vendredi 27 mars 2009

Représenter par le langage: rendre sensible un objet absent, un concept abstrait, une idée,une réalité extérieure , au moyen d'une image, d'un signe .

" Herr Schulze avait été frappé pendant qu'il écrivait . Le Roi de l'Acier était devant sa table, tenant sa plume de géant, grande comme une lance, et il semblait écrire encore ! N'eût été le regard atone ( inexpressif, fixe) de ses pupilles dilatées, on l'aurait cru vivant . Ce cadavre était là depuis un mois ."

Dessin de Léon Bernett pour l'illustration des Cinq Cents millions de la Bégum ,univers fabuleux de Jules Verne ; gravure correspondante parue dans l'édition Hetzel, 1879 .

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Lorsque nous ne sommes pas en mesure (car irréalisable, impensable, utopique) d'exprimer directement un phénomène psychologique, un sentiment ou une idée abstraite, nous sommes amené à employer ,à utiliser un symbole, une image, dont l'exactitude repose (à pour base, dépend) non sur la ressemblance réelle du signe et de la chose signifiée, mais sur les associations d'idées qui interviennent et servent de lien entre les termes .
Tel est le procédé constamment usité (habituel, utilisé, en usage) dans le langage courant .
Nous prêtons (attribuons, accordons) aux idées :

Un poids : nous disons ,en effet, des idées graves, légères, précises, bien pesées .
Une couleur : nous énonçons souvent des idées claires,lumineuses, pâles, sombres, brillantes, troubles,floues, noires [ voir tout en rose, être dans le bleu, etc.] .
Une dimension : nous exprimons parfois des idées larges, étroites, profondes, générales, globales .
Une localisation dans l'espace : nous définissons des idées élevées, sublimes, terre à terre ( " au ras des pâquerettes " ! ) , centrales , superficielles .
Une qualité de résistance : nous qualifions des idées fortes, solides, inconsistantes ; un cœur dur, tendre .
Des propriétés géométriques : Nous présentons dans certaines circonstances un esprit pointu, carré, un homme rond en affaires, un " cercle " ou une " sphère d'idées " , un esprit à facettes .
Une saveur : nous parlons de pensées amères, douces, fades, de bon ou de mauvais goût .
Une température : nous précisons un cœur chaud, froid, glacé .
Une cohérence : nous qualifions de lucide, pertinente, rationnelle, réaliste .
Une controverse : nous la dénommons subversive, provocatrice .
Une ambition : nous la présentons comme audacieuse, exigeante, hardie .
Une mode : que nous affirmons être nouvelle, originale .

Tels sont les intermédiaires que l'instinct nous fait trouver pour exprimer un phénomène de la vie morale .
Nous pourrions tirer le meilleur parti de tout ce qui précède pour expliquer notre inexplicable sensibilité musicale .

Prenons en exemple divers chemins qui nous conduirons vers certains aspects des Arts et des Sciences .

Dans le langage artistique de la poésie,de la musique, se multiplient et se développent ces images . La responsabilité habituelle du poète, du musicien, n'est pas d'inventer des sentiments, mais de traduire avec des formes plus imagées des états affectifs communs .
Victor Hugo ne connaît pas la vie de l'âme mieux que Racine ; nous pouvons dire cependant qu'il est plus grand poète que Racine, parce qu'il a plus d'images . Les images ne sont pas tout, il s'en faut ! dans la poésie ; mais elles ont une importance capitale . Prenez le texte d'une pièce de théâtre en vers ou une page de grande éloquence ; dépouillez-là de ses métaphores : il ne restera qu'un squelette !

Dans l'activité musicale, l'expression se fait avec des sensations sonores et non avec des concepts, mais le procédé n'est-il pas souvent le même ? ces sensations sonores [sortes d'images réalisées] n'ont de valeur " imitatives " que par les associations d'idées qu'elles éveillent .

Est-ce possible de nous représenter Chopin improvisant au piano, sous le coup d'une grande émotion, un nocturne ou une ballade ? : il domine sa sensibilité ; le problème qui se pose à lui [problème qu'il résout sans effort, et d'instinct parce qu'il a du génie] c'est de créer avec les sons, une forme plastique ( malléable, souple) capable de représenter ce qui, par nature, répugne ( rebute, déplaît) à toute forme plastique . Il supprime ainsi, l'antinomie ( contradiction, incompatibilité) du monde moral et du monde sensible ; il projette l'âme dans un système de formes ; il fait une sorte de miracle qui nous étonne - mais par des procédés dont on peut dire à la fois qu'ils n' " imitent " rien[directement] et qu'ils peuvent tout " imiter " [indirectement] . Considérée au point de vue de l'expression, la musique serait une suite de métaphores constituées avec des sensations et non des concepts .
Tantôt le compositeur traduit en métaphores ( images, comparaisons) musicales des sentiments ou des objets connus de lui et de l'auditeur; tantôt il traduit des sentiments connus de lui seul et dont il ne juge pas à propos de nous donner l'indication précise ; tantôt enfin il traduit des sentiments dont ni lui ni l'auditeur n'ont la claire notion, parce qu'ils sont à peine conscients .

Nous n'en avons pas fini avec ces types de représentations figurées mais réalistes, dont nous poursuivrons l'analyse dans de prochaines pages .

Bien à vous, Gerboise .

mercredi 25 mars 2009

Alain, ou la liberté de transmettre, d'une certaine façon, à ceux qui apprécient un certain type de " rapport " aux Savoirs et à la Réflexion . [ * ]

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[*] N'est-ce pas dans le fond, un des objectifs " non encore exprimé " dans ce blog par Gerboise : faire connaître, mettre en pleine lumière, rendre public, ses interrogations, ses points de vue, ses préoccupations, compte tenu des contextes du moment [à chaque instant, sur-le-champ, en fonction de ses lectures et multiples observations et considérations (considérer : accorder de l'importance) sur le monde qui nous entoure et nous étreint] , dans ses pages presque quotidiennes ? En somme :


Chercher à convaincre et persuader , faire entrevoir aux autres de suite, sans attendre que le temps atténue, efface, lisse en quelque sorte, les " choses " et les fasse disparaître inexorablement des préoccupations dominantes du moment !

N'est-ce pas ce besoin insatiable (qui ne peut être rassasié,apaisé, satisfait pleinement ) de vouloir " livrer aux autres " [et qui a été une des préoccupations essentielle, dominante et nécessaire à mon équilibre naturel ,durant toute mon existence] qui m'a fait construire ce blog ? Sûrement !

Je viens de découvrir, il y a peu : à peine quelques jours, que ma façon de vouloir transmettre mes idées [ pages journalières décousues , sans plan bien établi au fil des jours ] avait des similarités de forme et de réaction à l'air du temps, analogues à celles des Propos d'Alain .

L'homme, Émile Chartier dit Alain ; les critiques des " Propos " [une parmi d'autres] : pourquoi avoir écrit sous cette forme littéraire et non des livres ?

C'est un des reproches de certains contradicteurs de cet auteur . Ce dernier, nous le verrons plus loin, a réagit à cet état de choses, à cette situation .

Les pages quotidiennes de Gerboise : dans son Blog " Savoirs et Réflexions " , ici-même, n'ont-elles pas une structure similaire ? Ne sont-elles pas des propos qui semblent anarchiques, sans plan, qui arrivent chaque matin à l'aube, [viennent comme un cheveu dans la soupe] ? Ne développent-elles pas un " sujet " qui semble pris au hasard alors qu'il apporte, lui également, sous-jascente, une idée maîtresse présente dans de nombreuses pages : apprendre à développer son propre " esprit critique " , à savoir jauger les informations qui nous parviennent de toute part, certaines ayant la prétention d'être émises en vue de vulgarisation de concepts de toute nature ? Ces pages, n'ont-elles pas un lien de parenté, dans leur type, leur mode de présentation , analogue à celles livrées dans les réflexions, les commentaires d'Alain, dans ses propos publiés chaque matin dans la Gazette de Rouen ?

Le site " Blogger " de Google,sur lequel nous sommes, et dans lequel nos pages sont dispersées [!] dans le monde entier, ne joue-t-il pas le même rôle que le quotidien de la ville de Rouen qui accueillait les Propos d'Alain ?


Surtout n'allez pas croire, à la lecture de ce qui précède, que Gerboise à l'outrecuidance ( prétention, audace, impudence , vanité ) de comparer ses propres pages publiées, présentées dans ce blog , à celles des admirables Propos de cet immense philosophe, connu et admiré dans le monde entier qu'était Alain .

Elles sont d'un autre ordre, elles obéissent à d'autres motivations, à d'autres prétentions, à d'autres objectifs, d'autres fins .


Nos pages sont de nature totalement, foncièrement différentes de celles publiées dans les Propos d'Alain ; à tous les points de vue : qualité du langage, de l'expression des idées, du contenu des thèmes , du but, des desseins, des effets moralisateurs . Mais , comme cet auteur, Gerboise construit ses pages en fonction de l'air du temps, de son désir intense de provoquer chez tous ses lecteurs une sorte de naissance ou de perfection dans la construction de leur " esprit critique " , de ses propres réflexions, de ses idées et impressions du moment, de cette volonté de leur apporter cette capacité d'être capable de " jauger " les informations, les connaissances; surtout apprendre à estimer toutes sortes de textes de vulgarisation, des lectures contemporaines et des livres anciens dignes d'être connus ; des événements survenant à chaque instant de notre vie trépidante, nous parvenant " tout nus " sans explications cohérentes .

