Il ne faudrait point croire cependant que l'orateur est responsable de tout ce qu'il dit, ni qu'il garde la notion du temps qui s'écoule durant qu'il parle . Il émane (qui semble se dégager) de lui une sorte de force hypnotique (qui provoque une sorte de sommeil, une perte de toute réflexion) à laquelle il soumet (mettre en état de dépendance) l'auditoire ; mais lui-même est sous l'influence du fluide (force, influence subtile qui rayonne et se dégage des êtres et des choses) . Un orateur est toujours inspiré (animé par un souffle créateur) , quelque médiocre que soit son propos . L'orateur s'agite, et son "subconscient "(se dit d'un phénomène qui n'échappe pas totalement à la conscience sans lui être toutefois nettement perceptible) le mène . " Se griser (s'exalter, s'étourdir) de ses propres paroles " , voilà une métaphore au sens exact . Rencontrez-vous un tribun descendant de la tribune, vous l'entendez s'enquérir : " Ai-je parlé longtemps ? Ai-je été dur ? Ai-je été clair ? ... " Il ne sait plus ; il sort d'un autre monde, il était " en état second " ; il reprend soudainement conscience ( "il retombe sur ses pieds ! il revient sur terre" !) . Tel est l'effet de l'inspiration (souffle créateur qui anime les conférenciers, [les écrivains] , les artistes, les chercheurs) oratoire .
Mais nous savons tous que certains hommes publics écrivent avant de parler . Malheureusement quelques-uns d'entre eux oublient en parlant ce qu'il ont résolu (décidé avec vigueur) de dire et, le papier tutélaire (qui assure une protection, une sécurité, un état de dépendance) sous les yeux, on les voit emportés par le fiévreux (qui est dans l'agitation de l'inquiétude, fébrile) démon de l'éloquence (facilité pour bien s'exprimer, ici , nuance péjorative). D'autres restent fidèles aux engagements qu'ils ont pris envers eux-mêmes et ne cèdent point aux tentations fallacieuses (illusoires, hypocrites, trompeuses) de l'improvisation (art de composer sur -le-champ et sans préparation, à la hâte) . Ce sont les meilleurs orateurs . Ils ne parlent pas souvent, ni très longtemps .
Le nouveau règlement qu'essayent d'élaborer les députés discrets ne leur sera jamais imposé . Ce sont ceux qui pensent avant de parler et qui, parlant, ne disent que ce qu'ils ont pensé .
Et pourtant leur art oratoire (art de parler en public ) est parfois tenu pour inférieur . On a coutume de les dénoncer comme " préparant " beaucoup . C'est que les belles images où les poètes sont représentés une lyre à la main et regardant le ciel ont convaincu les liseurs de vers que les poètes chantent spontanément, comme nous conversons . Le manuscrit d'un poème couvert de ratures (retouches, surcharges, modifications pêle-mêle) nous paraît sacrilège ; il nous semble qu'il y a tromperie . Et quand nous entendons un orateur discourant avec véhémence(ardeur, fougue, passion, vivacité) , nous sommes tentés de l'accuser d'imposture (d'hypocrisie, de mystification de celui qui abuse) , si nous découvrons que le verbe qui nous séduit, nous persuade ou nous enthousiasme, était figuré d'avance sur les feuillets qu'il frappe de son poing nerveux .
L'art est toujours difficile ; celui du langage est même l'un des plus malaisés . Il faut louer les orateurs qui se défient (qui sont sur leurs gardes, se méfient, qui craignent de se laisser emporter négativement, qui ont peu de confiance en eux, en leurs capacités) d'eux-mêmes et s'imposent une discipline rigoureuse . Il faut redouter ceux qui " se jettent à l'eau ", comme on dit ; car ils risquent de nous y entraîner avec eux . Si , par exemple, les parlementaires réussissaient à ne parler chacun que cinq minutes, on n'entendrait guère que de forts beaux ou de fort utiles discours dans les temples de la législation (Assemblée Nationale, Sénat, conseils municipaux ..., réunions électorales) . Ils ne monteraient à la tribune, ou n' interviendraient de leur banc, qu'armés de quelques phrases bien construites et qui exprimeraient sobrement (simplement, avec mesure, sans rechercher des effets de robe) et clairement leur pensée . Et du reste il y aurait alors beaucoup moins d'orateurs . Contraints, en effet, de préciser pour eux-mêmes l'idée qui les poussent à parler , ils s'apercevraient, en se recueillant (en réfléchissant) , que ce qu'ils voudraient dire a été cent et mille fois dit - ou même ils s'apercevraient qu'ils n'ont rien à dire .
Que de stratégies (plans d'actions coordonnés qui impliquent la connaissance parfaite de l'art de diriger les affaires, de gouverner les hommes, et de prévoir leurs comportements) , que de tactiques (qui supposent l'exécution de plans concertés, une marche que l'on suit méthodiquement qui est celle de la stratégie) ci-dessus : véritables " sous-entendus" (actions de faire comprendre les choses sans les dire ouvertement, sans les expliciter dans toutes leurs conséquences, dans de très nombreux contextes) pleins de richesses, d'expériences de la vie, dont il faut tirer avantage, se servir, et ceci très rapidement , " battez le fer pendant qu'il est encore chaud " !
Juger, peser le pour et le contre, saisir le sens précis du discours [ oral et / écrit ] , goûter, savourer les " messages " des interventions : que de " choses " à analyser, à disséquer, à passer au crible de son esprit critique, à construire, à reconstruire, redresser, renouveler !
Aujourd'hui, Gerboise a cherché à vous faire " sentir ", apprécier, les subtilités, les finesses, les difficultés des raffinements du langage dans ses deux composantes [orale et écrite] , de la sophistification des discours, des allocutions piégées, des déclarations douteuses, des harangues mensongères ,des plaidoyers inutiles, des réquisitoires (discours, écrits contenant de violentes attaques) accusateurs et parfois même parfois des textes d'éloges tronqués (altérés) .
Ce langage écrit , qui vous permettra de communiquer en laissant des traces presque immuables sur des supports de toute nature, devra être strict, rigoureux, exigeant ; le langage oral, lui, impliquera un discours plus pénétrant, plus vif, plus attentif aux données du contexte humain du moment.
Bien à vous, Gerboise .
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