIIe siècle n'est pas favorable à la poésie personnelle . Les grands noms se rencontrent dans les genres didactiques et dramatiques .

* ) Poètes didactiques et dramatiques :

La Fontaine (1621-1695) est avant tout l'auteur des Fables . Son génie comme sa vie a été en marge de son temps . Prenant aux anciens la forme de la fable, et ses sujets un peu partout, il a su être profondément original et créer une poésie à la fois la plus populaire et la plus savante . D'un froid récit moral il a fait d'exquises compositions dramatiques et lyriques, où le sujet n'est que prétexte à portraits, tableaux, scènes, pensées ou impressions personnelles, le tout fondu avec le goût le plus sûr . Il est un grand artiste : il peint finement les animaux et les hommes ; il a, presque seul de ses contemporains, le sentiment de la nature qu'il exprime en notes délicates et émues ; il a une langue riche et savoureuse où s'harmonisent les éléments les plus divers, et de plus une versification aisée et souple, infiniment variée .

Boileau (1636-1711) , doué de plus de raison que d'imagination, s'est fait un grand nom dans la satire et la critique littéraire . Dans ses Satires et ses Épîtres, à l'imitation des latins Horace et Juvénal, il a raillé les travers de la société et surtout la préciosité, le mauvais goût et les mauvais auteurs . Il a fixé les règles du goût et l'idéal littéraire de son temps dans son Art poétique , où il enseigne la composition, la perfection de l'art et la distinction des genres . Il a lui-même donné l'exemple de la langue ferme, de vers pleins et achevés .

Molière (1622-1673) , directeur de troupe en même temps qu'acteur, commence par la farce pour finir par la plus haute comédie . Il fait jaillir le comique de situations et de caractères pris dans la réalité . Dans une longue suite de pièces où se détachent les Précieuses Ridicules, l'École des maris, l'École des femmes, le Tartufe, Don Juan, le Misanthrope, l'Avare, le Bourgeois gentilhomme, les Femmes savantes et le Malade imaginaire nous voyons défiler tous les milieux et toutes les conditions . Cette comédie fait penser en même temps que rire, elle bataille aussi : Molière lutte contre tous les pédantismes, avec une verve intarissable et un merveilleux don de la scène .
Après lui il faut nommer Dancourt, Lesage et surtout Regnard, l'auteur plein de fantaisie et de gaîté du Joueur et du Légataire universel .

Racine (1639-1699) succède à Corneille dans la faveur d'une époque qui aima voir les hommes tels qu'ils sont . Avec lui la tragédie, d'héroïque qu'elle était, devient douloureusement passionnée et humaine . Andromaque (1667), Britannicus, Bérénice, Bajazet, Mithridate, Iphigénie et Phèdre (1677) mettent en scène des crises de passion vraie où l'action dramatique résulte du seul développement des caractères et où la profondeur de l'analyse morale suscite, sous la noblesse des personnages et du langage, un intérêt toujours actuel . Après Phèdre, Racine se retira du théâtre et ne composa plus qu'Esther et Athalie pour les élèves de Mme de Maintenon, à Saint Cyr . Ses vers comptent parmi les plus beaux de notre langue .

L'heureuse médiocrité :

Ni l'or ni la grandeur ne nous rendent heureux ;
Ces deux divinités n'accordent à nos vœux
Que des biens peu certains, qu'un plaisir peu tranquille ;
Des soucis dévorants c'est l'éternel asile,
Véritables vautours que le fils de Japet
Représente, enchaîné sur son triste sommet .
L'humble toit est exempt d'un tribut si funeste :
Le sage y vit en paix, et méprise le reste ;
Content de ces douceurs, errant parmi les bois,
Il regarde à ses pieds les favoris des rois ;
Il lit au front de ceux qu'un vain luxe environne
Que la fortune vend ce qu'on croît qu'elle donne .
Approche-t-il du but, quitte-t-il ce séjour,
Rien ne trouble sa fin : c'est le soir d'un beau jour .

La Fontaine .

Passage lyrique où La Fontaine exprime ses sentiments sur le bonheur . On peut y noter la finesse de la pensée, l'art de fondre le langage moderne et la mythologie antique, la grâce et l'harmonie des vers .