Pour vous faire part de mes états d'âme, de ce que j'ai perçu dans l'œuvre d'Alain, je désire vous faire prendre connaissance de la préface de Francis Caplan réalisée dans ce livre :

Propos sur les pouvoirs, publié dans la collection Folio Essais aux Éditions Gallimard, réédition de 1985 .
Dans cette préface Francis Caplan cite des passages importants [ qui pourront expliciter (faire comprendre) notre sujet] présents de l'œuvre de l'auteur dont vous pourrez prendre connaissance plus loin .

Mais auparavant voici une présentation de l' Avant-Propos réalisé par l'éditeur de Émile Chartier :

" Émile Chartier, dit Alain, né le 3 Mars 1868, mort le 2 Juin 1951, écrivain et philosophe, professeur et journaliste, résolument démocrate et pacifiste .
Une œuvre, d'ample envergure et de grand style, singulièrement présente au lecteur, fait d'Alain, trente ans après sa mort, l'une des plus vigoureuses figures de l'humanisme occidental .
Son audience a débordé la sphère (milieu d'influence) francophone, bien qu'il se rencontre peu d'écrivains qui se soient à ce point enracinés dans un sol et une tradition aussi spécifiquement français .

Émile Chartier, Percheron (région du Perche) avoué et revendiqué comme tel par sa ville natale de Mortagne, qui lui consacre un musée, est républicain de naissance . Par formation et métier, c'est un technicien de la philosophie, c'est-à-dire un homme qui, de Platon à Hegel, continue une tradition vivante . De là s'élève, dans la khâgne (ou cagne , classe des lycées qui prépare à l'École normale supérieure de Paris [lettres]) du lycée Henri-IV à Paris la notoriété d'un professeur admiré par ses élèves, craint par ses pairs . Un esprit dont l'ascendant (influence, la fascination, l'attrait) tient à une indépendance qui ne transige (ne fait pas de concessions) pas, se signale par des jugements impitoyables (sévères, sans indulgence) . Parallèlement, et cette fois par une force de nature prodigue et prompte dans ses engagements, Alain, suscité par l'événement [ affaire Dreyfus, séparation de l'Église et de l'État, etc.] , devient journaliste .

Ainsi impose-t-il sa présence dans la vie politique française de 1906 [ apparition du Propos quotidien dans La Dépêche de Rouen ] à 1938 [ Suite à Mars, lucide et ultime témoignage sur la montée de la Seconde Guerre mondiale ] , présence dérangeante qui joint la résistance à l'obéissance, pousse à son terme la désacralisation de l'État, maintient au coeur de la démocratie l'essentielle contradiction des pouvoirs et du citoyen . " Des passions politiques assez vives, écrit-il de lui-même, au service d'opinion en somme modérées le conduisirent à soutenir par la plume et aussi pendant plus de vingt ans par la parole la politique de gauche . Au cours de ces luttes mémorables, il connut Jaurès (homme politique, philosophe et historien français, 1859-1914) ,Francis de Pressensé (Homme politique, Séparation de l'Église et de l'Etat,1856-1914) , Ferdinand Buisson (Éducateur et homme politique français, 1841-1932) , Sérailles, Paul Painlevé (Mathématicien et homme politique français, 1863-1933 ) , toujours en accord avec eux, quoique indiscipliné par nature " . Voilà ce que recouvre le radicalisme (radical, qui vise à agir sur la cause profonde de ce que l'on veut modifier ; partisan de réformes radicales . Parti de réformes modérées, laïque et démocrate) d'Alain : ce n'est pas la doctrine d'un parti politique, c'est la critique radicale du pouvoir comme politique ."

PRÉFACE DE FRANCIS CAPLAN

" Alain est assurément tout le contraire du philosophe de métier présentant sa doctrine dans des traités obscurs, démontrant le sérieux de son entreprise par un langage systématiquement technique, par une accumulation de références et de citations qui le tiennent - et peut-être même visent à le tenir - à l'écart du grand public . Il écrit, au contraire, avec beaucoup de désinvolture, de courts Propos d'une ou deux pages, sur des sujets les plus variés, au hasard de l'inspiration, de l'humeur ou de l'actualité, dans des journaux qui s'adressent à rien moins qu'à des spécialistes . Aussi ceux-ci se sont-ils bien vengés, lui refusant le titre de philosophe, le rabaissant au rang d'essayiste ou de littérateur qui se bornerait à mettre en forme de simples lieux communs [Alain parle lui-même de " la réputation, écrit-il, que j'eus désormais { d'après les Propos} d'improviser et de m'amuser . Je n'ai rien fait pour vaincre ce préjugé " . { Histoire de mes pensées, p. 106} . Pour rester dans le domaine auquel est consacré cet ouvrage, Raymond Aron rappelait qu'Alain lui avait dit :

" Ne prenez pas mes idées politiques trop au sérieux . Il y a seulement des gens que je n'aime pas ; j'ai passé ma vie à le leur dire { L' homme contre les tyrans, p. 106 } " .

Tout Alain est dans cette boutade . A nous de ne pas nous laisser prendre au piège qu'elle nous tend { " Si ce livre, écrit Alain préfaçant les Quatre-vingt-un chapitres sur l'Esprit et les passions , tombait sous le jugement de quelques philosophes de métier, cette seule pensée gâterait le plaisir que j'ai trouvé à l'écrire, plaisir qui fut vif " .

Non seulement cela serait injuste, mais nous passerions à côté d'immenses richesses .

Nous ne jouerons pas au petit jeu stérile de savoir qui le premier a dit quoi . Toute pensée a toujours des antécédents et il est trop facile de la récuser au profit de ceux-ci
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Nous sommes persuadés qu'Alain a apporté quelque chose de nouveau, même s'il s'inscrit dans une évidente tradition . Jamais la nécessité de contrôler les pouvoirs et le mécanisme de ce contrôle, le danger de partis trop rigides n'ont été exposés avec autant de force et de précision, n'ont été fondés avec autant de rigueur .

On peut ne pas admettre ses conclusions . On ne peut pas ne pas au moins les discuter, et sa doctrine est un passage obligé de toute théorie politique .

On a vite dit, il y a une quinzaine d'années [1970] qu'elle est dépassée . Si on entend par là qu'elle est dépassée au sens où peut être dépassée une théorie scientifique, au sens où la théorie de Newton est dépassée par celle d'Einstein, ce serait oublier que la philosophie politique n'est pas une science, même s'il lui arrive d'en prendre le titre, parce qu'elle n'aboutit pas à un corps de propositions admises à un moment donné à peu près universellement par tous ceux qui pratiquent cette discipline . Sans doute, la doctrine d'Alain a été dépassée mais au sens où une mode est dépassée par une autre mode . Ce dépassement est significatif pour le sociologue ou l'historien des mentalités . Il ne l'est pas pour celui qui ne cherche pas à penser ce que les autres pensent mais simplement à penser, c'est-à-dire à penser par lui-même et sous sa propre responsabilité . Ce dépassement n'est réfutation que dans un régime de pensée inauthentique . D'ailleurs, après la faillite retentissante des doctrines qui ont succédé à celle d'Alain dans l'intelligentsia française - du léninisme, sinon du marxisme - , il est clair que ce dépassement est lui-même dépassé .

Encore faut-il avoir accès à la doctrine d'Alain . Encore faut-il surmonter le préalable que constitue son éclatement en propos sans ordre et indépendants les uns des autres .

S'adressera-t-on à un historien qui réécrira dans son propre style cette doctrine à partir des idées développées dans les Propos certes, mais aussi nécessairement avec d'autres mots ?

" Je hais, affirmait Alain, qu'on dise à peu près en mauvais langage ce qu'un auteur a si bien dit [Propos sur l'éducation, LXVII] " .

Mauvais langage ou non, l'historien, en tout cas, édulcorera (affaiblira, atténuera) très probablement et surtout gauchira (déformera, faussera) la pensée qu'il expose :

il n'est - heureusement pour lui - jamais sans idées propres - et comment celles-ci ne coloreront-elles pas, d'une manière ou d'une autre, l'exposé ?

Rien ne remplace le contact avec le texte même .

C'est non seulement la littéralité du texte qui importe, mais la forme des propos . Elle n'est pas sans inconvénient apparent par rapport au but poursuivi . Les Propos en effet " n'ont nullement pour emploi de remplacer quelques chapitre " d'un livre : " Qu'il s'échappe ou même s'égare, c'est sa nature de propos quotidien qui naturellement touche à son sujet concentriquement, sans limite d'ampleur ni d'ambition . C'est la forme même du propos qui rompt l'unité de développement . Chaque propos se retourne sur soi et se termine à soi [ Propos sur la religion, avant-propos] " .

Or cette forme est essentielle .

Alain écrit dans un propos significatif que je crois nécessaire de citer en entier :

" Un ami inconnu m'a écrit : ~ Ces Propos sur la paix et la guerre ne sont que des feuilles volantes ; faites donc un livre ~ . Il y a quelque temps un critique plus sévère me donnait le même conseil sur un autre ton : ~~Quoi, disait-il, toujours des improvisations et des mouvements d'humeur ?

