mercredi 25 mars 2009
Alain, ou la liberté de transmettre, d'une certaine façon, à ceux qui apprécient un certain type de " rapport " aux Savoirs et à la Réflexion . [ * ]
.
[*] N'est-ce pas dans le fond, un des objectifs " non encore exprimé " dans ce blog par Gerboise : faire connaître, mettre en pleine lumière, rendre public, ses interrogations, ses points de vue, ses préoccupations, compte tenu des contextes du moment [à chaque instant, sur-le-champ, en fonction de ses lectures et multiples observations et considérations (considérer : accorder de l'importance) sur le monde qui nous entoure et nous étreint] , dans ses pages presque quotidiennes ? En somme :
Chercher à convaincre et persuader , faire entrevoir aux autres de suite, sans attendre que le temps atténue, efface, lisse en quelque sorte, les " choses " et les fasse disparaître inexorablement des préoccupations dominantes du moment !
N'est-ce pas ce besoin insatiable (qui ne peut être rassasié,apaisé, satisfait pleinement ) de vouloir " livrer aux autres " [et qui a été une des préoccupations essentielle, dominante et nécessaire à mon équilibre naturel ,durant toute mon existence] qui m'a fait construire ce blog ? Sûrement !
Je viens de découvrir, il y a peu : à peine quelques jours, que ma façon de vouloir transmettre mes idées [ pages journalières décousues , sans plan bien établi au fil des jours ] avait des similarités de forme et de réaction à l'air du temps, analogues à celles des Propos d'Alain .
L'homme, Émile Chartier dit Alain ; les critiques des " Propos " [une parmi d'autres] : pourquoi avoir écrit sous cette forme littéraire et non des livres ?
C'est un des reproches de certains contradicteurs de cet auteur . Ce dernier, nous le verrons plus loin, a réagit à cet état de choses, à cette situation .
Les pages quotidiennes de Gerboise : dans son Blog " Savoirs et Réflexions " , ici-même, n'ont-elles pas une structure similaire ? Ne sont-elles pas des propos qui semblent anarchiques, sans plan, qui arrivent chaque matin à l'aube, [viennent comme un cheveu dans la soupe] ? Ne développent-elles pas un " sujet " qui semble pris au hasard alors qu'il apporte, lui également, sous-jascente, une idée maîtresse présente dans de nombreuses pages : apprendre à développer son propre " esprit critique " , à savoir jauger les informations qui nous parviennent de toute part, certaines ayant la prétention d'être émises en vue de vulgarisation de concepts de toute nature ? Ces pages, n'ont-elles pas un lien de parenté, dans leur type, leur mode de présentation , analogue à celles livrées dans les réflexions, les commentaires d'Alain, dans ses propos publiés chaque matin dans la Gazette de Rouen ?
Le site " Blogger " de Google,sur lequel nous sommes, et dans lequel nos pages sont dispersées [!] dans le monde entier, ne joue-t-il pas le même rôle que le quotidien de la ville de Rouen qui accueillait les Propos d'Alain ?
Surtout n'allez pas croire, à la lecture de ce qui précède, que Gerboise à l'outrecuidance ( prétention, audace, impudence , vanité ) de comparer ses propres pages publiées, présentées dans ce blog , à celles des admirables Propos de cet immense philosophe, connu et admiré dans le monde entier qu'était Alain .
Elles sont d'un autre ordre, elles obéissent à d'autres motivations, à d'autres prétentions, à d'autres objectifs, d'autres fins .
Nos pages sont de nature totalement, foncièrement différentes de celles publiées dans les Propos d'Alain ; à tous les points de vue : qualité du langage, de l'expression des idées, du contenu des thèmes , du but, des desseins, des effets moralisateurs . Mais , comme cet auteur, Gerboise construit ses pages en fonction de l'air du temps, de son désir intense de provoquer chez tous ses lecteurs une sorte de naissance ou de perfection dans la construction de leur " esprit critique " , de ses propres réflexions, de ses idées et impressions du moment, de cette volonté de leur apporter cette capacité d'être capable de " jauger " les informations, les connaissances; surtout apprendre à estimer toutes sortes de textes de vulgarisation, des lectures contemporaines et des livres anciens dignes d'être connus ; des événements survenant à chaque instant de notre vie trépidante, nous parvenant " tout nus " sans explications cohérentes .
Pour vous faire part de mes états d'âme, de ce que j'ai perçu dans l'œuvre d'Alain, je désire vous faire prendre connaissance de la préface de Francis Caplan réalisée dans ce livre :
Propos sur les pouvoirs, publié dans la collection Folio Essais aux Éditions Gallimard, réédition de 1985 .
Dans cette préface Francis Caplan cite des passages importants [ qui pourront expliciter (faire comprendre) notre sujet] présents de l'œuvre de l'auteur dont vous pourrez prendre connaissance plus loin .
Mais auparavant voici une présentation de l' Avant-Propos réalisé par l'éditeur de Émile Chartier :
" Émile Chartier, dit Alain, né le 3 Mars 1868, mort le 2 Juin 1951, écrivain et philosophe, professeur et journaliste, résolument démocrate et pacifiste .
Une œuvre, d'ample envergure et de grand style, singulièrement présente au lecteur, fait d'Alain, trente ans après sa mort, l'une des plus vigoureuses figures de l'humanisme occidental .
Son audience a débordé la sphère (milieu d'influence) francophone, bien qu'il se rencontre peu d'écrivains qui se soient à ce point enracinés dans un sol et une tradition aussi spécifiquement français .