Dans un prochain billet, nous aborderons le XVIIIe siècle avec sa prose, ses grands auteurs : Montesquieu, Buffon, Voltaire et surtout ceux de l'Encyclopédie dirigée par d'Alembert et surtout par Diderot . C'est dans ce siècle que le roman va prendre une grande extension . Jean-Jacques Rousseau va orienter la pensée et le style vers ce romantisme.

Bien à vous, Gerboise .

jeudi 11 septembre 2008

Le style des lettres de la correspondance de Madame de Sévigné à sa fille , madame deGrignan.




Madame de Sévigné (1626-1696) .



Plusieurs circonstances sont nécessaires pour qu'une correspondance soit conservée et publiée : il faut que l'auteur ait occupé une place assez importante dans la société de son temps, et que ses lettres puissent servir en quelque sorte à compléter l'histoire et les mémoires ; - il faut aussi que l'auteur y ait mêlé des sentiments si vifs et si profonds qu'à l'intérêt du document historique se joigne la valeur du document humain . Tel est précisément le cas des lettres de Madame de Sévigné, non destinées à " entrer dans la littérature ", mais qui, goûtées déjà des contemporains, furent conservées par sa famille, et publiées au XVIIIe siècle .



Madame de Sévigné, Marie de Rabutin-Chantal naquit à Paris, le 5 Février 1626 . Orpheline de bonne heure, elle fut élevée par son oncle . En 1644, elle épousa le marquis Henri de Sévigné, parent du cardinal de Retz . Après la mort de son époux, elle se retira pendant trois ans à la campagne, aux Rochers, près de Vitré en Bretagne . Ensuite elle revint à Paris, où elle fréquenta l'Hôtel de Rambouillet et s'occupa de l'éducation de ses enfants . - Puis elle présenta sa fille à la cour, et la maria en 1669 au comte de Grignan, lieutenant général en Provence . Sa fille, Madame de Grignan dut, en 1671, rejoindre son mari . Cette séparation fut douloureuse ; Madame de Sévigné idolâtrait sa fille . Et nous devons à cette circonstance et à ce sentiment un peu outré, la plus grande et la plus vivante partie des lettres de la marquise . Cette dernière, qui recevait souvent à Paris sa fille et ses petits enfants, allait aussi les visiter à Grignan . Elle se trouvait dans ce château, quand elle mourut, en avril 1696 .



Bien qu'il y ait , dans le style de Mme de Sévigné, quelques traces d'une préciosité tantôt involontaire, tantôt cherchée, l'impression dominante de ce style, c'est le naturel . En effet, Mme de Sévigné n'est pas un écrivain de profession, et ce n'est pas un livre qu'elle écrit . Elle a beaucoup lu, sans doute, et elle a subi des influences, en particulier celles de Montaigne et de Voiture ; mais surtout elle causait à merveille, et la plume à la main, elle cause encore . Aussi apporte-t-elle, à rédiger ses lettres, la même aisance piquante et imprévue que dans la conversation : son style est primesautier . Elle ajoute, à cette vivacité d'expression, un don de voir et de peindre qui lui est propre, à sa date, et qui la rapproche de La Bruyère .

Voici la présentation de Madame de Sévigné . Ses lettres à sa fille, Madame de Saint Aignan, sont des exemples d'observations d'une qualité exceptionnelle , en particulier de la vie mondaine parisienne de son époque . Nous présenterons et analyserons certaines d'entre elles en vue de vous faire profiter des diverses spécificités de son style .

Bien à vous, Gerboise .

mercredi 10 septembre 2008

Eléments de l'inspiration : "souffle créateur"qui anime tout être qui réfléchit aux arts et à la science; idée, résolution spontanée,soudaine.



Les impressions
:( première partie) c'est à dire les effets qu'une cause produit sur une personne, ici , les sensations éprouvées . 

