Il y a un an et neuf jours , le dimanche 10 Décembre 2006 , naissait Gerboise , " Savoirs et Réflexions " . Nous allons marquer cet anniversaire , aujourd'hui , en compagnie de ces deux personnages rubicond (couleur qui enlumine un visage, en général large et comiquement épanoui) qui expriment la bonne humeur et la joie de vivre . Qu'il en soit de même pour tous les fidèles lecteurs de notre blog à qui nous souhaitons de bonnes fêtes de Noël .
Dans le "grand monde " ...! on sourit beaucoup, mais on se refuse souvent à rire, à seule fin de ne pas rire comme n'importe qui, de peur de s'encanailler . Dans les milieux " de la campagne " ...! au contraire, le rire est spontané, abondant, bruyant, exubérant . Il parcours une riche gamme, depuis le rire bon enfant jusqu'au rire cruel, depuis le sourire finaud et silencieux qui se retient par politesse, méfiance ou malice, jusqu'aux éclats "à ventre déboutonné " des frairies du midi ou des kermesses du nord, corsées de beuveries grâce à quoi les langues se délient en de savoureuses " histoires paysannes " ou " patoises " .
Les parlers locaux communiquent à cet humour villageois un " goût de terroir " que les connaisseurs apprécient fort, et jugent souvent intraduisible . La même boutade qui fait feu d'artifice quand elle est lancée gaîment en dialecte gascon, provençal ou wallon, devient terne et fait long feu quand on la traduit en français, où pourtant le mot à mot est parfaitement fidèle au sens littéral . Fidèle à la lettre, qui tue le rire, mais non à l'esprit paysan, qui le vivifie .C'est que le patois insinue avec lui toutes les valeurs terriennes d'inculture et de puérilité, de naïveté méfiante et maligne à la fois, que le langage citadin, produit de culture policée, écarte au contraire par lui-même, puisque ce qu'il suggère, ce sont ces mille valeurs de la vie urbaine, mondaine, savante ou scolaire, dont l'interférence ne peut que figer certaines gaietés dites naïves.
Voici trois anecdotes qui vont vous faire apprécier ces subtilités :
-La première est une aventure paysanne de gendarmes, très rudimentaire comme il convient .
~Un meunier rentre chez lui, la nuit tombante, menant lentement sa charrette à boeufs . A cent pas du moulin, deux gendarmes l'arrêtent : " Procès-verbal, hé, meunier ! Ta lanterne n'est pas allumée après le soleil couché ! -Pas allumée, monsieur le brigadier ? Vous voulez plutôt dire par hasard qu'elle vient d'être tout juste éteinte ? - Et par qui diable éteinte ? Il n'y a personne ici que toi et nous . - Si fait ! Par le vent, té ! " - Pandore, sourcilleux, tâte le verre . "Mais elle est froide, ta lanterne blagueur ! - Baste ! refroidie, pardi ! c'est la vitesse ! " Et il repart nonchalamment vers son moulin, en invitant ses boeufs à la "vitesse " du bout de son aiguillon, au nez des gendarmes désarmés .~
Cette facétie ( plaisanterie très comique et parfois un peu grosse et inconvenante qui fait rire par ses propos, ses actes comiques, son comportement , ses gaillardises), cette malice réjouissante "ne dit rien ", ou pas grand chose, au lecteur trop cultivé, autrement et plus exigeant . Mais nous savons des amateurs qu'elle fait rire de bon coeur, dite en ce patois qui porte en lui l'expression d'une structure spéciale de la pensée collective .- La deuxième se situe dans le Périgord, où la malice paysanne sait pratiquer des roueries calculées et artistement agencées . Témoin cette histoire de curé qui se conte dans ce savoureux terroir, en patois !
~"Au catéchisme, Monsieur le curé a demandé au fils de Célestin, le maréchal-ferrand :Dis-moi 'pétit', quel jour est mort Notre-Seigneur ? -Je ne sais pas, répond l'enfant, tout interdit . Je ne savais même pas qu'il était malade ." Indigné, Monsieur le curé s'en va morigéner ( gronder en faisant de vives remontrances, réprimander) le père . " Célestin, lui dit-il , tu devrais avoir honte que le fils d'une famille de bons chrétiens soit si ignorant ! " Célestin réfléchit prudemment . " Oui, bien, monsieur le curé, dit-il enfin . Mais il faut excuser notre fiston . Ce n'est pas tout de sa faute . Voyez-vous, ici, nous autres, nous ne lisons pas les journaux ." ~
-La troisième a lieu au Château de Versailles .