Émile Chartier, Percheron (région du Perche) avoué et revendiqué comme tel par sa ville natale de Mortagne, qui lui consacre un musée, est républicain de naissance . Par formation et métier, c'est un technicien de la philosophie, c'est-à-dire un homme qui, de Platon à Hegel, continue une tradition vivante . De là s'élève, dans la khâgne (ou cagne , classe des lycées qui prépare à l'École normale supérieure de Paris [lettres]) du lycée Henri-IV à Paris la notoriété d'un professeur admiré par ses élèves, craint par ses pairs . Un esprit dont l'ascendant (influence, la fascination, l'attrait) tient à une indépendance qui ne transige (ne fait pas de concessions) pas, se signale par des jugements impitoyables (sévères, sans indulgence) . Parallèlement, et cette fois par une force de nature prodigue et prompte dans ses engagements, Alain, suscité par l'événement [ affaire Dreyfus, séparation de l'Église et de l'État, etc.] , devient journaliste .
Ainsi impose-t-il sa présence dans la vie politique française de 1906 [ apparition du Propos quotidien dans La Dépêche de Rouen ] à 1938 [ Suite à Mars, lucide et ultime témoignage sur la montée de la Seconde Guerre mondiale ] , présence dérangeante qui joint la résistance à l'obéissance, pousse à son terme la désacralisation de l'État, maintient au coeur de la démocratie l'essentielle contradiction des pouvoirs et du citoyen . " Des passions politiques assez vives, écrit-il de lui-même, au service d'opinion en somme modérées le conduisirent à soutenir par la plume et aussi pendant plus de vingt ans par la parole la politique de gauche . Au cours de ces luttes mémorables, il connut Jaurès (homme politique, philosophe et historien français, 1859-1914) ,Francis de Pressensé (Homme politique, Séparation de l'Église et de l'Etat,1856-1914) , Ferdinand Buisson (Éducateur et homme politique français, 1841-1932) , Sérailles, Paul Painlevé (Mathématicien et homme politique français, 1863-1933 ) , toujours en accord avec eux, quoique indiscipliné par nature " . Voilà ce que recouvre le radicalisme (radical, qui vise à agir sur la cause profonde de ce que l'on veut modifier ; partisan de réformes radicales . Parti de réformes modérées, laïque et démocrate) d'Alain : ce n'est pas la doctrine d'un parti politique, c'est la critique radicale du pouvoir comme politique ."
PRÉFACE DE FRANCIS CAPLAN
" Alain est assurément tout le contraire du philosophe de métier présentant sa doctrine dans des traités obscurs, démontrant le sérieux de son entreprise par un langage systématiquement technique, par une accumulation de références et de citations qui le tiennent - et peut-être même visent à le tenir - à l'écart du grand public . Il écrit, au contraire, avec beaucoup de désinvolture, de courts Propos d'une ou deux pages, sur des sujets les plus variés, au hasard de l'inspiration, de l'humeur ou de l'actualité, dans des journaux qui s'adressent à rien moins qu'à des spécialistes . Aussi ceux-ci se sont-ils bien vengés, lui refusant le titre de philosophe, le rabaissant au rang d'essayiste ou de littérateur qui se bornerait à mettre en forme de simples lieux communs [Alain parle lui-même de " la réputation, écrit-il, que j'eus désormais { d'après les Propos} d'improviser et de m'amuser . Je n'ai rien fait pour vaincre ce préjugé " . { Histoire de mes pensées, p. 106} . Pour rester dans le domaine auquel est consacré cet ouvrage, Raymond Aron rappelait qu'Alain lui avait dit :
" Ne prenez pas mes idées politiques trop au sérieux . Il y a seulement des gens que je n'aime pas ; j'ai passé ma vie à le leur dire { L' homme contre les tyrans, p. 106 } " .
Tout Alain est dans cette boutade . A nous de ne pas nous laisser prendre au piège qu'elle nous tend { " Si ce livre, écrit Alain préfaçant les Quatre-vingt-un chapitres sur l'Esprit et les passions , tombait sous le jugement de quelques philosophes de métier, cette seule pensée gâterait le plaisir que j'ai trouvé à l'écrire, plaisir qui fut vif " .
Non seulement cela serait injuste, mais nous passerions à côté d'immenses richesses .
Nous ne jouerons pas au petit jeu stérile de savoir qui le premier a dit quoi . Toute pensée a toujours des antécédents et il est trop facile de la récuser au profit de ceux-ci .
Nous sommes persuadés qu'Alain a apporté quelque chose de nouveau, même s'il s'inscrit dans une évidente tradition . Jamais la nécessité de contrôler les pouvoirs et le mécanisme de ce contrôle, le danger de partis trop rigides n'ont été exposés avec autant de force et de précision, n'ont été fondés avec autant de rigueur .
On peut ne pas admettre ses conclusions . On ne peut pas ne pas au moins les discuter, et sa doctrine est un passage obligé de toute théorie politique .
On a vite dit, il y a une quinzaine d'années [1970] qu'elle est dépassée . Si on entend par là qu'elle est dépassée au sens où peut être dépassée une théorie scientifique, au sens où la théorie de Newton est dépassée par celle d'Einstein, ce serait oublier que la philosophie politique n'est pas une science, même s'il lui arrive d'en prendre le titre, parce qu'elle n'aboutit pas à un corps de propositions admises à un moment donné à peu près universellement par tous ceux qui pratiquent cette discipline . Sans doute, la doctrine d'Alain a été dépassée mais au sens où une mode est dépassée par une autre mode . Ce dépassement est significatif pour le sociologue ou l'historien des mentalités . Il ne l'est pas pour celui qui ne cherche pas à penser ce que les autres pensent mais simplement à penser, c'est-à-dire à penser par lui-même et sous sa propre responsabilité . Ce dépassement n'est réfutation que dans un régime de pensée inauthentique . D'ailleurs, après la faillite retentissante des doctrines qui ont succédé à celle d'Alain dans l'intelligentsia française - du léninisme, sinon du marxisme - , il est clair que ce dépassement est lui-même dépassé .