Vous laissez trop au lecteur à coordonner ; et du reste il ne le fait point ; il lit, il oublie .

On ne sème pas un grain de blé, on ensemence un champ . J'admets qu'il y ait une doctrine radicale ; mais encore faut-il la formule afin que d'autres la comparent à ses voisines et la jugent .

Je ne lirai plus vos petits billets ; mais faites un livre ; je le lirai ~~ . "

" Naturellement je sais ce que c'est qu'un livre ; je crois même que je saurai en faire un . Dans la préface, je montrerais l'anarchie des opinions, l'incohérence des doctrines ( ensembles de notions qu'on affirme être vraies et par lesquelles on prétend fournir une interprétation des faits, orienter ou diriger l'action) ; ce qui ferait voir mon livre arrivant à son heure . Après cela je résumerais les prédécesseurs et les contemporains ; cela ferait bien une dizaine de chapitres .

Et puis je développerais mes propres opinions, mais en les ordonnant comme une armée, chaque question à sa place, avec des transitions qui auraient des airs de preuves ; en évitant les répétitions et surtout les apparentes contradictions, qui font la joie des critiques . Après quoi je conclurais, je relirais le tout, et j'aurais envie de le refaire .

Car il faut être bien sec, il me semble, pour relire un livre qu'on vient d'écrire sans en découvrir un autre, bien plus clair, bien plus fort, qui annule le premier
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Mais je passerais outre ; je supporterais même les discours d'un éditeur . En récompense je serais feuilleté par deux ou trois critiques, et aussitôt oublié . On ne lit pas un livre ; on le consulte pour en faire un autre .

On lit des articles, comme on lit des affiches ; si on ne lit pas l'un, on lit l'autre ; on pêche une formule ; on y pense un petit moment . Ce qui est abstrait ou traînant, on le laisse . Un lecteur a des passions vives, et des caprices ; des éclairs, et tout d'un coup une paresse décidée . Mais je suis un chasseur d'alouettes ; je fais tourner mon miroir ; recharge mon fusil ; j'ai ma revanche . Je reviens, je corrige, j'explique . Je répète . L'attention est comme l'oiseau ; il faut perdre bien des flèches pour l'atteindre une fois . Aussi, lire c'est relire ; mais il faut être déjà bien habile dans le métier de liseur pour feuilleter pendant des années .

Donc chaque matin
je vous ouvre mon livre à la page qui me plaît ; et je mets le doigt tantôt ici tantôt là .

Soyez distrait ou ennuyé, je m'en moque ; je vous rattraperai demain . Pareillement si je suis ennuyeux ; on ne l'est pas tous les jours . Mais, surtout, par ce travail de retouche perpétuelle, mon livre a le même âge que moi; au lieu que si je l'achevais, il vieillirait tout seul, et à la manière des livres ; enfant noué, enfant ridé . Et cela me fait faire attention à deux sens du mot vieillir . Car vieillir, c'est bien changer ; mais on dit aussi, d'une chose qui n'a point du tout changé : " Cela a bien vieilli ." [ 10 Août 1913].

N'est-ce pas, " en plus pâle[!] ce que Gerboise réalise ; n'est-ce pas son but ?

Et certes, il est exact que les Propos étaient de véritables dialogues dans lesquels le public intervenait soit directement en écrivant à l'auteur - comme le montre André Maurois, par exemple, a eu l'occasion de le faire - soit indirectement par l'actualité politique ou sociale . Seulement cette justification des Propos n'a de sens qu'en tant que ceux-ci sont publiés chaque jour dans un quotidien, non en tant que recueillis dans un livre . De plus, Alain est mort, il ne peut plus répondre aux objections, aux hésitations, aux incompréhensions . Ce dialogue est définitivement rompu .

Il y a une justification plus profonde . La forme des Propos est liée à la méthode de pensée d'Alain, au refus du système déductif, au refus de la Raison, dans le sans kantien ( de Kant, philosophe allemand) du terme, c'est-à-dire dans le sens où la Raison est opposée à l'Entendement .

Les Propos sont, comme le remarque Michel Alexandre, ( philosophe qui a réalisé un ouvrage sur Alain) ,

des " analyses conduites en tous sens, et constamment reprises et renouvelées, mais toujours à propos et au travers de situations réelles, lesquelles exigent de l'esprit, pour être justement saisies, non pas le recours à quelque idéologie, mais à une réflexion effective, une présence entière et en acte .

Cet éveil si rare de l'entendement, pour qu'un Propos en devienne, selon sa raison d'être, l'occasion et le moyen, encore faut-il que le lecteur le tienne vraiment pour un entier, jusqu'à s'y consacrer comme à un entretien ou une expérience réellement vécue [Politique, introduction] "
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Alain disait effectivement dans un texte remarquable - et célèbre :

" Les hommes qui veulent sincèrement penser ressemblent souvent au ver à soie, qui accroche son fil à toutes les choses autour de lui, et ne s'aperçoit pas que cette toile brillante deviendra bientôt solide, et sèche, et opaque, qu'elle voile les choses, et que, bientôt elle les cache ; que cette sécrétion ( élaboration) pleine de riche lumière fait pourtant la nuit et la prison autour de lui ; qu'il tisse en fils d'or son propre tombeau, et qu'il n'a plus qu'à dormir, chrysalide inerte, amusement et parure pour d'autres, inutile à lui-même . Ainsi les hommes qui pensent s'endorment souvent dans leurs systèmes nécropoles ; ainsi dorment-ils, séparés du monde et des hommes ; ainsi dorment-ils pendant que d'autres déroulent leur fil d'or, pour s'en parer . Ils ont un système, comme on a des pièges pour saisir et emprisonner . Toute pensée ainsi est mise en cage, et on peut la venir voir, spectacle admirable, spectacle instructif pour les enfants, tout est mis en ordre dans des cages préparées, le système a tout réglé d'avance .
Seulement le vrai se moque de cela .

Le vrai est, d'une chose particulière à tel moment, l'universel de nul moment
.

A le chercher, on perd tout système, on devient homme, on se garde de soi, on se tient libre, puissant, toujours prêt à saisir quelque chose comme elle est, à traiter chaque question comme si elle était seule, comme si elle était la première, comme si le monde était né d'hier
[ Les Marchands de sommeil] " .

Faut-il en conclure - comme on l'a pensé trop souvent - et en particulier Michel Alexandre - que cette méthode de pensée interdit un ordre autre que chronologique, c'est-à-dire autre qu'une absence d'ordre ? Ce serait oublier qu'Alain a lu et admiré des philosophes à système, Hegel dont il a cherché " à reconstruire autant qu'[il] le pouvai [t] [le] puissant système [idées] " , Descartes, Spinoza, Comte . Ce serait oublier qu'il a écrit lui-même des livres systématiques, les Éléments de philosophie, les Entretiens au bord de la mer, Les Dieux, les Préliminaires à la mythologie, le Système des beaux-arts ... Ce serait oublier qu'à coté de l'attitude, il y a aussi la doctrine, cette doctrine " d'où dit explicitement Alain, les Propos tireront un peu de lumière [ Portrait de famille, p. 144, cf. p. 176 . Ce n'est pas par hasard que Michel Alexandre, emporté par l'élan, va jusqu'à dire que la politique d'entendement qu'il a définie comme on a vu plus haut ~ est ici { dans les Propos } entreprise hors de toute doctrine ~ ."

Si doctrine il y a, il convient de la mettre en évidence .
Non certes, par un ordre " préconçu [ Michel Alexandre] " , artificiel ; s'il venait d'Alain, il signifierait que celui-ci pense par système déductif et de la part de tout autre ce serait inadmissible parce que indiscret ; ce serait, dans tous les cas, impossible, la forme des propos s'y opposant absolument .

Mais un autre ordre est possible . Laissons " agir " les propos eux-mêmes . On les verra se répondre, se répéter, se prolonger, dialoguer à travers les semaines, les mots, les années . On sait que si on dissocie les cellules d'un œuf au début de son développement, celles-ci se rassemblent au bout de quelque temps, reprennent spontanément leurs rapports primitifs et reconstituent l'œuf décomposé .

C'est à une reconstitution analogue que nous assistons si nous sommes suffisamment attentifs aux liens spontanés que les propos tissent entre eux .

On aboutit alors à un classement, mais naturel et, en quelque sorte, organique . On en vérifiera l'authenticité par l'impossibilité d'en établir, d'une manière satisfaisante, un autre différent .

Certes nous n'avons pas affaire à un puzzle où toutes les pièces s'emboîtent parfaitement les uns dans les autres . Et le lecteur doit être prévenu que le passage d'un propos à un autre n'est pas toujours évident qu'il peut supposer une idée intermédiaire sous-entendue et qu'il lui faudra expliciter, que tel propos traite de plusieurs sujets et que si sa place à tel endroit semble s'imposer pour telle raison que manifeste le contexte, il a à être évoqué à tel autre endroit pour tel autre aspect .

C'est ce jeu - comme on dit qu'un mécanisme a du jeu - qui permet le mieux à la fois de comprendre la doctrine d'Alain et de s'exercer à sa méthode de pensée .

Francis Kaplan .

Au cours du cheminement de notre pensée, nous poursuivrons nos réflexions; et lors des commentaires de certains Propos d'Alain , nous vous apporterons nos propres analyses dans des contextes diversifiés .

