dimanche 2 décembre 2007

Il s'agit, ici, des contraintes que la rédaction des lettres de motivation, et celle des contenus des blogs(!) ne subissent malheureusement pas *

* La correction des épreuves d'imprimerie !



"Six, sept, et parfois dix épreuves revenaient raturées, remaniées sans satisfaire le désir de perfection de l'auteur ." Th. Gautier , à propos de H. de Balzac .



Un manuscrit était de retour, venant de l'imprimerie : il avait subi une transformation essentielle , il était, dès lors , fixé en caractères différents de l'écriture manuscrite . Depuis quelques années, beaucoup d'auteurs écrivent directement leurs publications à l'aide du "traitement de texte" d'un ordinateur , avec soi-disant sa forme définitive . Avant , dans le temps, et peut-être encore à l'heure actuelle, certains textes imprimés "à l'ancienne" étaient loin lors de cette première étape, d'avoir acquit leur forme finale, celle d'un livre . Ce manuscrit se présentait (ou se présente encore de nos jours) sous la forme d' "épreuves " : il s'agissait d'une liasse de feuillets volants ou de longues bandes de papier, au fil desquels le texte s'enchaînait d'un seul tenant . C' était une sorte de texte brut, qui n'était pas encore mis en forme, découpé en chapitres et "mis en pages" , selon l'expression technique . En jargon d'imprimerie, on appelait ces épreuves des " placards " .

Le but de cette première mouture du livre était de permettre à l'imprimeur, à l'éditeur et à l'auteur d'apporter toutes les corrections qui s'imposaient . En effet, même si le manuscrit avait été bien préparé, et que nous avions mesuré toute l'attention que requérait, exigeait cette première intervention, des fautes pouvaient encore subsister . En outre, lors de la composition, d'autres erreurs pouvaient venir s'ajouter, plus ou moins nombreuses selon la technique utilisée (linotypie ou photo composition) , selon la rapidité et le sérieux avec lesquels avaient été exécuté le travail .

Les erreurs et les fautes que l'on rencontrait au fil des placards d'imprimerie étaient de natures diverses . Il y avait tout d'abord les erreurs proprement techniques, mécaniques , concernant le caractère typographique (une minuscule en italique au lieu d'une capitale en romain, des caractères gras au lieu de caractères maigres, des symboles mathématiques erronés) et qui provenaient d'un mauvais fonctionnement ou d'une mauvaise programmation de la machine . Mais les plus nombreuses , étaient les fautes de composition proprement dites, comme par exemple des mots , ou des membres de phrases oubliés : les "bourdons " ; ou, au contraire, des mots ou expressions répétés : les " doublons " . Les doublons étaient plus faciles à repérer que les bourdons ; ces derniers , en effet , pouvaient passer inaperçus , si le sens de la phrase n'en souffrait pas . Il fallait également corriger les coupures maladroites de mots en fin de ligne (ce qui n'arrive plus de nos jours avec les traitements de texte) .

L'erreur qui revenait le plus souvent, et qui se glissait sournoisement au cours de la composition, était ce qu'on appelait la " coquille d'imprimerie " . C'est une faute qui portait sur une lettre ou un signe typographique, retourné, transposé ou mis à la place d'un autre . Les coquilles d'un texte imprimé étaient comparables aux fautes de frappe d'un texte dactylographié .

Parfois faciles à déceler (marques du pluriel fautives, mauvaise accentuation en particulier ) , elles étaient généralement beaucoup plus insidieuses lorsque , par exemple , le typographe avait composé " Letour, célèbre oculiste " au lieu de "Letour, célèbre occultiste " ou " un lord élevé à la prairie " au lieu de " un lord élevé à la pairie " . La coquille était particulièrement redoutable dans les noms propres .