Encore faut-il avoir accès à la doctrine d'Alain . Encore faut-il surmonter le préalable que constitue son éclatement en propos sans ordre et indépendants les uns des autres .
S'adressera-t-on à un historien qui réécrira dans son propre style cette doctrine à partir des idées développées dans les Propos certes, mais aussi nécessairement avec d'autres mots ?
" Je hais, affirmait Alain, qu'on dise à peu près en mauvais langage ce qu'un auteur a si bien dit [Propos sur l'éducation, LXVII] " .
Mauvais langage ou non, l'historien, en tout cas, édulcorera (affaiblira, atténuera) très probablement et surtout gauchira (déformera, faussera) la pensée qu'il expose :
il n'est - heureusement pour lui - jamais sans idées propres - et comment celles-ci ne coloreront-elles pas, d'une manière ou d'une autre, l'exposé ?
Rien ne remplace le contact avec le texte même .
C'est non seulement la littéralité du texte qui importe, mais la forme des propos . Elle n'est pas sans inconvénient apparent par rapport au but poursuivi . Les Propos en effet " n'ont nullement pour emploi de remplacer quelques chapitre " d'un livre : " Qu'il s'échappe ou même s'égare, c'est sa nature de propos quotidien qui naturellement touche à son sujet concentriquement, sans limite d'ampleur ni d'ambition . C'est la forme même du propos qui rompt l'unité de développement . Chaque propos se retourne sur soi et se termine à soi [ Propos sur la religion, avant-propos] " .
Or cette forme est essentielle .
Alain écrit dans un propos significatif que je crois nécessaire de citer en entier :
" Un ami inconnu m'a écrit : ~ Ces Propos sur la paix et la guerre ne sont que des feuilles volantes ; faites donc un livre ~ . Il y a quelque temps un critique plus sévère me donnait le même conseil sur un autre ton : ~~Quoi, disait-il, toujours des improvisations et des mouvements d'humeur ?
Vous laissez trop au lecteur à coordonner ; et du reste il ne le fait point ; il lit, il oublie .
On ne sème pas un grain de blé, on ensemence un champ . J'admets qu'il y ait une doctrine radicale ; mais encore faut-il la formule afin que d'autres la comparent à ses voisines et la jugent .
Je ne lirai plus vos petits billets ; mais faites un livre ; je le lirai ~~ . "
" Naturellement je sais ce que c'est qu'un livre ; je crois même que je saurai en faire un . Dans la préface, je montrerais l'anarchie des opinions, l'incohérence des doctrines ( ensembles de notions qu'on affirme être vraies et par lesquelles on prétend fournir une interprétation des faits, orienter ou diriger l'action) ; ce qui ferait voir mon livre arrivant à son heure . Après cela je résumerais les prédécesseurs et les contemporains ; cela ferait bien une dizaine de chapitres .
Et puis je développerais mes propres opinions, mais en les ordonnant comme une armée, chaque question à sa place, avec des transitions qui auraient des airs de preuves ; en évitant les répétitions et surtout les apparentes contradictions, qui font la joie des critiques . Après quoi je conclurais, je relirais le tout, et j'aurais envie de le refaire .
Car il faut être bien sec, il me semble, pour relire un livre qu'on vient d'écrire sans en découvrir un autre, bien plus clair, bien plus fort, qui annule le premier .
Mais je passerais outre ; je supporterais même les discours d'un éditeur . En récompense je serais feuilleté par deux ou trois critiques, et aussitôt oublié . On ne lit pas un livre ; on le consulte pour en faire un autre .
On lit des articles, comme on lit des affiches ; si on ne lit pas l'un, on lit l'autre ; on pêche une formule ; on y pense un petit moment . Ce qui est abstrait ou traînant, on le laisse . Un lecteur a des passions vives, et des caprices ; des éclairs, et tout d'un coup une paresse décidée . Mais je suis un chasseur d'alouettes ; je fais tourner mon miroir ; recharge mon fusil ; j'ai ma revanche . Je reviens, je corrige, j'explique . Je répète . L'attention est comme l'oiseau ; il faut perdre bien des flèches pour l'atteindre une fois . Aussi, lire c'est relire ; mais il faut être déjà bien habile dans le métier de liseur pour feuilleter pendant des années .
Donc chaque matin je vous ouvre mon livre à la page qui me plaît ; et je mets le doigt tantôt ici tantôt là .
Soyez distrait ou ennuyé, je m'en moque ; je vous rattraperai demain . Pareillement si je suis ennuyeux ; on ne l'est pas tous les jours . Mais, surtout, par ce travail de retouche perpétuelle, mon livre a le même âge que moi; au lieu que si je l'achevais, il vieillirait tout seul, et à la manière des livres ; enfant noué, enfant ridé . Et cela me fait faire attention à deux sens du mot vieillir . Car vieillir, c'est bien changer ; mais on dit aussi, d'une chose qui n'a point du tout changé : " Cela a bien vieilli ." [ 10 Août 1913].
N'est-ce pas, " en plus pâle[!] ce que Gerboise réalise ; n'est-ce pas son but ?
Et certes, il est exact que les Propos étaient de véritables dialogues dans lesquels le public intervenait soit directement en écrivant à l'auteur - comme le montre André Maurois, par exemple, a eu l'occasion de le faire - soit indirectement par l'actualité politique ou sociale . Seulement cette justification des Propos n'a de sens qu'en tant que ceux-ci sont publiés chaque jour dans un quotidien, non en tant que recueillis dans un livre . De plus, Alain est mort, il ne peut plus répondre aux objections, aux hésitations, aux incompréhensions . Ce dialogue est définitivement rompu .
Il y a une justification plus profonde . La forme des Propos est liée à la méthode de pensée d'Alain, au refus du système déductif, au refus de la Raison, dans le sans kantien ( de Kant, philosophe allemand) du terme, c'est-à-dire dans le sens où la Raison est opposée à l'Entendement .
