mardi 5 janvier 2010

Le langage : instrument de la pensée ! Equivoque*, Ambiguïté**, Double sens***...

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* Équivoque : interprétation différente d'une expression qui n'existe que dans la pensée de celui qui parle ; qui a deux sens entre lesquels on hésite, et souvent qui a été rendu tel à dessein ; marque un défaut toujours fâcheux et se dit surtout des mots . Douteux, obscur .
** Ambiguïté : sens général susceptible d'être compris de plusieurs façons ; ambigu, en parlant des pensées, des discours, des actions, qui présente deux ou même plusieurs sens possibles de sorte que l'esprit ne saurait se déterminer clairement pour aucun . Incertitude, indécision , malentendu, quiproquo.
*** Double sens : qui a deux significations, l'une facile à comprendre, l'autre plus ou moins difficile à saisir .


Le langage a pour but de traduire, décrypter les idées par des mots . Le langage a pour dessein de décoder, transcrire les jugements et les raisonnements par des phrases .

Mais il n'est pas une expression adéquate,appropriée, ni même logique , cohérente, de la pensée .

Le langage est un système de signes, comme la mimique, la gestuelle, - le plus souple, le plus complexe et le moins imparfait, pour objectiver les faits psychiques, la pensée .

La formation et le développement du langage sont donc associés intimement à la formation et au développement de la pensée humaine . Les lois psychologiques de l'intelligence sont en rapport étroits avec celles de la parole . L'élaboration et la conservation de la connaissance ne peuvent guère se concevoir, abstraction faite des signes qui fixent les idées .

Le mot n'exprime pas l'idée : il l'évoque ( la rappelle à la conscience) imparfaitement et en général par l'intermédiaire d'une image [ nous développerons cet aspect dans un futur article concernant l'imagination].

" Comprendre un mot, une phrase, ce n'est pas avoir l'image des objets réels que représente ce mot ou cette phrase, mais bien sentir en soi un faible réveil des tendances de toute nature qu'éveillerait la perception des objets représentés par le mot " .

L'analyse de la formation spontanée et même artificielle des mots montre quelle part prépondérante est réservée à l'imagination dans les opérations intellectuelles, et quel rôle minime a joué, en revanche, l'abstraction, même pour la formation primitive des idées générales .

Les objets sont désignés à l'aide d'images qui évoquent l'un de leurs aspects les plus frappants . Un objet est souvent désigné par un mot qui était affecté auparavant à un objet voisin : c'est la métaphore, qui repose essentiellement sur l'association des idées, comme les autres figures de grammaire .
Cette opération est provoquée par la faculté qu'a toute représentation psychologique d'éveiller dans l'esprit une image ou une idée apparentée par un rapport quelconque .

C'est par le procédé métaphorique qu'on a exprimé, au début, les idées abstraites .

Penser, à l'origine, c'est peser [ ses idées] , les évaluer, les apprécier; peser ses mots ! .

Le langage n'a pas moins de rapports avec la mémoire, dont l'association des idées est le principe directeur .

Qu'elle soit auditrice, motrice, visuelle, olfactive, tactile ou gustative, la mémoire est facilitée par le langage, puisque la parole est, suivant le point de vue, un ensemble de sons entendus ou de sons proférés, et qu'elle peut se traduire en signes visibles .

De même qu'il est plus aisé d'éveiller les images que les idées abstraites, de même des signes sonores
ou visuels arrivent à être évoqués plus facilement par le cerveau que les images dont ils sont la représentation . La mémoire des mots, qui peut se substituer à la mémoire des idées, et qui lui est, en tout cas, d'un grand secours, procède des même lois : elle varie en raison de la vivacité et de la répétition de l'expression première, comme en raison de la possibilité d'association . La mnémotechnie (capacité d'aider la mémoire par des associations mentales) n'est qu'une application particulière de l'association des idées .

Mais si le langage est en relation directe avec les lois psychologiques de la pensée, il n'a guère de contact avec la logique . Il ignore l'opération de la généralisation comme celle de l'abstraction . Le logicien nous enseigne que l'idée d'oiseau dérive d'une comparaison entre les diverses espèces d'oiseaux dont on a abstrait les caractères généraux .

Le langage procède par une toute autre voie .

Quand le latin a appelait l'oiseau volubilis en songeant au vol de ces animaux, il ne faisait pas une généralisation à proprement parler, puisque les oiseaux ont entre eux bien d'autres caractères communs en dehors du vol, et que le vol caractérise en outre les insectes, par exemple, qui ne sont pas désignés par ce mot .

Aucune langue n'a un mot populaire pour désigner les mammifères ou les insectes . L'image, comme le mot, est susceptible d'éveiller un groupe d'êtres plus ou moins restreints, suivant les cas ou suivant les peuples : une population de pêcheurs distinguera divers poissons, tandis que des " terriens " se contenteront souvent d'un seul terme . Mais aucune idée de classification rationnelle ne préside à ces dénominations .

