lundi 14 mai 2007

LE BON SENS et les études classiques :Discours prononcé par Henri Bergson (*)

(*)Henri Bergson, Philosophe Français, (1859-1941), Membre de l'Institut, Professeur au Collège de France, Prix Nobel en 1927 .
Discours prononcé à la distribution des prix du Concours général le 30 Juillet 1895 .
Gerboise vous a communiqué un premier discours de Henri Bergson, le 27 Avril 2007 sur le thème :l'effort de concentration, devant les élèves du Lycée Voltaire à Paris .
Le contenus des parenthèses dans le texte sont des commentaires de Gerboise .
.
"L'honneur a toujours été grand, et la tâche difficile, d'avoir à prendre la parole en cette imposante solennité universitaire ; mais il me semble que la responsabilité en devient tous les ans plus lourde, parce que le problème de l'éducation, sur lequel nous ne voudrions pas revenir toujours, prend un aspect de plus en plus grave et se pose en termes de plus en plus pressants .
(!, nous sommes en 1895, ceci pose question pour les éducateurs actuels, Gerboise)
.
Je voudrais montrer que le bon sens consiste en partie dans une disposition active de l'intelligence, mais en partie aussi dans une certaine défiance toute particulière de l'intelligence vis-à-vis d'elle-même ; que l'instruction lui fourni un soutien, mais qu'il pousse ses racines à des profondeurs où l'instruction ne pénètre guère ; que les études classiques le servent beaucoup, mais par des exercices communs à toute espèce d'études et qui ne peuvent se pratiquer sans maître ; qu'aussi la tâche de l'éducateur consiste surtout, en pareille matière, à conduire les uns par un artifice, là ou d'autres sont de suite placés par la nature .
Mais qu'est-ce au juste que le bon sens, et à quelles puissances, se rattache cette attitude intellectuelle ?
.
Le rôle de nos sens, en général, est moins de nous faire connaître les objets matériels que de nous en signaler l'utilité .Nous goûtons des saveurs, nous respirons des odeurs, nous distinguons le chaud et le froid, l'ombre de la lumière . Mais la science nous apprend qu'aucune de ces qualités n'appartient aux objets sous la forme où nous les apercevons (il s'agit des concepts de sensation et de perception qui va faire l'objet d'une prochaine "feuille" du blog) ; elles nous disent seulement dans leur pittoresque langage, l'inconvénient ou l'avantage que ces choses ont pour nous, les services qu'elles pourront nous rendre, les dangers qu'elles nous feront courir .
Nos sens nous servent donc, avant tout, à nous orienter dans l'espace ; ils ne sont pas tourné vers la science, mais vers la vie .Or, nous ne vivons pas seulement dans un milieu matériel, mais aussi dans un milieu social .
Si tous nos mouvements se transmettent dans l'espace et ébranlent ainsi une partie de l'univers physique, en revanche la plupart de nos actions ont leurs conséquences prochaines ou lointaines, bonnes ou mauvaises, d'abord pour nous ensuite pour la société qui nous environne . Prévoir ces conséquences, ou plutôt les pressentir, distinguer en matière de conduite, l'essentiel de l'accessoire ou de l'indifférent ; choisir parmi les divers partis possibles, celui qui donnera la plus grande somme de bien, non pas imaginable, mais réalisable :voilà, semble-t-il, l'office du bon sens .
C'est donc bien un sens à sa manière ; mais tandis que les autres sens nous mettent en rapport avec les choses, le bon sens préside à nos relations avec des personnes .
Il y a un subtil pressentiment du vrai et du faux, qui a pu découvrir entre les choses, bien avant la preuve rigoureuse ou l'expérience décisive, des incompatibilités secrètes ou des affinités insoupçonnées .On appelle génie cette intuition d'ordre supérieur, intuition nécessairement rare, puisque l'humanité pourrait à la rigueur s'en passer . Mais la vie de tous les jours demande à chacun de nous , des solutions aussi nettes et des décisions aussi rapides . Toute action grave vient clore une longue série de raisons et de conditions, pour s'épanouir ensuite en conséquences qui font que, si elle dépendait de nous, à notre tour nous dépendons d'elle . Pourtant, elle n'admet d'ordinaire ni tâtonnement ni retard ; il faut prendre un parti, et, sans prévoir tous les détails, comprendre l'ensemble . L'autorité que nous invoquons alors, celle qui lève nos hésitations et tranche la difficulté, c'est le bon sens .Il semble donc que le bon sens soit dans la vie pratique, ce que le génie est dans les sciences et dans les arts .
