Cette forme de l'attention ne peut donc naître qu'à la suite d'une certaine préparation,et chez des individus qui possèdent un ensemble de connaissances,de sensations,de souvenirs,d'idées. Le nouveau ne peut frapper l'attention,paraître original,qu'à la condition qu'il y ait quelque chose d'acquis,c'est-à-dire un ensemble de notions et d'impressions formant masse,qui constitue un tout.
-Un astronome a fait du coin du ciel l'objet de ses observations. Il connaît le nombre,la place, l'évolution des astres qui s'y trouvent .
Tout cela est catalogué dans son esprit. Qu'un astre nouveau soit subitement visible,le grand public n'y prendra point garde,à moins que cet astre n'ait une forme ou un éclat étranges. Mais l'astronome l'apercevra du premier coup d'oeil,sans le chercher. Du reste,comment aurait-il cherché ce dont il ignorait l'existence ? Il n'a pas eu besoin de refaire le compte des étoiles,ni de se livrer à des calculs et à des observations : Une seule observation,même superficielle,a suffi pour lui révéler l'existence de ce phénomène nouveau.
-Un berger rassemble son troupeau. Une tête de bétail manque. Le berger s'en aperçoit immédiatement,machinalement. Il n'a pas eu besoin pour cela de faire le compte exact de son troupeau. C'est comme un anneau d'une chaîne qui ferait subitement défaut.
-Dans le premier cas, l'attention a été spontanément éveillée par l'apparition d'un objet qui semble nouveau dans la masse de ses notions acquises.
-Dans le second cas,l'attention a été mise en éveil par un manque,une lacune dans une totalité donnée.
Tout autre que l'astronome et le berger eût dû avoir recours à l'attention volontaire pour découvrir l'objet nouveau ou la lacune imprévue. La faculté de l'aperception,involontaire , spontanée,a épargné à l'astronome et au berger de longs tâtonnements et un travail fastidieux.
Dans l'un et l'autre cas,l'aperception spontanée d'un objet paraissant nouveau ou d'une lacune n'a été possible que parce que le sujet pensant disposait d'un ensemble de notions précédemment acquises,et parce que ces notions formaient des groupes,des séries,des totalités qui lui étaient familiers.
On pourrait croire qu'une impression qui semble nouvelle doive,nécessairement paraître telle. Mais ce n'est pas toujours le cas.
Une notion a beau être nouvelle,apparaître,sembler originale à l'esprit,avoir l'air inaccoutumée,si elle ne rencontre pas des notions acquises,qui l'accueillent et qui l'expliquent,elle reste étrangère à l'esprit pareille à la graine qu'on jetterait à la surface de l'eau,au lieu de la confier à un sol bien préparé.
D'autre part,il n'est nullement nécessaire,pour provoquer l'aperception,que la notion qu'on croît nouvelle corresponde à un fait inouï et extraordinaire . L'aperception s'exerce le mieux sur des notions familières,connues,pourvu qu'elles contiennent quelque élément que l'on considère comme nouveau. Il suffit même qu'une notion ancienne soit renouvelée d'une façon quelconque.
Dans le premier cas,l'esprit aperçoit dans un objet ,qu'il connaissait jusque-là en gros,des particularités qu'il ne soupçonnait pas,ou des nuances qui ont l'air plus délicates.
Dans le second cas,le renouvellement d'une représentation familière est le résultat d'un artifice et,pour tout dire de l'art."
Il existe dans ce texte de Henri Poincaré, une idée essentielle,fondamentale. A vous de la découvrir avant notre prochaine discussion ! Bonne investigation, c'est-à-dire une recherche qui marque surtout la marche de la raison pour arriver méthodiquement jusqu'au coeur de la vérité,surtout en matière de science. Gerboise
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