mercredi 29 avril 2009

Le langage : manifestation, concrétisation de la pensée, mais surtout de tout ce qui affecte la conscience, la réceptivité et la sensibilité .



Prétendre d'une rose qu'elle est rouge, c'est décrire, représenter pour autrui cette fleur . Dire qu'elle est belle, plus, qu'elle est splendide, c'est exprimer, à propos d'elle, un sentiment, une sensation, mieux, une perception personnelle, intime, subjective !

Le premier mot " rouge " parle, présente l'objet, la chose ; le second " elle est belle ", parle de nous-mêmes, de nos sentiments . La rose rouge, belle pour nous, attirante , pourrait ne pas l'être à d'autres yeux .

Il est un monde extérieur que l'art de décrire, de dépeindre, nous l'avons constaté, recrée devant nous, lorsque le vocabulaire des sensations est riche et varié, lorsqu'un choix d'artiste ordonne les perspectives . Il est un monde intérieur, inséparable de l'autre, car tout ce que nos sens saisissent devient en nous joie, douleur, désir, curiosité, réflexion .
... Mais ce sont d'autres mots qui le recréent .

Un écrivain[toute personne qui écrit] , selon son génie, s'exprime plus volontiers par des visions, ou des analyses, ou passe tout naturellement de la description à la pensée .
Voici qu'un vieil homme regarde la fleur :

Une abeille, dont le corsage brun brillait au soleil comme une armure de vieil or, vint se poser sur une fleur de mauve d'une sombre richesse et bien ouverte sur sa tige touffue .

Puis, à propos d'elle, il médite :

Je reconnus qu'il y avait entre l'insecte et la fleur toutes sortes de sympathies et mille rapports ingénieux que je n'avais pas soupçonnés jusque-là ...
- Adieu ! dis-je à la fleur et à l'insecte . Adieu ! Puissé-je vivre encore le temps de deviner le secret de vos harmonies !

Anatole France, Le Crime de Sylvestre Bonnard .

Voici la solitude effrayante d'un tout puissant ; pour Victor Hugo, c'est une silhouette de Philippe II d'Espagne :

C'est un être effrayant qui semble ne rien voir .
Il rôde d'une chambre à l'autre, pâle et noir .
Il colle aux vitraux blancs son front lugubre et songe .
Spectre et blême ! Son ombre aux feux du soir s'allonge .
Son pas funèbre est lent comme un glas de beffroi .
Et c'est la mort, à moins que ce ne soit le roi .

Pour Corneille, c'est une confession de l'empereur Auguste :

J'ai souhaité l'empire et j'y suis parvenu .
Mais, en le souhaitant, je ne l'ai pas connu .
Dans sa possession, j'ai trouvé pour tous charmes
D'effroyables soucis, d'éternelles alarmes,
Mille ennemis secrets, la mort à tous propos,
Point de plaisir sans trouble et jamais de repos .

Léonard de Vinci, qui rêvait en visionnaire au " grand oiseau blanc " de l'aviation future, pouvait, à d'autres moments, exposer le mécanisme d'une aile . La grâce de la danseuse pose à l'esprit d'Henri Bergson des énigmes tout intellectuelles, et le mathématicien trouve aux flancs du vase une courbe dont il résume le secret dans les nombres .
Ainsi le monde est pour nous spectacle, émotion, pensée, et, comme le monde, la langue qui s'efforce d'en donner une traduction ( traduire : exprimer, de façon plus ou moins directe, en utilisant les moyens du langage ou d'un art) totale .

Nous nous pencherons par la suite sur les instruments, les moyens d' expression nécessaires à l'utilisation, au maniement du langage dans la communication humaine .

Voici pour amorcer le sujet un début de réflexion :

Nous appelons mots abstraits les mots destinés à signifier les sentiments et les idées . Leur usage est difficile, car si la traduction du monde sensible requiert une langue très variée, celle du monde intérieur exige plus de nuances encore, et plus difficiles à saisir, à démêler en nous-mêmes . Avoir peur est très clair, raconter les circonstances où l'on a eu peur est facile, raconter sa peur l'est beaucoup moins ... [à suivre]

Bien à vous, cordialement, Gerboise .

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