Mais regardons de plus près : le bon sens n'est pas plus que le génie une attitude passive de l'esprit, attendant, au milieu de la nuit, que l'éclair brille et que la lumière se fasse .Si le génie devine la nature, c'est qu'il a vécu dans une étroite camaraderie avec elle . Le bon sens, lui aussi, exige une activité incessamment en éveil, un ajustement toujours renouvelé à des situations toujours nouvelles .
Il ne redoute rien tant que l'idée toute faite, fruit mûr de l'esprit peut-être, mais fruit détaché de l'arbre, bientôt desséché, et ne présentant plus, dans sa rigidité, que le résidu inerte du travail intellectuel . Le bon sens est ce travail même . Il veut que nous tenions tout problème pour nouveau et lui fassions l'honneur d'un nouvel effort . (il n'y a rien de plus néfaste pour l'esprit que l'impression du déjà vu ; dés ce moment le désintérêt survient, sans même que" l'on s'en rende compte", c'est une véritable cécité mentale qui s'installe ; c'est pourquoi il ne faut jamais déflorer un sujet superficiellement sans prévenir la personne et surtout un enfant que "les choses " n'ont pas été complètement expliquées, quelles sont plus compliquées et que ce qui a été présenté n'est qu'une première présentation qui devra être suivie de nouvelles précisions .Il est nécessaire d'expliquer que ce que l'on a appris doit être toujours considéré comme provisoire, et que cette façon de considérer le savoir est normale, que tous les grands Savants remettent souvent en question leurs premières impressions, lors d'une découverte . La science progresse ainsi, elle est une perpétuelle remise en question de ce qui , à un moment donné, était considéré provisoirement simplement comme un modèle pour fixer les premières constatations d'une expérience ou d'une observation )
.
Il exige de nous le sacrifice, parfois pénible, des opinions que nous nous étions faites et des solutions que nous tenions prêtes . Et pour tout dire, il paraît avoir moins de rapport avec une science superficiellement encyclopédique qu'avec une ignorance consciente d'elle même, accompagnée du courage d'apprendre ( Gerboise préfère persuader d'apprendre par curiosité, par plaisir, pour la joie de connaître et pour cette intense satisfaction de dominer le savoir ; lorsque l'on a atteint cette étape, on progresse ensuite normalement avec aisance ) .
S'il se rapproche de l'instinct par la rapidité de ses décisions et la spontanéité de sa nature, il s'y oppose profondément par la variété de ses moyens, la souplesse de sa forme, et la surveillance jalouse dont il nous entoure, pour nous préserver de l'automatisme intellectuel . S'il ressemble à la science par son souci du réel et son obstination à rester en contact avec les faits, il s'en distingue par le genre de vérité qu'il poursuit, car il ne vise pas, comme elle, à la vérité universelle, mais à celle de l'heure présente, et ne tient pas tant à avoir raison . D'autre part, la science ne néglige aucun fait d'expérience, aucune conséquence du raisonnement : elle calcule la part de toute les influences et pousse jusqu'au bout la déduction de ses principes . Le bon sens choisit . Il tient certaines influences pour pratiquement négligeables, et s'arrête dans le développement d'un principe, au point précis où une logique trop brutale froisserait la délicatesse du réel .Entre les faits et les raisons qui luttent, se poussent et se pressent, il fait qu'une sélection s'opère . Enfin c'est plus que de l'instinct et moins que de la science ; il y faudrait plutôt voir un certain pli de l'esprit, une certaine pente de l'attention . On pourrait presque dire que le bon sens est l'attention même, orientée dans le sens de la vie .