A bientôt, bien à vous, Gerboise .

samedi 21 mars 2009

Commentaires 11, marchés financiers,où va-t-on? Des graphiques à observer! Commentez, explicitez ce que ces images évidentes peuvent nous révéler (*).

[Vous pouvez agrandir les quatre graphiques en réalisant un clic gauche sur chacun d'entre-eux ; et revenir ensuite sur l'image précédente pour poursuivre votre lecture]

Graphique 1
: Vue générale des cours du CAC 40 depuis 1994, il y a plus 15 années !

(*) Au lieu de vous proposer, comme dans les commentaires précédents, ce que " Gerboise " pense des éléments visibles sur les quatre graphiques classés en fonction des détails observables : une vue globale[sur 15 ans] , puis une vue partielle[sur 11 ans], ensuite une autre vue plus limitée dans le temps [9 derniers mois], et enfin une dernière qui nous permet d'observer l'évolution des trois derniers mois , nous vous demandons d'analyser vous-même les informations présentes, caractérisées par les " habillages "en couleurs réalisés par nous-même pour vous aider .

Indications sur les pointes acérées,couloirs haussiers et/ou baissiers, lignes de résistances, lignes de supports, [obliques ou horizontales] , gaps, indexations des diverses vagues d'Elliot, et surtout la pince la plus basse de 1995 formant une structure en " W ", fortement haussière, qui a conduit à la super-vague haussière [en jaune] de la bulle dite " informatique " .

Ne pourrions-nous pas envisager une " évolution symétrique " dans le futur à la fin du quatrième jambage (trait vertical ou légèrement oblique de certaines lettres de l'alphabet) du " M " constitué par les deux super-bulles ?

Graphique 1 bis : vue partielle sur 11 années , permettant d'observer les pointes acérées haussières et baissières .

Graphique 2 : Vue plus limitée dans le temps de l'évolution des cours du CAC 40 dans les 9 derniers mois permettant d'observer la super pointe acérée haussière et son triangle baissier tout en haut à gauche, ainsi que les trois dernières pointes acérées baissières et les deux " Gaps " .
Graphique 3 : Vue nous permettant de nous rendre compte des toutes dernières évolutions des valeurs du CAC 40 pour les trois derniers mois, jusqu'au vendredi soir 20 mars 2009, en clôture.


Au cours de cette semaine, Gerboise vous proposera un commentaire détaillé des quatre graphiques ci-dessus, en vue de vous aider à comprendre la psychologie des investisseurs sur les marchés boursiers, en particulier sur ceux qui interviennent sur les valeurs de l'indice du CAC 40 .

Bien à vous, et à très bientôt . Gerboise .

lundi 16 mars 2009

Que sont ces flammes qui semblent " sortir " , ici , des bûches au coeur de l'âtre !


Le feu (qui jette des flammes !) trahit l'existence d'une combustion, c'est-à-dire de réactions chimiques génératrices de chaleur et, parfois de lumière visible (que notre système visuel peut percevoir) . Sa manifestation spectaculaire, la flamme (la production lumineuse et mobile de gaz et/ou de vapeurs portés à l'incandescence, en combustion ) , est le lieu où se produisent ces réactions . Les flammes d'une allumette, d'une bougie, ici sur la photographie ci-dessus, du bois dans la cheminée, sollicitent l'œil par des mouvements incessants , intermittents et sporadiques (de temps à autre) . Observons la surface mouvante, évanescente (qui s'amoindrit et disparaît graduellement pour repartir de plus belle, fugitive) , fugace (qui dure très peu et peut réapparaître ensuite, en jetant par intervalles des flammèches et/ou des reflets éclatants de lumière) et le comportement de cette flamme . Sa surface lumineuse sépare l'espace en deux régions : d'un côté arrive le mélange gazeux (provenant dans le cas du bois qui " brûle ", de l'émission de matière gazeuse résultant des" transformations "de ce bois à très haute température) , de l'autre s'échappent les gaz brûlés .

Que se passe-t-il au sommet d'une bougie ? La flamme matérialise ici une frontière entre les deux réservoirs d'ingrédients nécessaires à la réaction : D'un côté la mèche humectée de combustible (la stéarine fondue de la bougie, obtenue par saponification, production de savon et de glycérine, par action de la soude sur les corps gras ; réaction chimique par laquelle les corps gras sont dédoublés en glycérine et acide gras) des graisses naturelles, de l'autre l'air environnant comprenant de l'oxygène comme constituant . Notons que le passage à l'état gazeux est nécessaire pour que ces produits contenus dans la mèche puissent interagir avec l'air [ un solide ou un liquide ne brûle pas, seules les vapeurs qui le surmontent sont susceptibles de s'enflammer] .
L'acheminement des deux ingrédients gazeux vers la zone de réaction, puis l'évacuation des produits issus de cette réaction, s'effectue par un mécanisme dit de diffusion (le fait de se répandre, de se propager [de la chaleur, de la lumière, des molécules gazeuses ou en solution dans un liquide]) moléculaire .D'où l'appellation, dans la terminologie scientifique, de flammes de diffusion pour caractériser ces diverses flammes :celle de la bougie, celles du feux de bois, etc.

Nous poursuivrons ce sujet en répondant à la question : depuis quand les êtres humains maîtrisent-ils le feu ?

Bien à vous, Gerboise .

samedi 14 mars 2009

Rôle de la curiosité,du jeu,de l'imagination et de l'intuition dans la recherche scientifique par Louis de BROGLIE,membre de l'Institut, prix Nobel .

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" Les théories sont comme des souris : elles passent par neuf trous ; le dixième les arrête "
Voltaire

Article de Louis de BROGLIE, 1892-1987, dans lequel l'auteur nous rappelle (en 1960) l'importance prépondérante des éléments affectifs qu'il serait vain d'espérer séparer complètement des composantes rationnelles de la Recherche Scientifique . Voici ce texte magnifique dont tout " jeune esprit " devrait s'inspirer . Gerboise vous le livre en vue d'enrichir votre pensée .

Louis de BROGLIE s'adresse à nous :

" L'enfant est curieux .

Tout dans le monde qui l' entoure l'émerveille et l'étonne (le surprend). Il voudrait comprendre et, dès qu'il est en état de s'exprimer, il pose des questions .

Cet ardent désir de comprendre, cet appétit de connaissances, se prolonge, sous une forme peu à peu plus réfléchie et plus approfondie, pendant l'adolescence qui, pour cette raison, est l'âge naturel des premières études supérieures . Plus tard, chez la plupart les hommes, cette curiosité universelle diminue, ou du moins se rétrécit et se concentre, et cette diminution entraîne une limitation des voies (des possibilités de créer) qui s'ouvrent devant nous quand nous nous éloignons de la jeunesse .

L'humanité dans son évolution passée a suivi une route analogue dans ses grandes lignes à celle que suivent les individus humains au commencement de leur existence . A ses débuts, elle a observé avec curiosité, attention et parfois avec inquiétude la nature (l'environnement) qui l'enserrait : elle a cherché à dégager les raisons et les liens des phénomènes qu'elle constatait autour d'elle . Mais elle n'avait à l'origine auprès d'elle ni parents, ni maîtres pour l'instruire et fréquemment elle a cru trouver dans des mythes (légendes) souvent poétiques, mais toujours trompeurs, une interprétation sans valeur réelle des faits qu'elle cherchait à comprendre ; Ensuite, depuis quelques siècles, elle est parvenue à son adolescence et s'est dégagée de ses premières erreurs . Comme sa curiosité pouvait désormais s'appuyer sur une raison plus ferme et sur un " esprit critique" plus aiguisé, elle a pu poursuivre l'étude des phénomènes avec des méthodes d'investigation plus sûres et plus rigoureuses .

Ainsi est née la science moderne, fille de l'étonnement et de la curiosité, et c'est toujours ces deux ressorts cachés qui en assurent les progrès incessants . Chaque découverte nous ouvre des horizons nouveaux et, en les contemplant, nous ressentons de nouveaux étonnements et nous sommes saisis par de nouvelles curiosités . Et, comme l'inconnu s'étend toujours indéfiniment devant nous, rien ne paraît pouvoir interrompre cette succession continuelle de progrès qui assouvissent (qui peuvent satisfaire) nos anciennes curiosités, mais en suscitent (qui en font naître dans l'esprit) immédiatement de nouvelles, à leur tour génératrices de nouvelles découvertes .

Cependant il n'est pas impossible qu'en avançant en âge l'humanité n'éprouve, elle aussi, quelques-uns des appauvrissements qui marquent l'âge mur des individus . Déjà, comme pour l'homme arrivant à l'état adulte, la nécessité de spécialisation apparaît avec ses inconvénients . Moins graves sans doute pour l'ensemble de l'humanité que pour l'individu isolé, ces inconvénients sont cependant réels car la spécialisation rétrécit (limite) les horizons, rend plus difficile les comparaisons et les analogies fécondes et finira par peser comme une menace sur l'esprit . Mais autant qu'on en peut juger, l'humanité est encore dans sa phase de jeunesse et, si elle arrive à éviter les dangers que peut lui faire courir sa propre puissance d'action sur le monde physique, elle est sans doute encore loin des scléroses et des décrépitudes .