Les Propos sont, comme le remarque Michel Alexandre, ( philosophe qui a réalisé un ouvrage sur Alain) ,
des " analyses conduites en tous sens, et constamment reprises et renouvelées, mais toujours à propos et au travers de situations réelles, lesquelles exigent de l'esprit, pour être justement saisies, non pas le recours à quelque idéologie, mais à une réflexion effective, une présence entière et en acte .
Cet éveil si rare de l'entendement, pour qu'un Propos en devienne, selon sa raison d'être, l'occasion et le moyen, encore faut-il que le lecteur le tienne vraiment pour un entier, jusqu'à s'y consacrer comme à un entretien ou une expérience réellement vécue [Politique, introduction] " .
Alain disait effectivement dans un texte remarquable - et célèbre :
" Les hommes qui veulent sincèrement penser ressemblent souvent au ver à soie, qui accroche son fil à toutes les choses autour de lui, et ne s'aperçoit pas que cette toile brillante deviendra bientôt solide, et sèche, et opaque, qu'elle voile les choses, et que, bientôt elle les cache ; que cette sécrétion ( élaboration) pleine de riche lumière fait pourtant la nuit et la prison autour de lui ; qu'il tisse en fils d'or son propre tombeau, et qu'il n'a plus qu'à dormir, chrysalide inerte, amusement et parure pour d'autres, inutile à lui-même . Ainsi les hommes qui pensent s'endorment souvent dans leurs systèmes nécropoles ; ainsi dorment-ils, séparés du monde et des hommes ; ainsi dorment-ils pendant que d'autres déroulent leur fil d'or, pour s'en parer . Ils ont un système, comme on a des pièges pour saisir et emprisonner . Toute pensée ainsi est mise en cage, et on peut la venir voir, spectacle admirable, spectacle instructif pour les enfants, tout est mis en ordre dans des cages préparées, le système a tout réglé d'avance .
Seulement le vrai se moque de cela .
Le vrai est, d'une chose particulière à tel moment, l'universel de nul moment .
A le chercher, on perd tout système, on devient homme, on se garde de soi, on se tient libre, puissant, toujours prêt à saisir quelque chose comme elle est, à traiter chaque question comme si elle était seule, comme si elle était la première, comme si le monde était né d'hier [ Les Marchands de sommeil] " .
Faut-il en conclure - comme on l'a pensé trop souvent - et en particulier Michel Alexandre - que cette méthode de pensée interdit un ordre autre que chronologique, c'est-à-dire autre qu'une absence d'ordre ? Ce serait oublier qu'Alain a lu et admiré des philosophes à système, Hegel dont il a cherché " à reconstruire autant qu'[il] le pouvai [t] [le] puissant système [idées] " , Descartes, Spinoza, Comte . Ce serait oublier qu'il a écrit lui-même des livres systématiques, les Éléments de philosophie, les Entretiens au bord de la mer, Les Dieux, les Préliminaires à la mythologie, le Système des beaux-arts ... Ce serait oublier qu'à coté de l'attitude, il y a aussi la doctrine, cette doctrine " d'où dit explicitement Alain, les Propos tireront un peu de lumière [ Portrait de famille, p. 144, cf. p. 176 . Ce n'est pas par hasard que Michel Alexandre, emporté par l'élan, va jusqu'à dire que la politique d'entendement qu'il a définie comme on a vu plus haut ~ est ici { dans les Propos } entreprise hors de toute doctrine ~ ."
Si doctrine il y a, il convient de la mettre en évidence .
Non certes, par un ordre " préconçu [ Michel Alexandre] " , artificiel ; s'il venait d'Alain, il signifierait que celui-ci pense par système déductif et de la part de tout autre ce serait inadmissible parce que indiscret ; ce serait, dans tous les cas, impossible, la forme des propos s'y opposant absolument .
Mais un autre ordre est possible . Laissons " agir " les propos eux-mêmes . On les verra se répondre, se répéter, se prolonger, dialoguer à travers les semaines, les mots, les années . On sait que si on dissocie les cellules d'un œuf au début de son développement, celles-ci se rassemblent au bout de quelque temps, reprennent spontanément leurs rapports primitifs et reconstituent l'œuf décomposé .
C'est à une reconstitution analogue que nous assistons si nous sommes suffisamment attentifs aux liens spontanés que les propos tissent entre eux .
On aboutit alors à un classement, mais naturel et, en quelque sorte, organique . On en vérifiera l'authenticité par l'impossibilité d'en établir, d'une manière satisfaisante, un autre différent .
Certes nous n'avons pas affaire à un puzzle où toutes les pièces s'emboîtent parfaitement les uns dans les autres . Et le lecteur doit être prévenu que le passage d'un propos à un autre n'est pas toujours évident qu'il peut supposer une idée intermédiaire sous-entendue et qu'il lui faudra expliciter, que tel propos traite de plusieurs sujets et que si sa place à tel endroit semble s'imposer pour telle raison que manifeste le contexte, il a à être évoqué à tel autre endroit pour tel autre aspect .
C'est ce jeu - comme on dit qu'un mécanisme a du jeu - qui permet le mieux à la fois de comprendre la doctrine d'Alain et de s'exercer à sa méthode de pensée .
Francis Kaplan .
Au cours du cheminement de notre pensée, nous poursuivrons nos réflexions; et lors des commentaires de certains Propos d'Alain , nous vous apporterons nos propres analyses dans des contextes diversifiés .
A bientôt, bien à vous, Gerboise .