Aussi n'a-t-il pas de plus grand ennemis, dans la cité, que l'esprit de routine et l'esprit de chimère . S'obstiner dans des habitudes qu'on érige en lois, répugner au changement, c'est laisser distraire ses yeux du mouvement qui est la condition de la vie . Mais n'est-ce pas aussi par faiblesse de volonté ou de distraction d'esprit qu'on s'abandonne à l'espoir des transformations miraculeuses ? Entre ces deux genres d'esprits, la distance est moins grande qu 'on ne le croirait d'abord : également éloignés de l'action efficace, ils diffèrent surtout en ce que l'on prétend simplement dormir, tandis que l'autre veut en outre rêver . Mais le bon sens ne dort ni ne rêve . Semblable au principe de la vie, il veille et travaille sans cesse , alourdi sans doute par la matière qu'il anime, mais averti de la réalité de son action par la matérialité même de son effort .Sa modération ne ressemble pas à celle des timides qui tiennent l'action pour dangereuse et cherchent à s'assurer contre elle ; il aime l'action au contraire, n'avance par degrés que pour obtenir la transformation, d'un progrès plus naturel, et se rapproche par là encore de la vie, dont on ne sait si l'on doit admirer davantage les nuances harmonieusement fondues de ses transitions ou le contraste éclatant de ses métamorphoses .
Plus on le serre de près, enfin, plus il tend à se confondre avec l'esprit de progrès, pourvu que l'on comprenne dans cette expression, tout à la fois, une aspiration énergique au meilleur et une exacte appréciation du degré d'élasticité des choses humaines .
.
Quel est donc le principe du bon sens ? Comment en toucher le fond ? Où en découvrir l'âme ? Dérive-t-il, comme on l'a dit, de l'expérience ? Représente-t-il, réunis et condensés, les résultats des observatiions passées ?
Mais le temps, à mesure qu'il avance, déroule des situations toujours nouvelles, qui exigent de nous un effort toujours original .N'est-il d'autre part, qu'une plus grande sûreté de raisonnement, exercé, par un travail logique, à déduire d'un principe général, des conséquences de plus en plus lointaines ? Mais notre déduction est bien rigide, et bien souple est la vie . Si fort que nous serrions nos raisonnement, ils suivront mal les contours délicats et fuyants de la réalité mouvante . Le bon sens raisonne, je le veux bien, et sur des principes généraux parfois ; mais il commence par les infléchir dans la direction de la réalité présente ; et ce travail d'adaptation, qui ne relève plus du raisonnement pur, n'est-il pas justement l'office propre du bon sens ? Non, le bon sens ne réside ni dans une expérience plus vaste, ni dans des souvenirs mieux classés, ni dans une déduction plus exacte, ni même, plus généralement, dans une logique plus rigoureuse .
Je vois donc dans le bon sens, l'énergie intérieure d'une intelligence qui se reconquiert à tout moment sur elle-même, éliminant les idées faites pour laisser la place libre aux idées qui se font et se modelant sur le réel par l'effort continu d'une attention persévérante . Et je vois aussi en lui le rayonnement intellectuel d'un foyer moral intense, la justesse des idées se moulant sur le sentiment de la justice, enfin l'esprit redressé par le caractère . Notre philosophie, éprise des distinctions tranchées, trace une ligne de démarcation bien nette entre l'intelligence et la volonté (nous préciserons les notions de frontières et de limites qui sont fondamentales pour la structuration du savoir), entre la moralité et la connaissance, entre la pensée et l'action . Et ce sont bien là, en effet, deux directions différentes, où s'engage, en se développant, la nature humaine . Mais l'action et la pensée me paraissent avoir une source commune, qui n'est ni pure volonté, ni pure intelligence, et cette source est le bon sens . Le bon sens n'est-il pas, en effet, ce qui donne à l'action son caractère raisonnable, et à la pensée son caractère pratique ?
.
S'il est aussi le fond, l'essence de l'esprit, ne devrait-on pas le trouver, comme disait Descartes, " tout entier en un chacun", inné et universel, indépendant de l'éducation ?