Il est nécessaire d'admettre que toutes modification , toute amélioration introduite à dessein dans le ~complexe~ d'un Être humain , modifiera, améliorera, par voie de conséquence, la teneur et la valeur même du comportement en ce qui concerne la façon de s'exprimer dans son écriture et parfois oralement . Cet aspect remarquable de l'expression par le langage écrit, ou " style " : rapport privilégié et personnel des tournures liant les manières de dire et le contenu , cette manière particulière de traiter la matière et les formes dans la réalisation de toute œuvre d'art , cette manière personnelle d'agir, de se comporter , est la caractéristique la plus profonde qui va le caractériser toute sa vie . Ce signe distinctif de la personne pourra évoluer dans le temps , bien sûr, mais "comme une marque de fabrique" ces caractères imprégneront , pénétreront et influenceront cet "Être" de la même manière que son éducation l'a imprégné de certaines croyances, de préjugés, donc d'idées reçues, toutes faites , très difficiles à métamorphoser et même à évacuer .
Lorsque l'on considère avec soin ces deux facteurs, modification et amélioration , une difficulté surgit car ils n'apparaissent pas toujours solidaires en pratique . Des hommes de valeur médiocre, mais ayant reçu en partage le don charmant d'écrire, ne donnent-ils pas le fréquent spectacle d'une insignifiance habile à s'épancher en phrases mélodieuses ?

A l'encontre de ceux qui savent, mais se taisent, faute d'aptitude à s'exprimer, une foule de "petits grands hommes"( !) vont vaticinant (prédisant, prophétisant, déraisonnant) sur toutes choses, tranchant par-ci, rognant par-là, concluant avec aplomb ( assurance) sur les sujets les plus étrangers, les plus notoirement inaccessibles à leur compétence .
Toute objection visant l'opportunité d'une pédagogie stylistique se résout d'elle-même, puisque dès le début, nous avons tenu pour indispensable un minimum d'innéités ( dispositions naturelles) . Là où manque le muscle , l'exercice devient impraticable ; là où fait défaut l'embryon d'une faculté, aucun entraînement ne saurait s'effectuer . Il y faut au moins le germe ( la semence, le point de départ) , la vague étoffe d'une tendance et pour chétive ( dérisoire) que soit celle-ci, sa culture en deviendra légitime, plus que cela encore nécessaire .
Quelle qu'en soit la forme, toute réalisation d'écriture s'appuie sur une idée à orner, sur un fait à décrire, sur une substruction ( base, fondement, structure initiale) à édifier . Or c'est le plus souvent cette substance mère (originelle, nourricière) qui fait défaut ."On se tirerait fort bien d'écrire" , disent certains, si l'on savait au juste quoi dire .
Cette déficience ( défaillance) , cette carence (absence) de l'idée inspiratrice, par quels moyens la combler ?

Toute idéologie, de la plus banale à la plus élevée, repose sur un substrat (ce qui sert de support stable à une existence, à une action) d'observation , de réflexion et d'imagination , celle-ci se résorbant ( résorber : disparaître progressivement, se fondre dans ...) finalement en celle-là . L'imagination revient, en dernière analyse, à dissocier, à fragmenter les données de l'observation . Issue de cette dernière, la puissance créatrice vise à élaborer du nouveau avec de l'accoutumé (habitude), à brocher (relier, exécuter à la hâte) des variantes neuves sur un réel usagé, à tisser une trame où des éléments connus empruntent une originalité au regroupement artificiel des facteurs .
Tout remontant à une source commune : l'observation , c'est elle à n'en pas douter qu'il faut édifier (construire), affiner (perfectionner) , enrichir d'apports multiples puisés à toutes les sources de la connaissance .