L'enfant questionneur est avide de comprendre, mais il aime aussi à jouer .

Il ne faudrait pas croire que c'est là pour lui une occupation inutile car le jeu apprend à réfléchir, à voir puis à surmonter les difficultés, parfois même à ruser avec elles .

Il n'est pas de jeu, si naïf soit-il, qui n'ait sa tactique et sa stratégie . Et c'est pourquoi le goût du jeu n'est pas l'apanage (le privilège) de l'enfance ou de la première jeunesse : il n'est pas d'homme mûr, si sérieux soit-il, qui ne le conserve quelque peu au fond de lui-même . N'existe-t-il pas d'ailleurs des jeux [ le jeu des échecs en est le type] qui exigent beaucoup d'attention, de réflexion et même de raisonnement ? Déchiffrer une énigme, trouver le mot d'une charade, n'est-ce point chercher à découvrir quelque chose de caché et n'y a-t-il point là une sorte d'effort analogue à la recherche scientifique ? Dès lors, n'est-il pas permis de penser que le goût du jeu qui est, tout comme la curiosité, une tendance naturelle à l'enfant, mais qui n'est pas cependant quelque chose d'enfantin au sens péjoratif (défavorable) du mot, a lui aussi, contribué au progrès de la Science ?

A cette dernière question, une réponse affirmative me paraît s'imposer . J'ai, pour ma part, souvent été frappé de la similitude (de la ressemblance ) des problèmes que la nature pose au chercheur scientifique et de ceux que l'on a à résoudre dans le jeu des mots croisés . Quand nous sommes en présence de la " grille " encore vide d'un mot croisé, nous savons qu'un esprit analogue au nôtre a disposé dans cette grille, en suivant certaines règles, des mots qui s'entrecroisent et, en nous aidant des indications qu'on nous a données, nous cherchons à trouver ces mots . Quand le savant cherche à comprendre une catégorie de faits naturels, il commence par admettre que ces phénomènes obéissent à des lois qui nous sont accessibles parce qu'elles sont intelligibles pour notre raison .

Ce n'est pas là, remarquons-le bien, un postulat évident et sans portée : il revient en effet, à admettre la rationalité (caractère de ce qui est conforme à la raison) du mon physique, à reconnaître qu'il y a quelque chose de commun entre la structure de l'Univers matériel et les lois de fonctionnement de notre esprit .

Cette hypothèse que nous faisons naturellement sans toujours en apercevoir toute la hardiesse (l'audace) étant admise, nous cherchons à retrouver les rapports rationnels qui, selon elle, doivent exister entre les apparences sensibles ( ce qui dans les êtres et les choses se montre d'abord aux regards, à l'esprit qui voit : désigne non une qualité de la chose, mais l'impression qu'elle produit dans la pensée) . Ainsi le savant cherche à remplir des cases vides du mot croisé de la Nature de façon à former des mots qui ont un sens pour sa raison . Nous n'avons pas à discuter ici quelle peut-être la signification de l'accord, au moins partiel, entre la raison et les choses que souligne d'une manière imagée la comparaison de la recherche scientifique avec la solution des problèmes de mots croisés, mais nous devons remarquer que cette comparaison montre clairement l'analogie de la recherche scientifique avec les jeux en général : d'un côté comme de l'autre, il y a d'abord l'attrait de l'énigme posée, de la difficulté à surmonter, suivi, du moins parfois, de la joie de la découverte, de l'enivrante sensation de l'obstacle franchi . Sans doute les mots croisés sont un peu à caractère intellectuel, mais on peut soutenir que tous les jeux, même les plus simples, présentent dans les problèmes qu'ils posent des éléments communs avec l'activité du savant dans ses recherches . Et c'est parce que les hommes, à tous les âges de leur vie, sont attirés vers le jeu, par ses péripéties (changements dans une action, un récit, événements imprévus ) , par ses risques et par ses victoires, que certains d'entre eux se sont toujours tournés vers la recherche scientifique et ont trouvé dans les durs combats qu'elle livre une source de joie et d'enthousiasme . Ainsi le goût du jeu est pour quelque chose dans le développement de la Science .

On a beaucoup parlé, dans ces dernières années, de " cerveaux électronique " , de " machines à penser ", et, plus généralement, de dispositifs à la fois mécaniques et électriques qui, dans leur fonctionnement, égalent et même surpassent largement toutes les prouesses du cerveau humain . Ces dispositifs ne parviennent -t-ils pas à effectuer très exactement et en quelques secondes de difficiles calculs qu'un homme, même exercé, mettrait de longues heures à faire avec un beaucoup plus grand risque d'erreurs ? N'ont-ils pas des " mémoires " plus fidèles et plus sûres que les nôtres ?

N'ont-ils pas une puissance logique, une inflexible rectitude de raisonnements que notre pauvre cerveau, souvent vacillant, ne peut que les envier ?


Cependant, si l'on compare l'activité de notre esprit dans toute sa plénitude (épanouissement) , activité qui comprend bien des aspects en dehors de l'exécution des calculs, du développement des syllogismes ( le syllogisme est si peu le type de raisonnement qu'il n'est, à proprement parler, qu'un procédé de vérification .[Th. Ribot, 1931) ou de la conservation des renseignements acquis, on a, me semble -t-il l'impression très nette qu'en dehors de certaines opérations à caractère automatique, le cerveau humain l'emporte à bien des points de vue sur les machines les plus perfectionnées et détient des possibilités que celles-ci ne possèdent pas . S'il en est bien ainsi, c'est que l'esprit humain contient un genre d'activité dont la machine ne dispose pas . Cette puissance particulière, il est difficile de lui donner un nom précis : suivant les cas, on la nommera sentiment ou l'esprit de finesse, imagination ou intuition . Le terme importe peu, mais il semble bien qu'une réalité profonde se cache sous ces dénominations imprécises .

Il s'en faut que le progrès scientifique ne doivent rien au sentiment . S'il existe, c'est parce que des hommes ont aimé ou aiment la Science . Écoutant le jeune Pasteur lui exposer ses découvertes sur les isomères ( se dit de composés chimiques ayant la même formule d'ensemble, mais des propriétés différentes dues à l'agencement différent des atomes dans la molécule) optiques, le vieux Biot ( physicien français et " immense savant ", esprit ouvert à tous les champs du savoir , 1774-1862, il reconnu l'origine céleste des météorites ; il découvrit la polarisation rotatoire de la lumière et établit un grand nombre de lois) lui disait :

" Mon cher enfant, j'ai tant aimé les sciences que cela me fait battre le cœur ! "

Et ainsi, même en parlant de science, peut venir sur les lèvres ce verbe redoutable qui, dans les grammaires françaises, est le type des verbes de la première conjugaison .

Or je doute que les machines électroniques aiment la science .

Mais mon propos n'est pas de m'étendre sur cet aspect de la question et je voudrais maintenant parler du rôle éminent ( remarquable) que jouent d'autres éléments non rationnels dans le progrès scientifique .

Les personnes qui n'ont pas elles-mêmes la pratique des sciences s'imaginent fort souvent qu'elles nous apportent toujours des certitudes absolues : elles se représentent les chercheurs scientifiques comme appuyant leurs déductions sur des faits incontestables et des raisonnements irréfutables ( incontestables, que l'on ne peut repousser en prouvant leur fausseté) et par suite comme s'avançant d'un pas assuré sans aucune possibilité d'erreur ou de retour en arrière . Cependant le spectacle de la science actuelle (1960) , tout comme l'histoire des sciences dans le passé, nous prouve qu'il n'en est rien .
Non seulement chaque chercheur a ses conceptions personnelles et sa manière propre d'envisager les problèmes, mais en outre la valeur des faits constatés et plus encore leur interprétation sont très fréquemment remises en question : les théories évoluent et souvent même changent radicalement et il y a, dans ce domaine comme dans bien d'autres, des " modes " qui passent et d'autres qui apparaissent .


Comment cela serait-il possible si la science avait des bases uniquement rationnelles ?

Il y a là une preuve certaine que, dans le progrès scientifique, interviennent d'autres facteurs que les constatations irréfutables ou les syllogismes rigoureux et cela même dans les sciences qui, par leur précision ou leur apparente simplicité, semblent, comme la Mécanique ou la Physique par exemple, se prêter particulièrement bien à l'emploi des schémas abstraits et des raisonnements mathématiques .

En réalité,

à la base de toutes les théories scientifiques qui cherchent à nous offrir une image ou une méthode de prévision des phénomènes,

il y a des conceptions ou des représentations, parfois concrètes et parfois abstraites, pour lesquelles chaque chercheur éprouve plus ou moins de sympathie et auxquelles il s'adapte plus ou moins aisément . Cette remarque montre bien l'inévitable intervention dans la recherche scientifique d'éléments individuels dont le caractère n'est pas uniquement rationnel . Et, si l'on examine bien cette question, on s'aperçoit aisément que ces éléments ont précisément une importance capitale pour le progrès des sciences .

Je pense en particulier à ces facultés si spécifiquement personnelles, si variables même d'un individu à l'autre, que sont l'imagination et l'intuition .