[*] N'est-ce pas dans le fond, un des objectifs " non encore exprimé " dans ce blog par Gerboise : faire connaître, mettre en pleine lumière, rendre public, ses interrogations, ses points de vue, ses préoccupations, compte tenu des contextes du moment [à chaque instant, sur-le-champ, en fonction de ses lectures et multiples observations et considérations (considérer : accorder de l'importance) sur le monde qui nous entoure et nous étreint] , dans ses pages presque quotidiennes ? En somme :
Chercher à convaincre et persuader , faire entrevoir aux autres de suite, sans attendre que le temps atténue, efface, lisse en quelque sorte, les " choses " et les fasse disparaître inexorablement des préoccupations dominantes du moment !
N'est-ce pas ce besoin insatiable (qui ne peut être rassasié,apaisé, satisfait pleinement ) de vouloir " livrer aux autres " [et qui a été une des préoccupations essentielle, dominante et nécessaire à mon équilibre naturel ,durant toute mon existence] qui m'a fait construire ce blog ? Sûrement !
Je viens de découvrir, il y a peu : à peine quelques jours, que ma façon de vouloir transmettre mes idées [ pages journalières décousues , sans plan bien établi au fil des jours ] avait des similarités de forme et de réaction à l'air du temps, analogues à celles des Propos d'Alain .
L'homme, Émile Chartier dit Alain ; les critiques des " Propos " [une parmi d'autres] : pourquoi avoir écrit sous cette forme littéraire et non des livres ?
C'est un des reproches de certains contradicteurs de cet auteur . Ce dernier, nous le verrons plus loin, a réagit à cet état de choses, à cette situation .
Les pages quotidiennes de Gerboise : dans son Blog " Savoirs et Réflexions " , ici-même, n'ont-elles pas une structure similaire ? Ne sont-elles pas des propos qui semblent anarchiques, sans plan, qui arrivent chaque matin à l'aube, [viennent comme un cheveu dans la soupe] ? Ne développent-elles pas un " sujet " qui semble pris au hasard alors qu'il apporte, lui également, sous-jascente, une idée maîtresse présente dans de nombreuses pages : apprendre à développer son propre " esprit critique " , à savoir jauger les informations qui nous parviennent de toute part, certaines ayant la prétention d'être émises en vue de vulgarisation de concepts de toute nature ? Ces pages, n'ont-elles pas un lien de parenté, dans leur type, leur mode de présentation , analogue à celles livrées dans les réflexions, les commentaires d'Alain, dans ses propos publiés chaque matin dans la Gazette de Rouen ?
Le site " Blogger " de Google,sur lequel nous sommes, et dans lequel nos pages sont dispersées [!] dans le monde entier, ne joue-t-il pas le même rôle que le quotidien de la ville de Rouen qui accueillait les Propos d'Alain ?
Surtout n'allez pas croire, à la lecture de ce qui précède, que Gerboise à l'outrecuidance ( prétention, audace, impudence , vanité ) de comparer ses propres pages publiées, présentées dans ce blog , à celles des admirables Propos de cet immense philosophe, connu et admiré dans le monde entier qu'était Alain .
Elles sont d'un autre ordre, elles obéissent à d'autres motivations, à d'autres prétentions, à d'autres objectifs, d'autres fins .
Nos pages sont de nature totalement, foncièrement différentes de celles publiées dans les Propos d'Alain ; à tous les points de vue : qualité du langage, de l'expression des idées, du contenu des thèmes , du but, des desseins, des effets moralisateurs . Mais , comme cet auteur, Gerboise construit ses pages en fonction de l'air du temps, de son désir intense de provoquer chez tous ses lecteurs une sorte de naissance ou de perfection dans la construction de leur " esprit critique " , de ses propres réflexions, de ses idées et impressions du moment, de cette volonté de leur apporter cette capacité d'être capable de " jauger " les informations, les connaissances; surtout apprendre à estimer toutes sortes de textes de vulgarisation, des lectures contemporaines et des livres anciens dignes d'être connus ; des événements survenant à chaque instant de notre vie trépidante, nous parvenant " tout nus " sans explications cohérentes .
Pour vous faire part de mes états d'âme, de ce que j'ai perçu dans l'œuvre d'Alain, je désire vous faire prendre connaissance de la préface de Francis Caplan réalisée dans ce livre :
Propos sur les pouvoirs, publié dans la collection Folio Essais aux Éditions Gallimard, réédition de 1985 .
Dans cette préface Francis Caplan cite des passages importants [ qui pourront expliciter (faire comprendre) notre sujet] présents de l'œuvre de l'auteur dont vous pourrez prendre connaissance plus loin .
Mais auparavant voici une présentation de l' Avant-Propos réalisé par l'éditeur de Émile Chartier :
" Émile Chartier, dit Alain, né le 3 Mars 1868, mort le 2 Juin 1951, écrivain et philosophe, professeur et journaliste, résolument démocrate et pacifiste .
Une œuvre, d'ample envergure et de grand style, singulièrement présente au lecteur, fait d'Alain, trente ans après sa mort, l'une des plus vigoureuses figures de l'humanisme occidental .
Son audience a débordé la sphère (milieu d'influence) francophone, bien qu'il se rencontre peu d'écrivains qui se soient à ce point enracinés dans un sol et une tradition aussi spécifiquement français .
Émile Chartier, Percheron (région du Perche) avoué et revendiqué comme tel par sa ville natale de Mortagne, qui lui consacre un musée, est républicain de naissance . Par formation et métier, c'est un technicien de la philosophie, c'est-à-dire un homme qui, de Platon à Hegel, continue une tradition vivante . De là s'élève, dans la khâgne (ou cagne , classe des lycées qui prépare à l'École normale supérieure de Paris [lettres]) du lycée Henri-IV à Paris la notoriété d'un professeur admiré par ses élèves, craint par ses pairs . Un esprit dont l'ascendant (influence, la fascination, l'attrait) tient à une indépendance qui ne transige (ne fait pas de concessions) pas, se signale par des jugements impitoyables (sévères, sans indulgence) . Parallèlement, et cette fois par une force de nature prodigue et prompte dans ses engagements, Alain, suscité par l'événement [ affaire Dreyfus, séparation de l'Église et de l'État, etc.] , devient journaliste .