Il en serait ainsi, je le crois, s'il n'y avait rien que de vivant dans l'âme et dans la société, si nous n'étions pas condamnés à traîner avec nous, le poids mort des vices et des préjugés, s'il ne nous arrivait pas aussi, par une distraction momentanée ou durable, de vivre et de penser extérieurement à nous-mêmes, enfin, si nous ne laissions pas notre intelligence prendre ses décisions, pour ainsi dire abstraites, au lieu de la maintenir fermement en contact avec l'énergie tendue du vouloir .
Jusqu'où s'étend cette influence de l'éducation, et en particulier des études classiques ? Que peuvent-elles faire, et que devons nous leur demander ? Sur les diverses forces que je viens d'énumérer, et qui toutes tendraient à faire dévier le bon sens, elles sont loin d'avoir la même prise .
.
Un des plus grands obstacles, disions-nous, à la liberté de l'esprit, ce sont les idées que le langage nous apporte toutes faites, et que nous respirons, pour ainsi dire, dans le milieu qui nous environne (nous analyserons cette influence du milieu dans les sciences , dans l'industrie et surtout dans la vie sociale dans une prochaine étape de notre blog, Gerboise ) .Elle ne s'assimilent jamais à notre substance : incapables de participer à la vie de l'esprit, elles persévèrent, véritables idées mortes, dans leur raideur et leur immobilité .
.
Pourquoi donc les préférons-nous si souvent à celles qui vivent et qui vibrent ? Pourquoi notre pensée, au lieu de travailler à se rendre maîtresse chez elle, aime-t-elle mieux s'exiler d'elle-même ? C'est d'abord par distraction, et parce qu'à force de nous amuser le long de la route, nous ne savons plus où aller .
.
C'est ainsi que beaucoup d'entre nous voyagent à travers l'existence, les yeux fixés sur des formules qu'ils lisent, dans une espèce de guide intérieur, négligeant de regarder la vie pour se régler simplement sur ce qu'on en dit, en pensant d'ordinaire à des mots plutôt qu'à des choses . Mais peut-être y a-t-il plus et mieux ici qu'une distraction accidentelle de l'esprit .Peut-être une loi naturelle et nécessaire veut-elle que notre esprit commence par accepter les idées toutes faites et vive dans une espèce de tutelle, en attendant l'acte de volonté, toujours ajourné chez quelques-uns, par lequel il se ressaisira lui-même . L'enfant n'aperçoit dans la nature extérieure que ces formes grossières et conventionnelles dont il jette le dessin sur le papier dès qu'il a un crayon en main : elles s'interposent, chez lui, entre l'oeil et l'objet ; elles lui présentent une simplification commode, et chez beaucoup d'entre nous, elles continueront de s'interposer ainsi, jusqu'au jour où l'art viendra nous ouvrir les yeux sur la nature .
Je comparerais volontiers à ces dessins de l'enfant, les idées que nous trouvons enfermées dans les mots .
.
Chaque mot représente bien une portion de la réalité, mais une portion découpée grossièrement, comme si l'humanité avait taillé selon sa commodité et ses besoins, au lieu de suivre les articulations du réel .
Force nous est bien d'adopter provisoirement cette philosophie et cette science toutes faites ; mais ce ne sont là que des points d'appui pour monter plus haut . Par- delà les idées qui se sont refroidies et figées dans le langage, nous devons chercher la chaleur et la mobilité de la vie .
Je vois justement dans l'éducation classique, avant tout, un effort pour rompre la glace des mots et retrouver au-dessous d'elle le libre courant de la pensée . En vous exerçant, jeunes élèves, à traduire les idées, d'une langue dans une autre, elle vous habitue à les faire cristalliser, pour ainsi dire, dans plusieurs systèmes différents ; par là, elle les dégage de toute forme verbale définitivement arrêtée, et vous invite à penser les idées, mêmes, indépendamment des mots .
Mais, dans quelque langue qu'ils s'expriment, les grands écrivains peuvent rendre le même service à notre intelligence ; car tous ont eu et tous ont cherché à nous donner la vision directe du réel, dans des cas où nous n'apercevions les choses qu'à travers nos conventions, nos habitudes et nos symboles .
.