L'imagination qui permet de se représenter d'un seul coup une portion de la nature physique par une image qui met en évidence certaines de ses articulations, l'intuition qui nous fait deviner soudain par une sorte d'illumination intérieure, qui n'a rien d'analogue au pesant syllogisme, un aspect profond de la réalité, sont des possibilités qui appartiennent en propre à l'esprit humain et qui ont joué et jouent quotidiennement un rôle essentiel dans l'édification de la science . Assurément le savant risquerait de s'égarer s'il faisait une place trop large dans ses efforts à l'imagination et à l'intuition : il finirait par renier cette conception de la rationalité de l'Univers qui, nous l'avons dit, est le postulat de base de la science et il en reviendrait peu à peu aux explications mythiques qui ont caractérisé la phase préscientifique de la pensée humaine . Néanmoins, l'imagination et l'intuition contenues dans de justes limites restent d'indispensables auxiliaires du savant dans sa marche en avant .

Sans doute, le postulat de la rationalité de l'Univers, si on l'admettait sans restrictions, conduirait à affirmer qu'en s'appuyant sur des faits bien observés, une suite rigoureuse de raisonnements devrait conduire à une description exacte et totale du monde physique . Mais ce n'est là qu'une conception idéale : la suite de raisonnements dont nous venons de parler ne peut être effectivement construite parce que le monde physique est d'une complexité extrême qui défie notre entendement, parce que nous ne connaissons qu'une partie sans doute restreinte des phénomènes physiques, parce que la rationalité de l'univers si elle est vraiment totale, ne pourrait être épuisée que par une raison infiniment plus ample que la nôtre . Il nous faut donc très souvent passer d'un raisonnement à un autre par un acte d'imagination ou d'intuition qui n'est pas lui-même entièrement rationnel, tel un aviateur qui, partant du sommet, accepte le risque de s'élancer dans les airs pour atteindre un sommet voisin parce qu'il sait trop longue et en fait impraticable la route, en principe plus sûre, qui, descendant dans les vallées, lui permettrait de faire le même trajet sans quitter la terre ferme . Mais comme les impulsions de l'imagination et de l'intuition sont choses individuelles, les différents chercheurs risquent alors de ne plus suivre exactement la même voie et c'est ce qui explique ces contestations entre spécialistes, ces revirements de la pensée scientifique, qui parfois étonnent si vivement ceux qui y assistent du dehors et qui, jugeant les choses trop superficiellement, s'attendaient à trouver dans la science des temples plus serins .

On ne saurait cependant sous-estimer le rôle indispensable de l'imagination et de l'intuition dans la recherche scientifique . En brisant par des bonds irrationnels, dont Meyerson ( savant et philosophe français, 1859-1933 ) avait naguère souligné l'importance, le cercle rigide où nous enferme le raisonnement déductif, l'induction fondée sur l'imagination et sur l'intuition permet seule les grandes conquêtes de la pensée : elle est à l'origine de tous les véritables progrès de la science .

Et c'est parce que l'esprit humain en est capable qu'il me paraît l'emporter définitivement sur toutes les machines qui calculent ou qui classent mieux que lui, mais qui ne peuvent ni imaginer, ni pressentir .


Ainsi, surprenante contradiction !, la science humaine essentiellement rationnelle dans son principe et dans ses méthodes ne peut opérer ses plus remarquables conquêtes que par de brusques sauts périlleux de l'esprit où entrent en jeu ces facultés, affranchies de la lourde contrainte des raisonnements rigoureux, que l'on nomme imagination, intuition, esprit de finesse .

Bien vite le savant revient à l'analyse raisonnée et reprend chaînon par chaînon la suite de ses déductions, dès lors cette chaîne l'enchaîne jusqu'à l'instant où il s'en affranchira momentanément et où la liberté de son imagination, un instant reconquise, lui permettra d'apercevoir des horizons nouveaux .

Mais tout effort d'imagination et d'intuition, précisément parce qu'il est seul vraiment créateur, comporte des risques : libéré des entraves de la déduction rigoureuse, il ne sait jamais exactement où il va, il peut nous égarer ou nous entraîner dans des voies en impasse . Et c'est pourquoi la recherche scientifique ( il en est de même de l'ensemble de toute recherche de vérité, quelle qu'elle soit) , bien que presque constamment guidée par le raisonnement, constitue néanmoins une aventure ."

Louis de BROGLIE, Prix Nobel de Physique en 1929 .


La première réflexion qui peut nous venir à l'esprit, en lisant ce texte, c'est qu'il ne doit pas se limiter au champ de la connaissance scientifique . Les suggestions et affirmations de Louis de BROGLIE, son admirable analyse d'une rare qualité, doivent s'appliquer à tous les contextes des activités et de la pensée humaines , et particulièrement pour " décortiquer, disséquer " (examiner, approfondir ), " nous rendre compte " (comprendre) des mécanismes de notre propre réflexion.

Bien à vous, Gerboise .

jeudi 12 mars 2009

Les erreurs concernant les observations,les constatations,les contrôles,les témoignages,les défauts de vigilance et les diverses sortes d'ignorances .

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Bien voir n'est pas chose facile
!

Des " embûches " ( des difficultés qui se présentent comme des pièges, des traquenards, des " empêcheurs " de tourner en rond ! matériels ou humains) se dressent constamment sous les pas de l'observateur : Il doit en être averti, afin de parer ( échapper, se protéger de, se mettre à l'abri de, remédier à) à leurs atteintes ou tout au moins de les pouvoir corriger .

Nous avons à envisager (considérer) les erreurs d'observation à un double point de vue :

- Celui de leur origine .

Dans cette perspective, les erreurs proviennent tantôt de causes objectives (concrètes, désintéressée) ; [ elles ont alors leur source soit dans l'objet même à observer, soit dans les appareils, soit dans d'autres circonstances ] , tantôt de causes subjectives (personnel, tendancieux) ; [elles émanent ( elles proviennent de leurs sources naturelles ) soit du sujet, soit de l'expérimentateur ].

- Celui de leur allure .

Dans cette approche, les erreurs sont tantôt constantes ou variables systématiques [Erreurs spatiales ou Erreurs temporelles, dans la durée] , tantôt accidentelles ou fortuites .

I - PROVENANCE DES ERREURS .

A - Erreurs , inexactitudes concrètes .

1- Dans les sciences physiques, certaines erreurs proviennent de ce que l'objet à mesurer est d'une nature indéterminée ou changeante, que ses limites [ses frontières avec son contexte externe] sont floues (comme par exemple celles de la pénombre d'une éclipse de lune ou celles d'un colorant, de l'encre, qui diffuse dans un liquide, dans de l'eau) .

- Dans les sciences appartenant à la psychologie, cette source d'erreur est bien plus commune encore . Ici, l'objet à observer, c'est le phénomène de conscience ou la manifestation extérieure qui le révèle .

Mais qu'est-ce qui nous conduit à admettre qu'il y a souvent erreur dans l'observation de ces phénomènes ? Qu'est-ce qui prouve l'existence de cette erreur ?

- C'est la même raison que celle qui nous amène à conclure qu'il y a erreur dans une observation physique, à savoir la non-concordance de plusieurs observations successives du même phénomène . Si nous mesurons la sensibilité tactile, ou la mémoire, ou l'attention d'un objet, nous obtenons des valeurs différentes d'un jour à l'autre, même dans les cas où cette mesure est faite avec un grand soin, et dans des conditions identiques . La question primordiale est de savoir ce qu'il s'est passé entre ces observations répétées . On doit donc conclure que l'objet à mesurer - le seuil de sensibilité (la susceptibilité, la réceptivité, la perceptibilité) , le jugement, la mémoire, l'attention, la réaction - sont des phénomènes imprécis, fluctuants, changeants (qui doivent être éduqués minutieusement, intelligemment, dès le plus jeune âge) et qu'en en exprimant la valeur ou le degré par un nombre, ce nombre ne correspondra pas exactement à l'intensité ou/et à la grandeur réelles de l'objet mesuré .

