vendredi 20 février 2009

Données sur la réelle compétence de la fonction de chef: "être orfèvre en la matière " [*] . Le leg d'un outil inestimable d'Emile Chartier,dit ALAIN.

[*] S'y connaître parfaitement sur " les dessous " et les non-dits de ce concept.

Nous allons continuer à présenter des " Propos de ce Personnage " hors du commun , qui les a fait paraître quotidiennement dans la Dépêche de Rouen dès 1906 jusqu'à 1938 ! car ils nous apportent une richesse de Réflexions, parfois très difficile à analyser, qui nous incite à nous poser des questions cruciales sur notre société, toujours pertinentes de nos jours .


Nos seules interventions seront d'expliciter et de définir certains termes et expressions, au fil du texte, qui nous ont semblé devoir l'être ! Le reste se passe de commentaires , tout est là , n'est-ce-pas ? Cependant si des questions surviennent dans votre esprit, que vous ne sauriez en un premier temps, résoudre, vous pouvez toujours les poser dans la rubrique : commentaires , en fin du billet . Nous serons toujours heureux de vous apporter une réponse .

Voici celle parue le 8 Janvier 1911 dans cette Gazette de Rouen [n° 38, Propos sur les pouvoirs, Éditions Gallimard] particulièrement réaliste et pleine d'enseignements . Elle a pour propos[!] de nous faire entrevoir que " la fonction du chef " ne relève pas (toujours) de la compétence technique.

" L'administration, par sa nature, choisit et élève (prend en considération) les diplomates, non les savants .

Tout administrateur doit être prometteur (encourageant par des promesses, même en l'air ! de " Gascon ", non tenues) , conciliateur (qualités d'un personnage qui s'efforce de concilier, à tout prix, les différentes " parties "[individus, groupes ...] entre elles ; concilier : faire aller ensemble, rendre harmonieux ce qui était, est, très différent, contraire ) , pacificateur (vertu d'un personnage qui est capable de ramener la paix et de calmer les esprits ) .

Les colères, les envies, les rivalités, les compétitions, les intrigues, les dénonciations, voilà sa matière propre (caractéristique) . Il n'y a pas ici de spécialités ;

Il faut savoir la mécanique humaine
.

Ainsi ce n'est pas la science juridique qui fait un bon préfet ; ni la science des phénomènes électriques qui fait un bon directeur des télégraphes (en pleine expansion à cette époque, 1911, d'où le choix de l'auteur du Propos) ; ni la science des annuités et des risques qui fait un bon directeur de la mutualité ; ni la science des transports qui fait un bon directeur des chemins de fer ; ni la science des courants et des remous (hydraulique) Supérieure des Travaux Publics qui fait un bon directeur de la navigation fluviale ; ni la science des pierres, des mortiers, des bétons (diplômé de l'École) , qui fait un bon directeur des ponts et chaussées ; ni la science de la peinture, de la sculpture, du théâtre, qui fait un bon directeur des beaux-arts .

Ces sciences conviennent à de petits ingénieurs sans avenir, ou à de petits chefs de bureau, ou à de petits agents voyers (à l'époque, officiers préposés à la police des chemins et à celle des rues) , ou à des petits habilleurs ou metteurs en scène .

Dès que l'on s'élève, on règne sur des hommes, non sur des choses, et l'on a à considérer non pas les lois des choses, mais la marche des passions .

Voilà ce que signifie la formule connue : " C'est un bon technicien, mais ce n'est pas un bon administrateur " .

Je lisais récemment qu'un grand inventeur des télégraphes venait de mourir, avec une toute petite retraite. Je me demandais au premier moment : "Comment n'était-il pas chef de service" ? La réponse est aisée à trouver . Il savait le télégraphe, non les passions (ce qui régit les êtres humains!) . Comment aurait-il pu recevoir des solliciteurs, deviner ce qu'ils ne disaient pas, apercevoir leurs desseins (leurs buts, leurs intentions) cachés, peser (estimer) leur ambitions ; reconstruire leur ménage, évaluer leurs dettes, flairer ( discerner) leurs alliances, évaluer leurs dettes, flairer leurs cousinages (agir familièrement avec quelqu'un) , et jusqu'aux protecteurs (!) de leurs femmes, et en même temps se cacher à eux, dissimuler, feindre ( donner pour réel un sentiment, une qualité que l'on n'a pas ) un vif intérêt pour les choses de peu ( insignifiantes ) , accueillir d'un air glacé (avec impassibilité) les révélations inattendues ; parler enfin pour ne rien dire, insinuer et nier, laisser entendre et ne rien faire entendre, user la faim ( les envies) de l'adversaire en lui jetant des possibles inextricables (que l'on ne peut démêler que très difficilement) ; le renvoyer content et mécontent, irrité pour de nouveaux griefs (sujets , motifs de plainte) , et oublieux des anciens, et en somme opposer une passion à une autre, et coupler les désirs comme des chiens, afin de les tenir sans tirer trop sur la corde ?

Tout cet art n'a aucun rapport avec la connaissance des courants électriques et des signaux distincts courant (se déplaçant) en même temps sur le même fil .
Je dis même que les deux sciences ne vont guère ensemble . Car l'inventeur est un ingénu (qui a une sincérité innocente et naïve) , qui pense tout haut (qui ne cache rien aux autres) ; ses idées sont plus fortes que lui . Au contraire, à vouloir faire taire les idées, on les endort .

Le vrai diplomate est celui qui ne pense rien .

De là un choix inévitable des médiocres pour la plus haute direction ; je dis des médiocres dans la science même . Par exemple, je suis sûr que le directeur des télégraphes est médiocre en science télégraphique; le directeur de navigation médiocre en science hydraulique ; le directeur de l' Observatoire, médiocre en sciences astronomiques ; le directeur de la mutualité, médiocre en science économique .


Mais tous sont supérieurs dans l'art de tromper .

Le technicien reste au second rang, heureux encore s'il y arrive . De là l'incompétence des chefs, en toute chose, et l'impuissance des services techniques, en toute chose, excepté à faire oublier leur impuissance et leur incompétence ; à quoi ils s'entendent (ils sont passés experts et se comprennent eux-mêmes ) merveilleusement ".

Oui, nous pouvons dire que l'auteur avait " la dent dure " (être sévère dans la critique ) , mais aussi qu'il était un observateur de la condition humaine hors pair ( sans égal) . Sa pénétration dans cette conscience humaine était admirable et remarquable . Elle doit être pour nous un modèle de Réflexion, utilisable à tout instant, et dans toutes les circonstances .

Que dire de plus que l'auteur ? Je vous laisse savourer, apprécier le contenu de l'une des réflexions qu'Alain dispensait chaque jour à ses contemporains et qu'il nous a ainsi légué pour nous en imprégner .

Bien à vous, Gerboise .

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