~ "Quand accouchera votre femme ? demandait Louis XIV à un courtisan . _ Quand il plaira à votre Majesté, répondit le plat personnage " . ~
Absurdité ou désarroi qui ravalent une loi naturelle au rang d'une convention de politesse purement formaliste .
Bonne humeur : il s'agit de la disposition d'esprit de nos deux personnages qui présentent un sourire facile; ils semblent posséder le goût de plaisanter, d'aimer s'amuser; nous pouvons dire qu'ils envisagent la vie sous un jour favorable, qu'ils ont l'air de prendre les choses du bon côté, sans se faire de souci, peut-être par légèreté d'esprit ou volonté d'optimisme . En deux mots : leur tempérament paraît enjoué, guilleret, rieur , la gaieté jaillit de leur visage . Le plaisir de vivre émerge de leur regard jovial sur un visage épanoui (détendu sous l'effet de la joie , grassouillet, aux pommettes roses ). Cette expression hilare, malicieuse , émoustillée ,de sourire aux anges, discrètement rieuse de ces deux visages , exprime, laisse apparaître un sentiment réel de joie, de satisfaction, de sympathie .
Sully Prudhomme dans Solitudes, 1869, p.67, nous décrit une ambiance comparable .
"Au théâtre parfois il se tourne [le poète] et, voyant
La gaîté des badauds qui va se déployant ,
Pour un plat calembour, des loges au parterre ,
Il se sent tout à coup tellement solitaireParmi ces gros rieurs au ventre épanoui ..."
L' Univers du rire est immense .
Tous les rires ne sont pas susceptibles de qualification esthétique . Non seulement, il en est qui ne dépassent pas le réflexe purement physiologique du fou-rire ou du gaz hilarant, mais il y a des rires psycho-physiologiques de joie, de jeu, de triomphe, de déception, qui ne correspondent sensiblement à aucune " volonté d'Art "( de sourire) !
Un rire de bonne humeur ou de méchanceté pouvant correspondre, l'un à de l'humour, l'autre à de la haine . Certains sont spirituels, d'autres comiques et humoristiques .
Le rire désarme . Sacarstique ! , parfois pince sans rire : se dit d'une personne qui raille ou plaisante en gardant tout son sérieux . Il y a toutes sortes de rire : rire bruyant, retentissant, sonore ; rire charmant, clair, communicatif, contagieux, convulsif, éclatant, émerveillé, épais, gloussant, gras ; rire étouffé, inextinguible (inassouvissable , fou-rire éclatant qu'on ne peut arrêter) , incoercible (qui continue son mouvement dans l'espace ou le temps sans qu'on puisse l'arrêter , irrésistible ) , irrépressible ; rire énorme, goguenard, ironique, méchant, moqueur, narquois, nerveux , niais ; rire de gorge ; accès, bruit, explosion, parties de rire ; déclencher, exciter, provoquer le rire .
Jean de la Bruyère, 1645-1696, dans les Caractères, Ouvrages de l'esprit, nous dit :
"D'où vient que l'on rit si librement au théâtre, et que l'on a honte d'y pleurer ? Est-il moins dans la nature de s'attendrir sur le pitoyable que d'éclater sur le ridicule ? "
Parfois le rire est une décharge d'un trop plein d'excitation nerveuse : c'est un exutoire utile .
On rit d'un personnage sot, balourd, nigaud, qui manque d'esprit et surtout de jugement ; ou d'un personnage qui " fait le sot " comme d'une dégradation de valeur purement individuelle . Mais on n'est pas sot de la même façon à Paris, à Chicago ou au fin fond du monde !
La vie sociale est organisatrice et même créatrice de rire dans la mesure où elle organise et crée des hiérarchies de valeurs . Et cette mesure est considérable, la société étant la plus grande porteuse de valeurs de toute nature humaine .
Pour clore provisoirement ce thème d'une complexité presque sans limites, peut-on dire s'il est possible, s'il est souhaitable même d'exprimer par une seule formule, aussi simplifiée soit-elle, les nuances infinies du risible, - sourires discrets pour une haute comédie de caractère ou pour un mot d'esprit subtil, inhibitions de l'humain pince-sans-rire, aux esclaffements intempérants d'une gaudriole ?
Oui, nous le redisons : L'Univers du rire est immense et réjouissant .
Bien à vous et encore bonnes fêtes de Noël . Gerboise .
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