Le travail de correction incombait à trois personnes différentes . Le schéma traditionnel était le suivant :
La première personne à intervenir est le correcteur d'imprimerie, qui lisait les épreuves dès qu'elles sortaient de la machine . Il se contentait d'une lecture , c'est-à-dire de vérifier la conformité au manuscrit, ni plus, ni moins . Les erreurs mécaniques étaient ainsi rectifiées avant que les premières épreuves ne parviennent à l' éditeur .
Lorsqu'il recevait ces épreuves, l'éditeur en confiait un ou deux à l'auteur et en gardait plusieurs pour lui, parmi lesquels un exemplaire était remis au service de la correction, qui allait se charger de la seconde lecture .
Lui aussi, le correcteur d'édition, effectuait tout d'abord une lecture copie-copie . Mais en même temps, il procédait à un contrôle qui portait sur la forme ; il veillait particulièrement à la rigueur orthographique (manière d'écrire un mot qui est considérée comme la seule correcte) et syntaxique ( qui concerne les relations entre les unités linguistiques, formes élémentaires du discours , la construction grammaticale des phrases et les fonctions qui leur sont attachées) ,remédiait aux erreurs de noms propres, à une unification défectueuse ( termes abrégés à un endroit et pas à un autre, sigles présentés différemment), etc . Toutes les corrections étaient portées dans la marge des placards, en utilisant un code symbolique, dont chaque signe correspondait à une indication que l'imprimeur devait suivre pour rectifier les erreurs ou modifier le texte : suppression ou ajout d'une ou plusieurs lettres ou mots ; espacements à resserrer ou écarter, mot ou lettre à changer ... Enfin, le correcteur pouvait être amené à poser des questions de fond à l'auteur si le sens d'une phrase lui paraissait équivoque, si un contresens ou une répétition subsistait . Car le correcteur ne devait jamais, bien entendu, procéder lui-même, de sa propre autorité, à une quelconque modification de fond, à moins d'un accord préalable entre l'auteur et l'éditeur (sur des textes qui n'avaient généralement pas de portée littéraire ) .
Mais l'auteur se devait lui aussi de relire très attentivement les épreuves . La présentation typographique de son texte mettait en évidence des maladresses, des mots mal choisis, des phrases trop longues . Il était, hélas, trop tard pour intervenir, bien que la tentation était grande, surtout pour un néophyte, de retravailler ses placards comme s'il s'agissait d'un brouillon ! Le contrat stipulait d'ailleurs qu'au-delà d'une certaine limite, l'auteur devait prendre à sa charge les frais de correction .
Dans son travail de correction, l'auteur devait veiller, s'il était nécessaire , de remplacer un mot par un autre, à choisir un terme ayant approximativement la même longueur, pour éviter les décalages d'une ligne sur l'autre, qui nécessitait parfois de recomposer une page entière ou plus (ce qui ne se produit plus actuellement avec les traitements de texte) . C'est ce qu'on appelait, en termes techniques, la . Il évitait également de faire en s'abstenant de modifier la disposition du texte en paragraphes . Le fait de demander l'enchaînement d'une phrase sur l'autre ou au contraire un alinéa supplémentaire exigeait en effet , la recomposition d'une partie importante du texte .
La dernière étape de la correction consistait à reporter sur un seul jeu d'épreuves l'ensemble des corrections .
Lorsque le total des corrections demandées dépassait un certain pourcentage, l'éditeur demandait à l'imprimeur des secondes, voire des troisièmes épreuves, en particulier si l'ouvrage comportait beaucoup de sous-titres, des tableaux, des notes, des index, des légendes, etc.
On se contentait généralement, sur le deuxième ou le troisième jeu d'épreuves, de relire les , c'est-à-dire celles où une modification avait été demandée, ainsi que les deux ou trois lignes qui suivaient et qui précédaient .
Lorsque l'éditeur estimait que les épreuves sont correctes, il signait alors le , c'est-à-dire l'ordre de d'imprimer l'ouvrage ; théoriquement, l'auteur devait contresigner ce document . Mais pour certains ouvrages, une autre étape s'avérait nécessaire avant le bon à tirer, sanctionnée par le . Des graphiques, des illustrations et leurs légendes étaient alors insérés dans le texte . On portait également la pagination définitive de la table des matières, impossible à concevoir plus tôt, et l'on composait enfin l'index alphabétique avec les renvois de pages .
Quel que soit le soin que l'on apportait à corriger ces épreuves, il subsistait toujours quelques-unes de ces fautes qui conféraient (apportaient)une grande valeur à certains livres d'autrefois ; grâces à elles, en effet, les bibliophiles (personnes qui aiment, recherchent et conservent avec soin et goût les livres rares et précieux) pouvaient (et peuvent encore , naturellement, de nos jours) distinguer les éditions originales des contrefaçons .

Ainsi que cela a été précisé au fil du texte ci-dessus, les conditions matérielles de l' élaboration technique matérielle avant la publication , ont considérablement évolué . Cependant, nous avons pensé que toutes ces péripéties décrites ici pourront vous servir au cours de l'élaboration de vos propres publications quelles quelles soient . Les problèmes qui survenaient en ces temps-là, sont toujours d'actualité lorsqu'il faut remettre un document irréprochable . Bien à vous, Gerboise .

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