Comme les jugements et les raisonnement s'expriment à l'aide de phrases, on en a conclu longtemps que la " grammaire générale " était la logique du langage, et que le langage obéissait et devait obéir aux lois de la raison . Rien n'est moins exact . Les formes et la syntaxe s'expliquent historiquement par des évolutions dans laquelle la psychologie seule joue son rôle - par voie analogique ;

et c'est au contraire la pensée qui doit se couler dans le moule de la phrase et se plier à l'ordre des mots
.

Même les esprits les plus vigoureux, s'ils arrivent à imprimer à leur style le cachet de leur pensée, sont impuissants à transformer la syntaxe d'une langue .

Il n'y a pas plus de logique dans la construction française courante qui place le verbe entre le sujet et le complément, que dans les constructions allemandes qui rejettent le verbe à la fin de la phrase, ou dans les tournures interrogatives qui mettent le sujet après le verbe, ou dans la phrase arabe qui met le complément avant le verbe . Tout n'est qu'une question d'usage, d'associations d'idées .

Le langage est devenu à peu près inséparable de la pensée . Penser, n'est-ce pas, en général, se parler à soi-même ?

Parole intérieure, si finement analysée par tous ceux qui se passionnent pour les rapports entre soi-même et les autres ! Le langage, qui a pour but de communiquer la pensée, contribue à la former, en la fixant par des signes sonores, précis et objectifs, qui permettent une analyse plus rigoureuse, - à la simplifier aussi, parce qu'elle substitue des formules aux images et aux idées . Le signe ( ce qui permet de deviner ou de prévoir, de connaître ou de reconnaître quelque chose ; représentation ou action sensible permettant de faire connaître une pensée ou de manifester un désir ; élément du langage) , créé pour le service de la pensée, réagit à son tour sur elle, et facilite le travail intellectuel en permettant de penser des mots, substituts des idées : il tend à avoir une valeur propre .

Le mot - théoriquement et à l'origine - est bien un signe arbitraire et conventionnel . Mais pour un individu donné, il se présente sous un aspect différent, comme un signe évocateur d'une ou plusieurs idées auxquelles il est lié pour une association habituelle et, qui plus est, héréditaire .

Le langage de chaque individu, est " un système complexe d'associations inconscientes, de mouvements et de sensations au moyen desquelles il peut parler et comprendre les paroles émises par d'autres " .

Le mot est évocateur en bloc et non en détail .

La linguistique (science qui a la langue pour objet) assurait jadis que chaque partie du mot a sa signification propre : aux yeux du savant, sans doute, qui, par une analyse minutieuse, retrouve dans les flexions, suffixes et radicaux, les résidus des étapes antérieures et les témoins des filiations historiques ; mais pour celui qui parle, le mot forme un tout, et si sa décomposition est un procédé de critique scientifique, elle ne correspond pas à la vie subjective ou objective du langage .

Le mot forme un tout .

Encore son individualité est-elle souvent bien imparfaite . L'indépendance du mot par rapport à la phrase est toute relative .
La décomposition du discours en ses différents termes par la grammaire suppose déjà un état intellectuel avancé, une force de réflexion et d'analyse qui est étrangère à la plupart des individus qui parlent une langue .
Essayez de faire séparer les mots d'une phrase à quiconque n'a pas étudié la grammaire, et vous serez frappé par les erreurs commises, plus encore par les hésitations et les incertitudes .

Il n'y a donc pas équivalence exacte entre le mot et l'idée, puisque le mot n'a pas, en général, une forme fixe, et que, pour chaque forme spéciale, une notion de nombre, de sexe, de personne, de temps, de mode, etc., s'ajoute - parfois en double, en triple ou en quadruple - à l'idée représentée .

Mais pour un mot donné, cette idée même est susceptible de variation suivant la phrase, le lieu et le moment, le milieu social, les dispositions de l'individu ou l'individu lui-même .

Dans aucune langue, un seul mot ne correspond à une idée et à une seule .Chaque mot a eu en général, plusieurs significations, de même qu'une idée peut être exprimée par un certain nombre de synonymes .

Tel mot prend un sens différent suivant le contexte ou les circonstances dans lesquelles il est prononcé .

Examinez le mot " ascension " in abstracto (dans l'abstrait) et en grammairien : vous reconnaîtrez qu'il est susceptible de désigner, dans la langue actuelle, une fête religieuse, une ascension de montagne ou l'ascension symbolique vers les honneurs, la hiérarchie d'une entreprise, d'une carrière professionnelle ... etc.
Prêtera-t-il à l'amphibologie (double sens présenté par une phrase) dans le langage ? Nullement, car la phrase suffira souvent, à elle seule, à l'éclairer ; et il n'y aura aucune hésitation quand on demandera : " Quelle est la date de l'Ascension cette année ? " ou " Combien d'heures faut-il pour faire l'ascension du Mont Blanc ?"