Celles-ci sont de trois sortes bien distinctes : d'abord celles ressortissant du mode concret (positif, visible) , puis celles qui agissent en mode émotionnel (affectif)  , et enfin celles qui sont dispensées par le savoir abstrait (théorique, conceptuel).
Au mode concret correspond l'observation exclusivement sensorielle . Au mode émotionnel l'esthétique et ses ramifications : poésie, etc ... Au savoir abstrait, la culture générale et les lectures en particulier .
Il s'agit donc, pour chacun de nous, d'œuvrer en vue de notre expansion individuelle et d'exploiter, par un appel constant aux disciplines afférentes ( qui se rapporte à) , le tribut ( contribution forcée, ce qu'on est obligé de supporter ou d'accorder) d'avantages qu'elles engendrent .
Avant d'aborder de front le stage de cette autoculture, une disposition d'esprit s'impose qui seule en rendra fructueux les efforts . Nous voulons parler de cette intelligence sympathique qui allège la tension de l'esprit, déclanche le processus de l'attention et fixe durablement dans la mémoire les impressions de toute nature . Si la sympathie compréhensive apparaît tel un vaste portique ouvrant l'accès aux notions requises pour l'élaboration de notre structure mentale, la mémoire, sur laquelle nous reviendrons par la suite, s'avère l'indispensable charpente de toute construction viable .
Seule, elle sait capter, préserver et utiliser à toutes fins utiles le butin (les captures) de nos acquisitions aux trois étages du savoir . La sympathie compréhensive mène droit à l'enrichissement intérieur . Les choses de notre milieu, et bien plus encore celles des milieux voisins par lesquels nous devons tenter une rénovation  de nos modes coutumiers, de sentir apparaissent comme autant de réactifs intellectuels et moraux, puissants à nous dépayser, à nous emporter au delà de cette personnalité terre à terre , encroûtée, que nous adoptons à l'accoutumée . Par un louable effort de libération, apprenons à décristalliser ce moi indigent (démuni) , utilitaire et borné ( étroit, à la vue courte, obtus) , tissé de veuleries ( lâcheté, faiblesse) ou de médiocrités ( bassesses, insuffisances) , et qui, faute d'assimilations neuves, d'alluvions originales ( métaphore : matériaux différents , riches, récemment acquis) , va ressassant ( rabâcher, retourner dans sa tête) les mêmes sentiments, les mêmes lieux communs ( banalités) , les mêmes incompréhensions de toujours .
C'est ce moi stagnant, étroit, insuffisant qu'il nous faut dépasser en plongeant de toute notre avidité de connaître dans le vaste univers que nos parcimonieuses oeillères ( ne pas voir certaines choses par étroitesse d'esprit ou par parti pris) ont rétréci à la mesure du moindre effort .

Nul ne saurait écrire sans un fonds personnel de réflexion, sans un prisme de sensations sélectionnées, bagage indispensable à toute personne ayant décidé d'écrire .

Pour nous les constituer sachons faire diversion à l'habitude congénitale ( héréditaire) d'observer mollement ou de sentir au ralenti . Semblables à l'avion qui prend son essor, tâchons de décoller hors des sentiers de pâture, hors des ornières communes, délions ( du verbe délier, se libérer) de nous l'indifférente apathie ( inertie, indolence, passivité) , le lâche désintéressement des réalités ambiantes, et nous pétrissant des coeurs d'Argonautes faisant voile pour la découverte d'inconnues Toisons d'Or . 

L'aventure vous tente-t-elle ? laissez alors que nous en venions au monde concret .

Ces réflexions se poursuivront dans la deuxième partie consacrée à ce théme dans quelques jours . Bien à vous, Gerboise .

lundi 8 septembre 2008

La Bretagne et les gens de mer : un exemple de courage et de ténacité sans lesquels rien , dans l'adversité (*) , ne peut se construire .

(*)adversité : sort, puissance qui est supposée fixer le cours des choses , ici, autrement qu'on l'avait envisagé

Oceano Nox ~ Nuit sur l'Océan ~

Oh ! combien de marins, combien de capitaines,
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne* horizon se sont évanouis ! ( -*-, qui est d'une tristesse ennuyeuse, maussade, uniforme)
Combien ont disparu, dure et triste fortune,
Dans une mer sans fond**, par une nuit sans lune, ~5~ (-**-, insondable)
Sous l'aveugle Océan à jamais enfoui !

Combien de patrons morts avec leurs équipages !
L'ouragan de leur vie a pris toutes les pages,
Et d'un souffle il a tout dispersé sur les flots .
Nul ne saura leur fin dans l'abîme* plongée . ~10~ (-*-, gouffre, grandeur insondable)
Chaque vague, en passant, d'un butin** s'est chargée : (-**-, de débris divers emportés au hasard)
L'une a saisi l'esquif ***, l'autre les matelots . (-***-, l'embarcation légère)

Nul ne sait votre sort* , pauvres têtes perdues ! (-*-, ce qui échoit à quelqu'un du fait du hasard)
Vous roulez à travers les sombres étendues,
Heurtant de vos fronts morts des écueils inconnus . ~15~
Oh ! que de vieux parents, qui n'avaient plus qu'un rêve,
Sont morts en attendant tous les jours, sur la grève** . (-**-, rivage)
Ceux qui ne sont pas revenus !