En un sens, l'éducation classique, même quand elle paraît attacher le plus d'importance aux mots, nous apprend surtout à n'en pas être dupes .Elle pourra changer d'objet particulier ; elle conservera toujours la même fin générale, qui est de soustraire notre pensée à l'automatisme, de la dégager des formes et des formules, enfin de rétablir en elle la libre circulation de la vie . La philosophie continue dans le même sens l'oeuvre commencée . Elle soumet à la critique les principes ultimes de la pensée et de l'action . Elle n'attache aucun prix à la vérité passivement reçue : elle veut que chacun de nous reconquière la vérité par la réflexion, la mérite par l'effort, et la faisant pénétrer profondément en soi, l'animant de sa vie, lui imprime assez de force pour féconder la pensée et diriger la volonté . Le bon sens peut sans doute se passer d'elle ; mais s'il réside dans l'effort et se tend d'abord à la liberté, je ne vois pas où il ferait un meilleur apprentissage .
Mais il ne suffit pas d'écarter les symboles et de s'accoutumer à voir . Il faut encore, disions-nous, se déshabituer d'une certaine manière trop abstraite de juger, et cultiver un mode tout particulier de l'attention . Certaines sciences ont l'avantage de nous faire côtoyer de plus près la vie . C'est ainsi que l'étude approfondie du passé nous aidera à comprendre le présent, à condition toutefois que nous restions en garde contre les analogies trompeuses, et que nous cherchions, dans l'histoire, selon le mot profond d'un historien contemporain, des causes plutôt que des lois .
Il y a une erreur grave, qui consiste à raisonner dans la société comme sur la nature, à y découvrir je ne sais quel mécanisme de lois inéluctables, à méconnaître enfin l'efficacité du vouloir et la force créatrice de la liberté .
.
L'éducation du bon sens ne consistera donc pas seulement à délivrer l'intelligence des idées toutes faites, mais à la détourner aussi des idées trop simples, à l'arrêter sur la pente glissante des déductions et des généralisations, enfin à la préserver d'une trop grande confiance en elle-même .
Allons plus loin, le plus grand danger que l'instruction peut faire courir au bon sens, serait d'encourager notre tendance à juger hommes et choses d'un point de vue purement intellectuel, à mesurer notre valeur et celles des autres au seul mérite de l'esprit, à étendre ce principe aux sociétés elles-mêmes, à n'approuver des institutions, lois et coutumes, que ce qui porte la marque extérieure et superficielle de la clarté logique et de l'organisation simple . Cette règle conviendrait peut-être à une société de purs esprits, voués à une existence toute spéculative ; mais la vie réelle est tournée vers l'action . L'intelligence y est une force, je le veux bien, et même la plus apparente de toutes puisque son rôle est d'apporter la lumière ; mais ce n'est pas la seule . Pourquoi les dons de l'esprit nous servent-ils moins dans la vie que les qualités du caractère ?
.
D'où vient que tant d'esprits brillants et pénétrants demeurent incapables, malgré les plus grands efforts, de produire une oeuvre ou d'exercer une action ? Et pourquoi les plus belles paroles restent-elles sans écho, si elles ont été dites sans accent ? Ne serait-ce pas que l'intelligence agit par je ne sais qu'elle puissance cachée dont elle symbolise l'effort, et que là où cette force manque, l'esprit n'a ni assez d'élan pour aller plus loin, ni assez de poids pour s'enfoncer profondément dans ce qu'il touche ? On a vu ici la fonction créer l'organe, et des facultés intellectuelles inattendues jaillir sous la pression d'une force morale intense . Comme aussi l'histoire nous apprend que la grandeur d'une nation tient moins à son développement intellectuel apparent, qu'à certaines réserves invisibles d'énergie où l'intelligence s'alimente, je veux dire la force du vouloir et la passion des grandes choses . Eh bien, c'est cette idée que l'éducation peut imprimer profondément en nous, non par une démonstration spéciale, mais par mille leçons tirées de l'histoire de la vie . Elle ne nous épargnera pas seulement ainsi bien des déceptions et bien des surprises ; elle lancera, par l'intermédiaire de cette intelligence à laquelle elle s'adresse nécessairement, un appel de force à la puissance de sentir et de vouloir .Et par là elle replacera l'âme dans sa direction naturelle, qui est justement le bon sens .