Mais la phrase elle-même est enveloppée dans une ambiance qui précise encore le sens des termes :

sujet de conversation pour les interlocuteurs, - milieu naturel ou social qui suffit à fixer les idées, à défaut de la phrase, pour le début de la conversation ou pour le nouvel auditeur qui surgit . Le mot " ascension " , affiché à la porte d'une église, évoque une idée aussi précise, quoique différente, que le même terme entendu à la montagne dans un groupe d'alpinistes .

De là vient que les mots ont une tendance à se spécialiser en raison du milieu social, car, suivant la profession, le genre de vie, les habitudes, un vocable, doué de plusieurs significations dans la langue générale, s'associe plus étroitement à l'une d'entre elles, pour de tels individus ou tels groupes .

Le mot reprise , lancé à brûle-pourpoint, évoquera une idée toute différente chez un auteur dramatique, un pianiste, un escrimeur, un notaire, un tacticien, un agent de change ou une femme de chambre .
C'est le germe des langues spéciales . Pour des hommes du XVIIe siècle, des termes comme enfer, royauté , par l'ensemble des idées associées qu'ils éveillaient, avaient une toute autre valeur que pour nous .

La valeur du mot est susceptible de varier suivant le moment et selon les dispositions de l'individu . Sous l'influence de la colère, les termes prennent une signification tout autre, les images jaillissent, les métaphores se précipitent, - dans la recherche de l'expression forte, violente, susceptible de frapper l'adversaire : hommes ou femmes des couches populaires qui se querellent, se jettent à la tête des noms d'animaux, des mots désignant des individus tarés, débiles,ou des professions infâmes déshonorantes, violemment détournées, pour les besoins de la cause, de leur signification : ainsi s'explique la formation des termes injurieux . Comparez, à l'autre pôle, la prudence et la réserve des diplomates en conférence, pesant la valeur des mots, et jaugeant les termes sous toutes leurs faces . - Les expressions " un bon lit " , " une source fraîche " , ont-elles la même valeur en temps normal, en hiver, et au retour d'une ascension estivale ?

On dit parfois que dans aucune langue il n'y a de synonymes parfaits .

Pareille affirmation n'est exacte - approximativement - que pour le langage d'un individu déterminé : car si chacun, lorsqu'il est de sang-froid, donne un sens assez précis à chaque mot, en revanche la valeur des synonymes est essentiellement variable d'un individu à l'autre, et les différences assignées entre eux par des grammairiens sont souvent artificielles, surtout dans les langues littéraires où divers mots, issus de sources différentes, sont tombés pêle-mêle et au hasard dans un déversoir commun . Péninsule et presqu'île , celui-là savant, celui-ci populaire, ont exactement le même sens étymologique : l'usage décide de leur emploi et il varie suivant les habitudes, la culture intellectuelle, la recherche ou l'aversion du terme technique .

Ailleurs la signification originaire, l'histoire des mots est différente, comme pour parler [dire une parabole ( récit allégorique, comparaison) ] et causer [ alléguer ( mettre en avant, invoquer, ) ], visage [ sens conservé] et figure [sens géométrique] .

Si les divergences sont aussi sensibles chez un même individu ou chez deux individus voisins, l'écart est bien plus grand entre des peuples éloignés, surtout lorsqu'ils parlent des idiomes ( langues envisagées comme moyen d'expression propre à une communauté) différents .

D'une langue à l'autre, il n'y a pas d'équivalence entre les moyens d'expression, et une traduction rigoureusement exacte d'une conversation aussi bien que d'une œuvre littéraire, ne saurait se concevoir . Le faisceau d'idées multiples susceptibles d'être exprimées par un mot varie d'une langue à l'autre, et les associations formées entre elles à l'aide du terme commun sont trop étroites pour que l'évocation de l'une d'elles n'entraîne pas peu ou prou (plus ou moins, quasiment) celle de sa voisine qui est différente suivant l'idiome : il en résultera une altération, insensible peut-être, mais certaine du concept .

Quand le Latin employait sapere au sens abstrait de " savoir " , pouvait-il faire complètement abstraction des significations " avoir de la saveur " , " percevoir une saveur " que possédait aussi ce verbe, et lui donner un sens aussi purement abstrait que le Français se servant de savoir ?

Le langage ne saurait donc prétendre à réaliser la transmission exacte de la pensée .

Il est seulement l'instrument le moins imparfait qui permette la transmission des idées
.

Nous poursuivrons cette analyse des différents aspects du langage dans un prochain article de ce site, en développant notamment ses perspectives sociales, le problème des sons articulés,sa transcription par l'écriture et enfin la diversité des langues dans le monde depuis la plus haute Antiquité .

Cordialement votre en ce début de l'année nouvelle . Gerboise .


1 commentaire:

Gladiorum a dit…

En fait, je crois que la pensée n'est simplement qu'une abstraction imaginaire qui, comme vous l'avez dit si justement n'est que parler à soi-même. Une discussion à soi-même, une intériorisation. Le langage avec les autres, c'est comme les fourmis, c'est un lien, une exposition d'ensemble de pensées.