On s'entretient de vous parfois dans les veillées :
Maint joyeux cercle, assis sur des ancres rouillées, ~20~
Mêle encor quelque temps vos noms, d'ombre couverts,
Aux rires, aux refrains, aux récits d'aventures,
Aux baisers qu'on dérobe à vos belles futures,
Tandis que vous dormez dans les goémons verts .

On demande : " Où sont-ils ? Sont-ils rois dans quelque île ? ~25~
Nous ont-ils délaissés pour un bord plus fertile ? "
Puis votre souvenir même est enseveli .
Le corps se perd dans l'eau, le nom dans la mémoire .
Le temps, qui sur toute ombre en verse une plus noire,
Sur le sombre Océan jette le sombre oubli . ~30~

Bientôt des yeux de tous votre ombre est disparue .
L'un n'a-t-il pas sa barque et l'autre sa charrue ?
Seules, durant ces nuits où l'orage est vainqueur,
Vos veuves aux fronts blancs, lasses de vous attendre,
Parlent encor de vous en remuant la cendre ~35~
De leur foyer et de leur cœur .

Et quand la tombe enfin a fermé leur paupière,
Rien ne sait plus vos noms, pas même une humble pierre,
Dans l'étroit cimetière où l'écho nous répond,
Pas même un saule vert qui s'effeuille à l'automne, ~40~
Pas même la chanson naïve et monotone,
Que chante un mendiant à l'angle d'un vieux pont .

Où sont-ils, les marins sombrés* dans les nuits noires ? (-*-, s'enfoncer dans l'eau, cesser de flotter)
O flots que vous savez de lugubres** histoires, (-**-, d'une profonde tristesse, funèbres)
Flots profonds, redoutés des mères à genoux ! ~45~
Vous vous les racontez en montant les marées,
Et c'est ce qui vous fait ces voix désespérées
Que vous avez le soir quand vous venez vers nous .

Victor Hugo, ( Les Rayons et les Ombres, 1840) ; Oceano Nox . Poésie lyrique .

EXEMPLE D'EXPLICATION , COMMENTAIRES :

I -Extrait, morceau choisi :

Sa nature : une poésie lyrique (Se dit de la poésie qui exprime des sentiments intimes au moyen de rythmes et d'images propres à communiquer au lecteur l'émotion du poète) . Victor Hugo, poète romantique, nous donne les impressions personnelles que lui suggèrent (faire naître dans l'esprit) soit un paysage, soit un monument, soit un fait contemporain . Il se laisse aller aux rêveries de son imagination ; mais de cette imagination il reste toujours le maître, et il n'abandonne jamais, surtout à cette époque, les qualités essentiellement françaises de clarté, de logique, de précision , qui permettent de le rapprocher de nos grands classiques .
Victor Hugo a beaucoup aimé la mer ; dès sa jeunesse, il l'a chantée (célébrée) en homme qui la connaît par lui-même . Oceano Nox a été écrit à Saint-Valéry-sur-Somme, pendant un séjour que le poète y fit avec sa famille .
Plus tard, exilé, Hugo vécut à Jersey et à Guernesey ; la mer, qu'il a constamment sous les yeux, devient de plus en plus son inspiratrice (être la cause et le sujet d'une création artistique ou/et intellectuelle ; faire naître un sentiment, une idée, un comportement) [ voir la seconde partie des Contemplations, la Légende des siècles , le roman intitulé les travailleurs de la mer , etc...]
Le titre Oceano Nox doit se traduire par : Nuit sur l'Océan .

II -Organisation du texte , les idées secondaires :