Voilà, ce me semble, les différents points sur lesquels le bon sens offre prise sur l'éducation en général, aux études classiques en particulier . En retenant votre attention, Messieurs, sur le dernier et le plus important d'entre eux, ai-je fait autre chose que commencer des paroles que vous n'avez point oubliées, celles que prononçait ici-même, il y a deux ans, le chef de l'Université : "Je voudrais, disait-il, que nous missions à rechercher le juste et à le propager, un peu de flamme et d'imagination . Répétez-vous bien que, même dans un siècle de science et de pensée, l'avenir restera souriant et propice à ceux-là surtout qui auront su conserver intacte la force de sentir."
.
C'est cette force de sentir que j'ai cru voir au fond du bon sens .
.

Sans cette parenté étroite, sans cette harmonie entre le sens du réel et la faculté de s'émouvoir profondément pour le bien, on ne comprendrait que la France, cette terre classique du bon sens, se fût sentie soulevée à travers tout le cours de son histoire, par la poussée intérieure des grands enthousiasmes et des passions généreuses .
La tolérence qu'elle a inscrite dans ses lois et qu'elle a enseignée aux nations, elle en a dû la révélation à une foi jeune et ardente ; les formules les plus sages, les plus mesurées, les plus raisonnables du droit et de l'égalité, c'est dans un moment d'enthousiasme qu'elles lui sont montées du coeur aux lèvres . Chez ces écrivains les plus épris de bon sens, chez ceux mêmes qui ont aiguisé le bon sens en esprit, on devine, derrière les qualités d'ordre, de méthode, de clarté, une chaleur intense qui est devenue lumière. Et la transparence même de sa langue, la légéreté ailée de sa phrase, faite pour porter au loin les idées générales, ne répondent-elles pas à l'élan d'une âme qui cherche, pour les sentiments puissants qui la travaillent, l'air libre et les grands espaces ?
Croyez-le bien jeunes élèves, la clarté des idées, la fermeté de l'attention, la liberté et la modération du jugement, tout cela forme l'enveloppe matérielle du bon sens ; mais c'est la passion de la justice qui en est l'âme ."
.
Je pense que, dans de nombreux thèmes présentés dans notre blog, nous serons amenés à reprendre beaucoup d'idées et de réflexions de Henri Bergson, dans des contextes très variés .Bonne lecture approfondie ! Gerboise

1 commentaire:

willy.mautesse@skynet.be a dit…

L’éVOLUTiON NATURELLE HABiTE MAiNTENANT LES MiSE A JOUR DE LA LUCIDITÉ iNNée DE TOUS LES HUMAiNS. (**) CES NATURELLES MISE A JOUR NE PORTENT DONC PAS SUR DES COTATIONS Ni AUTRES SORTES D’ARTiFICiELS CLASSEMENTS SOCiAUX MAIS BiEN SUR DE L’OUVERTURE A UN MODE D’EXiSTENCE MiEUX ENTENDU.
(**)La lamarckienne transmission génétique des globalisations de « convergences naturelles de trilogiques concertations méditées comme plus ou moins motivantes pour la globalisatrice lucidité, cette naturelle conciliatrice des impacts émotifs devant être NATURELLEMENT assimilés au jour le jour, en tant qu’intuitions globalisées la nuit, au même titre que les épisodiques récapitulations globales d’une soigneuse remise à jour des bagages de l’entendement que l’innéisme a génétiquement transférés aux suivantes progénitures avec, à chaque génération, un entendement mis à jour de la cascade de la succession des entendements des générations suivantes, qui suivront le même scénario de globalisations dans les enfilades des innéismes de l’évolution naturelle, que poursuivront subconsciemment ou non les géniteurs, déjà successeurs de 3.500 générations de millions d’innombrables populations de progénitures de filles et garçons à chaque fois.
Cette alternance successive des générations qui dégagent les vraies intuitions foncièrement globalisées à génétiquement transmettre à leur progéniture, est à l’image de l’alternance du jour et de la nuit, (qui remet les idées en place de ce qui fut observé le jour, mais trop hybride pour être approfondi avant une bonne nuit de sommeil.)