La grandeur réelle de l'objet mesuré :- que peut bien signifier ce " réelle " quand cet objet est un état ou un processus psychologique ? Ne savons-nous pas que le caractère même de notre conscience, de notre moi, est de changer (évoluer) continuellement ; qu'un état psychique, une fois disparu, ne peut jamais revenir identique à ce qu'il fut . Comment pourrait-on admettre qu'une certaine fonction psychique ait une certaine grandeur objective, réelle, puisque cette fonction change constamment sous l'influence de la fatigue, de l'entrain, de l'intérêt, de l'âge, etc. et de mille autres circonstances ? On pourrait concevoir cependant, par abstraction, que chaque fonction a une grandeur définie, mais que cette grandeur varie sous l'influence des facteurs environnants ; si l'observation nous donne des valeurs différentes pour cette même fonction, ce n'est pas qu'elle n'ait pas une grandeur objective et réelle, c'est simplement que nous avons expérimenté dans des conditions autres ; ce ne serait pas la faute de la fonction psychique, mais des facteurs ambiants qui viennent modifier cette grandeur d'un moment à l'autre, ou de l'expérimentateur qui n'a pas su les écarter .
Sans doute, on peut adopter cette manière de voir ; on l'adopte le plus souvent dans le langage courant ; on la présuppose tacitement (sous-entendu) quand on cherche à déterminer telle ou telle aptitude d'un individu . Pratiquement elle a le grand avantage de mettre l'observateur en garde contre les agents perturbateurs si nombreux qui l'entourent . D'ailleurs, elle est inoffensive . Elle ne saurait cependant être raisonnablement soutenue . Voyez donc : cette conception suppose que chaque fonction, chaque aptitude a une valeur déterminée chez un individu donné, et que, si elle varie, c'est sous l'influence d'un facteur surajouté [ un verre de vin, un bon dîner, la fatigue, la colère, la température extérieure ou la pression barométrique, l'insuffisance de l'attention ..., etc.] .
Soit . Mais y a-t-il un moment dans la vie d'un individu où de tels facteurs ne soient pas présents ? Quand un individu où de tels facteurs ne soit pas présents ? Quand un individu est-il assez réellement lui-même, assez exempt de ces influences accidentelles pour qu'on puisse considérer ses aptitudes comme possédant leur valeur réelle ? Est-ce lorsque le baromètre est à variable, ou à beau temps ? lorsque le thermomètre est à variable , ou à beau temps ? lorsque le thermomètre marque 15° ou 18° ? avant ou après le repas ? au printemps ou en hiver ? Ces questions montrent d'elles-mêmes l'absurdité de l'hypothèse de processus psychiques à grandeur réelle et indépendante des mille agents qui les influencent .
Et cependant, je le répète, il y a pratiquement quelque chose de juste dans cette idée : il va sans dire qu'il faudra autant que possible, lorsqu'on examine un sujet, rendre identique toutes les circonstances extérieures ; nous faisons donc comme si cette grandeur réelle existait, puisque nous cherchons à écarter tous les agents qui la pourraient fausser et que nous considérons ses variations comme " accidentellement " . - D'autre part, si les aptitudes d'un individu ne sont pas d'une grandeur fixe et définie, cette grandeur est approximativement définie : les variations qu'elle offre chez un même individu sont en effet limitées . Il n'est donc pas chimérique ( illusoire, irréaliste) de poursuivre leur détermination .
La conception opposée regarde les fonctions et aptitudes comme des phénomènes continuellement variables ; l'individu change à chaque instant, et, prendre une série de mesures sur un même individu, cela a seulement pour but d'obtenir une valeur fictive ( imaginaire, fausse) moyenne, résumant les diverses phases, les diverses variations d'un certain processus psychique de cet individu . Selon cette manière de voir, une mesure psychologique est en réalité une statistique, une statistique des grandeurs offertes pour un même processus par un même individu .
Dans la pratique, ces deux conceptions reviennent au même . Peut-être cependant influent-elles sur l'attitude de l'observateur : tandis que le partisan de la première conception s'efforcera surtout d' exclure les causes perturbatrices et d'opérer avec un soin minutieux, afin d'écarter tout obstacle risquant de voiler la réalité qu'il compte apercevoir toute nue, - au contraire, celui qui juge impossible un tel spectacle sera enclin (prédisposé) surtout à multiplier les observations , dans l'espoir que ces obstacles [insurmontables selon lui] s'annuleront mutuellement, si les observations sont suffisamment nombreuses . Est-il besoin d'ajouter que ces précautions et de l'un et de l'autre peuvent être avantageusement cumulées ?

2 - L'erreur peut aussi tenir à l' instrument qu'on emploie .

Si le chronomètre marche d'une façon irrégulière, il est bien évident que les données qu'il fournira ne pourront pas mériter confiance .

Tout appareil, d'ailleurs, comporte une certaine erreur .

Ainsi les indications d'un chronomètre, qui marque la seconde, ne sont justes qu'à une seconde près ; cela signifie que tous les phénomènes dont la durée s'achève entre le début d'une seconde et la fin de cette même seconde seront indiqués sur le cadran par un même chiffre ; que le phénomène dure 3 secondes, ou 3 secondes 1/4 , ou 3 secondes 9/10 , il sera toujours marqué par le chiffre 3 . C'est pour éviter cet inconvénient que l'on construit des appareils aussi précis que possible, et dont l'erreur soit négligeable par rapport à la grandeur du phénomène qu'on observe .

3 - L'erreur peut encore provenir du fait que des facteurs étrangers se sont introduits subrepticement ( sournoisement, " en douce " !) dans l'expérience et viennent augmenter la grandeur du phénomène à mesurer en s'ajoutant à lui, ou la diminuer en interférant ( interagir, en jouant un rôle actif ) avec lui .

Ainsi, si vous mesurez la fatigue d'un écolier le samedi soir, donc à la fin d'une semaine de travail, il y a des chances que la perspective du dimanche constitue un stimulant de nature à en diminuer les effets ; ou le fait d'avoir gagné sa première course le matin, va " donner un coup de fouet " au sportif dans l'épreuve suivante en lui faisant réaliser un meilleur temps que dans le cas contraire .

B - Erreurs tendancieuses .

Nous poursuivrons ce sujet essentiel et passionnant dans deux à trois jours .

Bien à vous, Gerboise .

mardi 10 mars 2009

Premières clartés du matin : Quelques réflexions .

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" Alors que le savant recherche la vérité sans craindre
(envisager quelqu'un ou quelque chose comme dangereux, nuisible, et en avoir peur) ses conséquences, le politicien médiocre, borné (être borné : ne pas voir plus loin que le bout de son nez) , s'en méfie et la considère comme une ennemie . Il censure son expression, dans la vaine espérance de l'anéantir (détruire au point qu'il ne reste plus rien) ".

" Science et politique ne sauraient avoir les mêmes méthodes .
- La première est surtout préoccupée du général,
- La deuxième du particulier .
Étudiant des choses fixes ou artificiellement fixées, la science établit facilement les lois qui régissent les éléments des choses . La politique se trouve au contraire en présence d'êtres vivants et mobiles aux réactions souvent imprévues ."

" Dans les temps troublés le domaine de l'imprévisible enveloppe tellement celui du possible que la pensée recule devant les obscurités de l'avenir . Elle seule cependant est capable d'éclairer un peu la route où les peuples doivent s'engager . "

" Nos visions d'avenir sont surtout des visions d'espérances (sentiments qui font entrevoir comme probable la réalisation de ce que l'on désire) sans parenté nécessaire avec la réalité . On ne saurait les dédaigner (les rejeter, les considérer avec dédain, les mépriser ) , puisqu'elles furent de puissants mobiles d'action . Une humanité privée d'espérance aurait bien de la peine à vivre . "

Docteur Gustave Le Bon, Hier et demain, Pensées brèves, Livre VII, Perspectives d'avenir. Éditions Flammarion, 1918 .

Nous vous laissons méditer l'ensemble de ces vérités, que doit considérer dans son for intérieur, tout honnête homme .

Bien à vous, Gerboise .

dimanche 8 mars 2009

Maîtrise, possession de l'orthographe du français .



1 - Accorder l'adjectif qualificatif :


A- Convention d'ensemble .

L'adjectif qualificatif s'accorde en genre et en nombre avec le nom ou le pronom auquel il se rapporte :
- Des expériences décisives . Elles demeuraient immobiles .

Toutes les fois que vous écrirez un adjectif qualificatif, vous devrez chercher à quel nom, à quel pronom il se rapporte en vue de l'accord .

L'adjectif précède parfois le nom ou en est éloigné . Ce n'est pas une raison pour ne pas faire l'accord :

- Il jugea vaines ces dispositions .
- Pétrifiés devant la maison que les explosions avaient dévastée , les pompiers attendaient des renforts .

B - L'adjectif accompagne plusieurs noms .

L'adjectif qui se rapporte à plusieurs noms de genre différent se met au masculin pluriel . Il est préférable de placer le nom masculin le plus près possible de l'adjectif .
C'est le sens qui règle l'accord .

- Une émeraude et un cristal de quartz verts .
- Le cygne et le héron de l'étang étaient noirs .
- L'avidité ou la peur indescriptible .
- La mort ou une vie misérable .

Après une gradation ou des noms synonymes séparés par une virgule, l'adjectif s'accorde avec le dernier nom .
Une noblesse, une grandeur d'âme, des états d'esprit étonnants .

C - L'adjectif accompagne un nom suivi d'un complément .

C'est le sens qui règle l'accord.

-Une bande d'étudiants prêts [ou prête] à dévaler dans le quartier latin .
- Une armée de fourmis guerrières plus dense que jamais .
- Une foule de badauds originaires de divers quartier .
- Un manteau de bure (grossière étoffe de laine des vêtements des moines) brune [ou brun] .
- Un pardessus de laine très long .
- Un pinceau de soie naturelle .

D - Adjectifs composés .

Les adjectifs s'accordent ; l'adverbe reste invariable .

- Des paroles aigres-douces .
- Des enfants nouveau-nés .

Mais frais et grand varient conformément à l'ancien usage ne distinguant pas l'adjectif de l'adverbe .
- Des fleurs fraîches écloses .
- Des fenêtres grandes ouvertes .

Si l'adjectif composé est employé comme nom, on écrit :

- Des nouveaux venus, une nouvelle venue ; cependant une exception : des nouveau-nés .

Dans tout-puissant, tout ne varie qu'avec un nom féminin :

- des gérants tout-puissants ; des assemblées générales toutes-puissantes .

E - Noms à valeur d'adjectifs, marquant la couleur .

Ces noms restent invariables . Mais, fauve, mauve, pourpre employés comme adjectifs sont variables .

- Des vestes marron .
- Des toits carmin .
- Des tentures pourpres .