Le point de départ de cet extrait est une impression éprouvée par le poète, un soir, au bord de l'Océan . Devant le morne horizon , il pense à tous ceux qui ne sont pas revenus . Jusqu'au vers 10 , ce sont des exclamations sur le même thème , que renouvellement "richement" (avec magnificence) les images du style .
A partir du vers 10, et jusqu'au vers 26, Victor Hugo développe cette idée : " On se demande, pendant un certain temps, ce que vous êtes devenus ... On vous attend encore ... Pourtant, déjà, vous n'êtes plus qu'un souvenir ... "
Du vers 27 au vers 42 , le poète analyse les progrès analyse les progrès de l'oubli, jusqu'au moment, où le nom même des disparus se sera effacé . 4° Dans la dernière strophe (ensemble cohérent formé par plusieurs vers) [43 à 48], il revient au thème initial, comme s'il sortait de sa rêverie . Ainsi la composition de ce morceau lyrique n'a rien de diffus ni d'incohérent . Hugo enchaîne avec art les impressions successives que provoque en lui la voix désespérée des flots ; son rêve n'est pas un cauchemar . Que les élèves y fassent bien attention : Il y a toujours un plan, très méthodique, dans une pièce de Victor Hugo ; non seulement les parties s'enchaînent et se suivent logiquement, mais encore elles s'équilibrent . Si Victor Hugo se plaît à supprimer les transitions (manière de passer de l'expression d'une idée à une autre en les reliant) , à varier brusquement l'allure du style, c'est pour soutenir ou éveiller l'attention, c'est pour surprendre, pour étonner ; mais il ne sacrifie jamais la solidité de la structure aux déliquescences ( pertes de cohésion) de la poésie, et par là, nous le répétons, il reste un véritable classique . Il n'est vraiment romantique que par le style .

III - Le style, l'écriture :
( aspect remarquable de l'expression par le langage écrit, de l'énoncé ; ensemble des caractères d'une œuvre ; manière d'agir,de se comporter dans sa rédaction ) .

Pour se rendre compte de la richesse de ce style, on réduit une strophe de Victor Hugo à son thème essentiel, en prose ; puis on examine les procédés de développement et les figures de pensée et de mots, par lesquelles le poète transforme, colore, illumine ce thème . Nous allons appliquer cette méthode au principaux passages de Oceano Nox .

Victor Hugo veut d'abord exprimer ceci : " Combien de marins sont partis, qui ne sont pas revenus ! " Le tour est exclamatif : Oh ! combien ... parce que le poète est sous l'empire d'une vive émotion . - Antithèse entre : partis joyeux... morne horizon ... évanouis ; ce dernier mot complète et achève l'impression . - Mais le poète insiste ; il faut que nous ayons une vision directe : ... ils ont disparu dans une mer sans fond, par une nuit sans lune , et sous l'aveugle Océan ! Ainsi, au sentiment de pitié que nous inspire leur mort, s'ajoute l'horreur des circonstances où ils ont péri . - Puis, l'ouragan est personnifié : c'est une sorte de démon qui a pris toutes les pages de leur vie [le livre de la vie] , et qui les a dispersées, d'un souffle . Cette allégorie est peu originale ; il est probable que le mot équipage a suggéré au poète la rime pages ; puis ce dernier mot l'a conduit à la métaphore assez banale du livre de la vie ... ; on trouve des images de ce genre chez les poètes du dix-huitième siècle ; ce n'est pas là du bon Victor Hugo . [ Avoir bien soin, en disant le vers 8, de mettre la césure ( repos à l'intérieur d'un vers après une syllabe accentuée) après l'ouragan, afin de sentir que de leur vie est le complément déterminatif de pages .] - Les vers 11 et 12 sont plus heureux ; chaque vague se charge d'une partie des dépouilles : l'une a saisi l'esquif ... Le mot saisir donne une sorte de férocité hâtive au geste de la vague .
Mais nous allons trouver, à partir du vers 14, des traits descriptifs et des images d'une beauté plus originale. Pour traduire ce fait,assez banal que les corps des naufragés, enfouis dans l'eau, sont ballotés par les courants [ c'est ainsi que parlerait un prosateur ], le poète dit : Vous roulez à travers les sombres étendues ... Et ces mots, si simples cependant, nous donnent une impression de ténébreuse horreur ; Victor Hugo nous force à regarder ce paysage sous-marin, dans lequel nous vous apercevons, pauvres têtes perdues ... Heurtant de vos fronts morts des écueils inconnus [ vers 15] . Ce dernier vers est de la plus saisissante précision . - Les vers 16 à 18 nous ramènent au rivage, sur la grève, où les vieux parents attendent ... Et comme nous venons de voir, dans la profondeur des eaux, les corps de ceux qui ne doivent plus revenir, quelle pitié n'éprouvons-nous pas pour le vain espoir des vieux parents !
Victor Hugo veut maintenant développer cette idée : - " On parle encore quelquefois de vous ... ", du vers 19 au vers 26 . Là, il crée une vive antithèse entre les manifestations de la vie, et l'éternel sommeil des disparus . Remarquez combien sont évocateurs de tableaux lumineux et gais les mots : veillées, ... joyeux cercle, ... rires, ... refrains, .. récits d'aventures, ... baisers, ... belles futures ... Et à ce chatoiement de couleurs et de bruits, qui occupe cinq vers, s'oppose le dernier de la strophe : Tandis que vous dormez dans les goémons verts !