Ainsi impose-t-il sa présence dans la vie politique française de 1906 [ apparition du Propos quotidien dans La Dépêche de Rouen ] à 1938 [ Suite à Mars, lucide et ultime témoignage sur la montée de la Seconde Guerre mondiale ] , présence dérangeante qui joint la résistance à l'obéissance, pousse à son terme la désacralisation de l'État, maintient au coeur de la démocratie l'essentielle contradiction des pouvoirs et du citoyen . " Des passions politiques assez vives, écrit-il de lui-même, au service d'opinion en somme modérées le conduisirent à soutenir par la plume et aussi pendant plus de vingt ans par la parole la politique de gauche . Au cours de ces luttes mémorables, il connut Jaurès (homme politique, philosophe et historien français, 1859-1914) ,Francis de Pressensé (Homme politique, Séparation de l'Église et de l'Etat,1856-1914) , Ferdinand Buisson (Éducateur et homme politique français, 1841-1932) , Sérailles, Paul Painlevé (Mathématicien et homme politique français, 1863-1933 ) , toujours en accord avec eux, quoique indiscipliné par nature " . Voilà ce que recouvre le radicalisme (radical, qui vise à agir sur la cause profonde de ce que l'on veut modifier ; partisan de réformes radicales . Parti de réformes modérées, laïque et démocrate) d'Alain : ce n'est pas la doctrine d'un parti politique, c'est la critique radicale du pouvoir comme politique ."
PRÉFACE DE FRANCIS CAPLAN
" Alain est assurément tout le contraire du philosophe de métier présentant sa doctrine dans des traités obscurs, démontrant le sérieux de son entreprise par un langage systématiquement technique, par une accumulation de références et de citations qui le tiennent - et peut-être même visent à le tenir - à l'écart du grand public . Il écrit, au contraire, avec beaucoup de désinvolture, de courts Propos d'une ou deux pages, sur des sujets les plus variés, au hasard de l'inspiration, de l'humeur ou de l'actualité, dans des journaux qui s'adressent à rien moins qu'à des spécialistes . Aussi ceux-ci se sont-ils bien vengés, lui refusant le titre de philosophe, le rabaissant au rang d'essayiste ou de littérateur qui se bornerait à mettre en forme de simples lieux communs [Alain parle lui-même de " la réputation, écrit-il, que j'eus désormais { d'après les Propos} d'improviser et de m'amuser . Je n'ai rien fait pour vaincre ce préjugé " . { Histoire de mes pensées, p. 106} . Pour rester dans le domaine auquel est consacré cet ouvrage, Raymond Aron rappelait qu'Alain lui avait dit :
" Ne prenez pas mes idées politiques trop au sérieux . Il y a seulement des gens que je n'aime pas ; j'ai passé ma vie à le leur dire { L' homme contre les tyrans, p. 106 } " .
Tout Alain est dans cette boutade . A nous de ne pas nous laisser prendre au piège qu'elle nous tend { " Si ce livre, écrit Alain préfaçant les Quatre-vingt-un chapitres sur l'Esprit et les passions , tombait sous le jugement de quelques philosophes de métier, cette seule pensée gâterait le plaisir que j'ai trouvé à l'écrire, plaisir qui fut vif " .
Non seulement cela serait injuste, mais nous passerions à côté d'immenses richesses .
Nous ne jouerons pas au petit jeu stérile de savoir qui le premier a dit quoi . Toute pensée a toujours des antécédents et il est trop facile de la récuser au profit de ceux-ci .
Nous sommes persuadés qu'Alain a apporté quelque chose de nouveau, même s'il s'inscrit dans une évidente tradition . Jamais la nécessité de contrôler les pouvoirs et le mécanisme de ce contrôle, le danger de partis trop rigides n'ont été exposés avec autant de force et de précision, n'ont été fondés avec autant de rigueur .
On peut ne pas admettre ses conclusions . On ne peut pas ne pas au moins les discuter, et sa doctrine est un passage obligé de toute théorie politique .
On a vite dit, il y a une quinzaine d'années [1970] qu'elle est dépassée . Si on entend par là qu'elle est dépassée au sens où peut être dépassée une théorie scientifique, au sens où la théorie de Newton est dépassée par celle d'Einstein, ce serait oublier que la philosophie politique n'est pas une science, même s'il lui arrive d'en prendre le titre, parce qu'elle n'aboutit pas à un corps de propositions admises à un moment donné à peu près universellement par tous ceux qui pratiquent cette discipline . Sans doute, la doctrine d'Alain a été dépassée mais au sens où une mode est dépassée par une autre mode . Ce dépassement est significatif pour le sociologue ou l'historien des mentalités . Il ne l'est pas pour celui qui ne cherche pas à penser ce que les autres pensent mais simplement à penser, c'est-à-dire à penser par lui-même et sous sa propre responsabilité . Ce dépassement n'est réfutation que dans un régime de pensée inauthentique . D'ailleurs, après la faillite retentissante des doctrines qui ont succédé à celle d'Alain dans l'intelligentsia française - du léninisme, sinon du marxisme - , il est clair que ce dépassement est lui-même dépassé .
Encore faut-il avoir accès à la doctrine d'Alain . Encore faut-il surmonter le préalable que constitue son éclatement en propos sans ordre et indépendants les uns des autres .
S'adressera-t-on à un historien qui réécrira dans son propre style cette doctrine à partir des idées développées dans les Propos certes, mais aussi nécessairement avec d'autres mots ?
" Je hais, affirmait Alain, qu'on dise à peu près en mauvais langage ce qu'un auteur a si bien dit [Propos sur l'éducation, LXVII] " .