Les adjectifs composés marquant la couleur restent invariables : des cheveux d'un châtain clair .

- Des cheveux châtain clair .

- Une améthyste (pierre semi-précieuse) bleu clair .

F - Autres accords particuliers .

Après la locution avoir l'air, l'adjectif peut s'accorder avec air ou avec le sujet .

- Cette joueuse a l'air étonné [ou étonnée] .
- Les autres tennisman ont l'air étonné [ou étonnés] .

Mais si le sujet est un nom de chose, l'adjectif s'accorde toujours avec lui .

- Cette affaire n'a pas l'air intéressante .

L'adjectif qualificatif [ou indéfini] et le participe qui se rapportent à gens se mettent d'ordinaire au masculin .

- Tous les gens âgés .
- Rassurés par cette nouvelle, les gens se dispersent .
- Tous les vrais honnêtes gens .

Toutefois les adjectifs tels que vieux, sot, bon, qui ne sont pas terminés au masculin par un e muet, se mettent au féminin s'ils précèdent immédiatement gens . Ce féminin entraîne celui des autres adjectifs placés avant gens .

- Toutes les vieilles gens étaient partis .

Les adjectifs nu et demi restent invariables devant le nom . L'adjectif mi qui ne peut se placer que devant le nom, reste également invariable . Remarquez bien que demie même placé après un nom au pluriel reste au féminin singulier .

- Nu-tête ; une demi-heure .
- A mi-jambes .
- Tête nue ; pieds nus .
- Une heure et demie .
- Trois heures et demie .

Le pronom quelque chose étant neutre, l'adjectif est au masculin .

- Quelque chose de bleu .

G - Adjectifs employés comme adverbes ou prépositions .

Dans le premier exemple, chères est un adjectif attribut de fleurs ; dans le second, cher est un adverbe invariable qui se rapporte à se vendent et non à fleurs .

- Ces fleurs sont chères .
- Ces fleurs se vendent cher .

Nous poursuivrons cette rubrique dans des prochains billets .

Bien à vous , Gerboise .

samedi 7 mars 2009

Que faire devant cette boule inviolable ? L' air satisfait du hérisson après ce duel à mort n'est-il pas impudent, indécent ? Qu'en pense Gerboise ?


Duel à mort entre un hérisson et une vipère, que le serpent a perdu d'avance !


La réalité souvent rejoint la fiction . On écoute avec surprise les vieux contes qui nous présentent cette histoire incroyable en première lecture : la victoire glorieuse de ce petit hérisson sur cette vipère pleine de rage ! Et pourtant c'est bien elle qui figurera au menu pantagruélique de ce petit et piquant héros .
Lorsqu'au cours de ses sorties crépusculaires, il rencontre ce serpent qui glace d'effroi presque tous les mammifères, il s'en approche avec prudence et sagacité, lucidité . La vipère aussitôt devient agressive . Elle se dresse en sifflant, s'élance pour " mordre " ... et se pique au but, à cet être au sang chaud . L'expérience ne la rend pas plus sage . Ivre de rage, elle projette sans cesse ses redoutables crochets à venin contre les " mille dards "(piquants) de l'adversaire : c'est tout juste si, par chance, elle atteint le museau . Ce petit "oursin " ! , qui est immunisé, ne s'en porte pas plus mal . Il se borne à se mettre en boule et à s'offrir un quart d'heure de résistance passive, tandis que l'ennemie se déchaîne en furieuses attaques . Jusqu'à ce que, pour finir, un délicat claquement de langue révèle que le doux endormi a, d'un coup de dent, " énuqué " (tranché à hauteur de la nuque, " étêté " à l'aide de ses incisives coupantes comme des rasoirs) la folle épuisée .

Cette scène est très différente de celle de la bataille que ce livrent les vipères à cornes, dans les regs et les dunes sahariennes, et les Gerboises . Mais ici, la stratégie et la tactique sont de nature opposées . Le serpent, immergé partiellement dans le sable, reste stoïque, presque immobile (attentif à tous les instants aux contorsions de cet être déroutant, imprévisible,désarçonnant, déconcertant[qui jette dans l'incertitude de ce qu'il faut dire ou penser, ici pour le serpent, faire (!), ne faisant que tourner sa tête pour suivre les déplacements circulaires autour de lui de ce petit" kangourou miniature " ,qu'est ce petit mammifère qui lui tourne autour vivement, puis après de courts arrêts pour lisser ses grandes moustaches, reprend son " manège " giratoire . Ce duel à mort, où chaque belligérant ( celui qui prend part au combat) risque son existence, car ici les gerboises prennent de très grands risques malgré que l'issue ce combat à armes inégales, mais pipé (réglé à l'avance) , soit parfaitement prévisible, inéluctable, incontournable. Elles ne sont pas immunisées du venin de ces infernales et redoutables vipères sahariennes dont les piqûres sont toujours mortelles, autrement dangereuses que celles de nos vipères européennes ; et pourtant le reptile est perdu d'avance ! Au moment où l'on s'y attend le moins, lors d'une attaque fulgurante qui ne dure qu'une fraction de seconde, on aperçoit notre petite héroïne quitter l'arène de la rixe sans merci ... traînant le corps gigotant de l'être si redoutable il y a encore un instant .{ Attention, à la tête du serpent toute sanguinolente : ce " reste " de la bête infernale est capable, par réflexe nerveux, de vous infliger encore, une ultime morsure mortelle} .
Cette " intelligence " de la gerboise, qui lui permet de se " mesurer " à ce redoutable reptile aussi vif qu'elle dans sa détente brutale et mortelle . Les expressions de ces grands yeux noirs, " du regard extraordinaire de ce petit rongeur ", sont remarquables .
Chaque fois que j'ai eu l'occasion de croiser cette manifestation de l' " âme animale " , j'ai ressenti une étrange impression de communication, presque humaine !

On (?) raconte cette fable, qui a traversé tout le Moyen Âge avant de parvenir jusqu'à nous, ce soi-disant récit du naturaliste Pline l'Ancien qui écrivait déjà dans sa célèbre Histoire Naturelle, en 79 après J. C. , que le hérisson a coutume de se rouler la nuit sous les arbres fruitiers " pour cueillir " au bout de ses piquants et emporter ensuite les fruits qui s'y sont empalés .
Cette image idyllique et la poésie qui s'en dégage, ont propagé jusqu'à nous cette tradition ingénieuse, mais qui ne saurait avoir de fondement . En effet, les muscles " peauciers " rétractiles qui permettent au bien-nommé de " se hérisser ", se détendent dès que l'animal est sur le dos . Renard et grand-duc n'ignorent pas cette particularité et savent qu'en retournant la forteresse inexpugnable, que l'on ne peut prendre directement d'assaut, on la réduit à merci ( être à la merci de quelqu'un, être dans une situation où l'on dépend entièrement de sa volonté, de son bon plaisir, de ses caprices; ici dans ce contexte du règne animal, où les instincts, et les tendances innées dominent, être amené dans un état d'infériorité, de soumission, de destruction, d'anéantissement mortel inexorable) . Rencontre-t-on un hérisson, " cet oursin terrestre ! " garni de feuilles accrochées à ses piquants, ce ne peut être qu'une " tenue de hasard " , car c'est toujours dans la gueule qu'il transporte ce qui va garnir le nid où il passe ses journées - et aussi ses périodes de profond sommeil hivernal .
Sur la photographie ci-dessus l'auteur de la prise de vue s'est plu à illustrer la fable ancienne de Pline à la manière des graveurs d'autrefois, pour qui ce personnage hérissé de piquants était un sujet de prédilection (de préférence marquée , d'une certaine tendresse pour ce petit être enjôleur, séduisant !) .

Il existe dans toute vie deux possibilités de comportement, d'interaction entre les êtres et les choses, les évènements : la passivité stratégique, l'impassibilité, on subit la conjoncture (situation qui résulte d'une rencontre de circonstances) , la situation ; ou l'action tactique orientée révélant une capacité d'adaptation à toutes les situations, à évoluer .

L'attitude de la gerboise qui, bravant le danger, affronte avec sérénité l'adversaire est courageuse : la volonté d'agir au lieu de battre en retraite, de s'enfuir, d'esquiver l'affrontement est saisissant d'autant plus qu' elle est vulnérable ; celle du hérisson qui se sait à l'abri du danger, protégé, et qui attend que l'adversaire s'épuise avant d'agir, est peut-être astucieuse mais beaucoup moins estimable .

Ces deux comportements sont significatifs des attitudes humaines .
Le premier est de se croire au-dessus des conjonctures et des lois naturelles et de rester ainsi indifférents aux situations : croire à sa bonne étoile !
Le second , c'est aller de l'avant, prendre des risques maîtrisés et ainsi de vivre énergiquement sans indignité, ni faiblesse .

Nous voyons ici s'opposer deux façons de s'adapter au monde, parmi d'autres . La nécessité de prendre en considération ces us et coutumes est une question de survie en vue de passer à la postérité !

Vous devez, maintenant, comprendre mon estime pour ces gerboises car , au Sahara, elles nous ont souvent sauvé la vie en agissant, grâce à une sorte d'esprit critique dont elles sont capables de faire preuve . L'intitulé de ce blog est dédié à leur mémoire .(Ce billet répond aux interrogations de certains d'entre-vous ).

Bien à vous, Gerboise .