Pour expliquer la promptitude avec laquelle on oublie les morts, Victor Hugo pense : " Chacun n'a-t-il pas en effet son métier ... ? " Mais il exprime cette réflexion sous une forme concrète, et qui fait tableau : L'un n'a -t-il pas sa barque et l'autre sa charrue ? [vers 32] . -Dans cette même strophe, il nous fait voir un "intérieur", avec la veuve au front blanc ... Et nous avons ici un exemple typique d'une comparaison abrégée, dont les deux termes sont rapprochés . Un prosateur dirait : " Et de même que l'on remue encore, pour y trouver une étincelle, la cendre presque éteinte du foyer, ainsi la veuve cherche au fond de son cœur le souvenir lointain du mari perdu ... " Le poète : ... Vos veuves aux fronts blancs ... Parlent encor de vous en remuant la cendre De leur foyer et de leur cœur .

Enfin, il s'agit de dire : " Vous n'avez même pas une tombe au cimetière, et votre nom n'est même pas prononcé dans une vieille complainte ... " Pour le poète, autant de tableaux : une humble pierre, dans l'étroit cimetière [ étroit, parce que c'est un village de marins, et que la plupart des marins périssent en mer] ; ... un saule vert qui s'effeuille à l'automne [ complément du décor précédent ] ; - La chanson ... que chante un mendiant ... ; ici, nouveau décor : ... à l'angle d'un vieux pont . On voit, dans cette strophe, comme dans la quatrième, à quel point l'imagination du poète est active et créatrice ; il songe à une chanson, et aussitôt se présentent à ses regards et le mendiant qui la chante, et l'angle du vieux pont où se tient le mendiant .

La strophe finale est, nous l'avons dit, un retour au thème initial . Le poète sort de la rêverie où l'a plongé la vue du morne horizon ; il passe de la vision à la réflexion ; il se demande encore une fois : Où sont-ils ? ... Puis il s'adresse aux flots, et à ces flots il suppose une vie mystérieuse ; il retrouve dans leurs voix désespérées l'écho des lugubres histoires que lui a suggérées son imagination .

Voici un autre exemple d'analyse d'un texte d'une grande richesse, qui à tous les points de vue, nous l'espérons , vous inspirera dans vos futures créations . Bien à vous, Gerboise .

mardi 2 septembre 2008

Premières clartés du matin : Les provinces de France - La Bretagne . ( suite n° 1 du 16 Août 2008 ) .



Cette gravure est extraite d'un merveilleux petit livre de Doré Ogrizek que nous vous conseillons d'acquérir : Les provinces de France, publié en Novembre 1953 par les Éditions Odé . L'ouvrage est préfacé par Georges Duhamel, de l'Académie Française . L'illustration ci-dessus [ qui peut-être agrandie par un clic gauche ] est de Mathurin Méheut.

Les textes de différents auteurs, présentent chaque Province Française d'une façon admirable, et sont agrémentés par des croquis régionaux agréables et de bon aloi (de bon goût, qui mérite d'être dans un tel ouvrage, connu ) .

" Silencieux men-hirs, fantômes de la lande,
Avec crainte et respect dans l'ombre je vous vois !..
Immobiles rêveurs, sur vos landes arides
Vous avez vu passer tous les hommes d' Arvor ;
Dans leur robes de lin les austères druides,
Les brenn étincelants avec leurs collines d'or ;
Puis les rois et les ducs sous leurs cottes de mailles,
Les ermites cachés à l'ombre des taillis,
Tous les saints de Léon, les saints de Cornouailles,
Et du pays de Vannes et des autres pays ..."

Brizeux

En attendant de vous faire visiter quelques sites de Bretagne où Gerboise musarde en ces temps-ci, bien à vous .