Mauvais langage ou non, l'historien, en tout cas, édulcorera (affaiblira, atténuera) très probablement et surtout gauchira (déformera, faussera) la pensée qu'il expose :
il n'est - heureusement pour lui - jamais sans idées propres - et comment celles-ci ne coloreront-elles pas, d'une manière ou d'une autre, l'exposé ?
Rien ne remplace le contact avec le texte même .
C'est non seulement la littéralité du texte qui importe, mais la forme des propos . Elle n'est pas sans inconvénient apparent par rapport au but poursuivi . Les Propos en effet " n'ont nullement pour emploi de remplacer quelques chapitre " d'un livre : " Qu'il s'échappe ou même s'égare, c'est sa nature de propos quotidien qui naturellement touche à son sujet concentriquement, sans limite d'ampleur ni d'ambition . C'est la forme même du propos qui rompt l'unité de développement . Chaque propos se retourne sur soi et se termine à soi [ Propos sur la religion, avant-propos] " .
Or cette forme est essentielle .
Alain écrit dans un propos significatif que je crois nécessaire de citer en entier :
" Un ami inconnu m'a écrit : ~ Ces Propos sur la paix et la guerre ne sont que des feuilles volantes ; faites donc un livre ~ . Il y a quelque temps un critique plus sévère me donnait le même conseil sur un autre ton : ~~Quoi, disait-il, toujours des improvisations et des mouvements d'humeur ?
Vous laissez trop au lecteur à coordonner ; et du reste il ne le fait point ; il lit, il oublie .
On ne sème pas un grain de blé, on ensemence un champ . J'admets qu'il y ait une doctrine radicale ; mais encore faut-il la formule afin que d'autres la comparent à ses voisines et la jugent .
Je ne lirai plus vos petits billets ; mais faites un livre ; je le lirai ~~ . "
" Naturellement je sais ce que c'est qu'un livre ; je crois même que je saurai en faire un . Dans la préface, je montrerais l'anarchie des opinions, l'incohérence des doctrines ( ensembles de notions qu'on affirme être vraies et par lesquelles on prétend fournir une interprétation des faits, orienter ou diriger l'action) ; ce qui ferait voir mon livre arrivant à son heure . Après cela je résumerais les prédécesseurs et les contemporains ; cela ferait bien une dizaine de chapitres .
Et puis je développerais mes propres opinions, mais en les ordonnant comme une armée, chaque question à sa place, avec des transitions qui auraient des airs de preuves ; en évitant les répétitions et surtout les apparentes contradictions, qui font la joie des critiques . Après quoi je conclurais, je relirais le tout, et j'aurais envie de le refaire .
Car il faut être bien sec, il me semble, pour relire un livre qu'on vient d'écrire sans en découvrir un autre, bien plus clair, bien plus fort, qui annule le premier .
Mais je passerais outre ; je supporterais même les discours d'un éditeur . En récompense je serais feuilleté par deux ou trois critiques, et aussitôt oublié . On ne lit pas un livre ; on le consulte pour en faire un autre .
On lit des articles, comme on lit des affiches ; si on ne lit pas l'un, on lit l'autre ; on pêche une formule ; on y pense un petit moment . Ce qui est abstrait ou traînant, on le laisse . Un lecteur a des passions vives, et des caprices ; des éclairs, et tout d'un coup une paresse décidée . Mais je suis un chasseur d'alouettes ; je fais tourner mon miroir ; recharge mon fusil ; j'ai ma revanche . Je reviens, je corrige, j'explique . Je répète . L'attention est comme l'oiseau ; il faut perdre bien des flèches pour l'atteindre une fois . Aussi, lire c'est relire ; mais il faut être déjà bien habile dans le métier de liseur pour feuilleter pendant des années .
Donc chaque matin je vous ouvre mon livre à la page qui me plaît ; et je mets le doigt tantôt ici tantôt là .
Soyez distrait ou ennuyé, je m'en moque ; je vous rattraperai demain . Pareillement si je suis ennuyeux ; on ne l'est pas tous les jours . Mais, surtout, par ce travail de retouche perpétuelle, mon livre a le même âge que moi; au lieu que si je l'achevais, il vieillirait tout seul, et à la manière des livres ; enfant noué, enfant ridé . Et cela me fait faire attention à deux sens du mot vieillir . Car vieillir, c'est bien changer ; mais on dit aussi, d'une chose qui n'a point du tout changé : " Cela a bien vieilli ." [ 10 Août 1913].
N'est-ce pas, " en plus pâle[!] ce que Gerboise réalise ; n'est-ce pas son but ?
Et certes, il est exact que les Propos étaient de véritables dialogues dans lesquels le public intervenait soit directement en écrivant à l'auteur - comme le montre André Maurois, par exemple, a eu l'occasion de le faire - soit indirectement par l'actualité politique ou sociale . Seulement cette justification des Propos n'a de sens qu'en tant que ceux-ci sont publiés chaque jour dans un quotidien, non en tant que recueillis dans un livre . De plus, Alain est mort, il ne peut plus répondre aux objections, aux hésitations, aux incompréhensions . Ce dialogue est définitivement rompu .
Il y a une justification plus profonde . La forme des Propos est liée à la méthode de pensée d'Alain, au refus du système déductif, au refus de la Raison, dans le sans kantien ( de Kant, philosophe allemand) du terme, c'est-à-dire dans le sens où la Raison est opposée à l'Entendement .
Les Propos sont, comme le remarque Michel Alexandre, ( philosophe qui a réalisé un ouvrage sur Alain) ,
des " analyses conduites en tous sens, et constamment reprises et renouvelées, mais toujours à propos et au travers de situations réelles, lesquelles exigent de l'esprit, pour être justement saisies, non pas le recours à quelque idéologie, mais à une réflexion effective, une présence entière et en acte .
Cet éveil si rare de l'entendement, pour qu'un Propos en devienne, selon sa raison d'être, l'occasion et le moyen, encore faut-il que le lecteur le tienne vraiment pour un entier, jusqu'à s'y consacrer comme à un entretien ou une expérience réellement vécue [Politique, introduction] " .
Alain disait effectivement dans un texte remarquable - et célèbre :
" Les hommes qui veulent sincèrement penser ressemblent souvent au ver à soie, qui accroche son fil à toutes les choses autour de lui, et ne s'aperçoit pas que cette toile brillante deviendra bientôt solide, et sèche, et opaque, qu'elle voile les choses, et que, bientôt elle les cache ; que cette sécrétion ( élaboration) pleine de riche lumière fait pourtant la nuit et la prison autour de lui ; qu'il tisse en fils d'or son propre tombeau, et qu'il n'a plus qu'à dormir, chrysalide inerte, amusement et parure pour d'autres, inutile à lui-même . Ainsi les hommes qui pensent s'endorment souvent dans leurs systèmes nécropoles ; ainsi dorment-ils, séparés du monde et des hommes ; ainsi dorment-ils pendant que d'autres déroulent leur fil d'or, pour s'en parer . Ils ont un système, comme on a des pièges pour saisir et emprisonner . Toute pensée ainsi est mise en cage, et on peut la venir voir, spectacle admirable, spectacle instructif pour les enfants, tout est mis en ordre dans des cages préparées, le système a tout réglé d'avance .
Seulement le vrai se moque de cela .
Le vrai est, d'une chose particulière à tel moment, l'universel de nul moment .
A le chercher, on perd tout système, on devient homme, on se garde de soi, on se tient libre, puissant, toujours prêt à saisir quelque chose comme elle est, à traiter chaque question comme si elle était seule, comme si elle était la première, comme si le monde était né d'hier [ Les Marchands de sommeil] " .
Faut-il en conclure - comme on l'a pensé trop souvent - et en particulier Michel Alexandre - que cette méthode de pensée interdit un ordre autre que chronologique, c'est-à-dire autre qu'une absence d'ordre ? Ce serait oublier qu'Alain a lu et admiré des philosophes à système, Hegel dont il a cherché " à reconstruire autant qu'[il] le pouvai [t] [le] puissant système [idées] " , Descartes, Spinoza, Comte . Ce serait oublier qu'il a écrit lui-même des livres systématiques, les Éléments de philosophie, les Entretiens au bord de la mer, Les Dieux, les Préliminaires à la mythologie, le Système des beaux-arts ... Ce serait oublier qu'à coté de l'attitude, il y a aussi la doctrine, cette doctrine " d'où dit explicitement Alain, les Propos tireront un peu de lumière [ Portrait de famille, p. 144, cf. p. 176 . Ce n'est pas par hasard que Michel Alexandre, emporté par l'élan, va jusqu'à dire que la politique d'entendement qu'il a définie comme on a vu plus haut ~ est ici { dans les Propos } entreprise hors de toute doctrine ~ ."
Si doctrine il y a, il convient de la mettre en évidence .
Non certes, par un ordre " préconçu [ Michel Alexandre] " , artificiel ; s'il venait d'Alain, il signifierait que celui-ci pense par système déductif et de la part de tout autre ce serait inadmissible parce que indiscret ; ce serait, dans tous les cas, impossible, la forme des propos s'y opposant absolument .
Mais un autre ordre est possible . Laissons " agir " les propos eux-mêmes . On les verra se répondre, se répéter, se prolonger, dialoguer à travers les semaines, les mots, les années . On sait que si on dissocie les cellules d'un œuf au début de son développement, celles-ci se rassemblent au bout de quelque temps, reprennent spontanément leurs rapports primitifs et reconstituent l'œuf décomposé .
C'est à une reconstitution analogue que nous assistons si nous sommes suffisamment attentifs aux liens spontanés que les propos tissent entre eux .
On aboutit alors à un classement, mais naturel et, en quelque sorte, organique . On en vérifiera l'authenticité par l'impossibilité d'en établir, d'une manière satisfaisante, un autre différent .
Certes nous n'avons pas affaire à un puzzle où toutes les pièces s'emboîtent parfaitement les uns dans les autres . Et le lecteur doit être prévenu que le passage d'un propos à un autre n'est pas toujours évident qu'il peut supposer une idée intermédiaire sous-entendue et qu'il lui faudra expliciter, que tel propos traite de plusieurs sujets et que si sa place à tel endroit semble s'imposer pour telle raison que manifeste le contexte, il a à être évoqué à tel autre endroit pour tel autre aspect .
C'est ce jeu - comme on dit qu'un mécanisme a du jeu - qui permet le mieux à la fois de comprendre la doctrine d'Alain et de s'exercer à sa méthode de pensée .
Francis Kaplan .
Au cours du cheminement de notre pensée, nous poursuivrons nos réflexions; et lors des commentaires de certains Propos d'Alain , nous vous apporterons nos propres analyses dans des contextes diversifiés .
A bientôt, bien à vous, Gerboise .
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1 commentaire:
7You might agree that these are all pretty simple and that's what's so good about them If you are given an example for a specific tactic you'll be surprised at the ideas that will coming out at youThe last half of this verse tells you that this man will be allowed to take peace from the entire earth - not just from a few countries
The down side is that these monsters can easily weigh three times as much as an ultralight It is harmonic and it was understood by the builders of the Great Pyramid(c) Copyright 2004, Catherine Franz
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That kind of glowing excitement for life is impossible to hide Take control of your finances now and when you do win the lottery, or marry up or experience any one of a host of lucky events, you'll be pleasantly surprised Of course, I have to actually get the women in my home to see them since I cannot take the cats out for a stroll in the neighborhood, but once the hard part is done, it's smooth sailing from there
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