jeudi 12 avril 2007
Premières clartés du matin :Réflexions, doutes et certitudes d'un savant : Louis de Broglie
Louis de Broglie (1892-1975) , Physicien français, menbre de l'Académie Française (1933) , Secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences (1942-1975 , Prix Nobel de Physique en 1929, dans la Préface d'un de ses livres :
"Nouvelles perspectives en microphysique", écrite en septembre 1955 , Editions Albin Michel,
présente une Réflexion, une sorte de discussion avec lui-même , par rapport à la majorité de la communauté scientifique de son temps , qui devrait vous faire réfléchir au sujet de la vérité, et vous inciter à méditer sur certaines prises de position à propos des apparences et de la réalité des choses par rapport aux conceptions de l'ensemble des membres des communautés humaines .Actuellement rien n'a changé , et ce grand scientifique que fût Louis de Broglie n'en serait pas tellement surpris. Les progrés des techniques évoluent considérablement depuis que l'Homme s'est différencié du monde animal, mais sa psychologie et ses émotions n'ont pas progressé beaucoup jusqu'à aujourd'hui .
Voici les points essentiels de cette préface :
"...Les études de Physique théorique qui forment la première moitié du volume et qui correspondent au titre du livre ont été réparties en deux séries en fonction d'une évolution considérable qui s'est produite dans mon esprit à partir de la fin de 1951 en ce qui concerne l'interprétation de la Mécanique ondulatoire et du dualisme des ondes et des corpuscules. Aprés l'éclosion de la Mécanique ondulatoire, j'avais cherché pendant plusieurs années, de 1923 à 1927, à en obtenir une interprétation conforme à l'idée de causalité et utilisant, suivant la tradition des physiciens, une représentation de la réalité physique à l'aide d'images précises dans le cadre de l'espace et du temps. Les difficultés que j'avais rencontrées en développant cette tentative, l'hostilité qu'elle avait suscitée de la part des autres théoriciens de la Physique m'ont conduit en 1928 à l'abandonner et je me suis rallié pendant près de 25 ans à l'interprétation probabiliste issue des travaux de MM. Born, Bohr et Heisenberg qui était devenue la doctrine officielle de la Physique théorique. Une grande partie des exposés que j'ai publiés dans de précédents volumes de la collection"Sciences d'aujourd'hui" étaient consacrés à cette interprétation probabiliste si subtile et parfois si difficile à exposer avec clarté. Mais au cours de l'année scolaire 1951-52, ainsi que je l'ai expliqué dans les études formant la seconde partie de cet ouvrage, j'ai été amené à reprendre ma tentative d'autrefois et à me demander si ce n'était pas elle qui indiquait la bonne voie à suivre pour parvenir à une véritable compréhension du dualisme des ondes et des corpuscules et à une interprétation vraiment intelligible de la Mécanique ondulatoire. Il en est résulté une orientation nouvelle de ma pensée et de mes travaux au cours de ces quatre dernières années.
Ceux qui s'intéressent à la psychologie des savants seront certainement heureux que je donne ici quelques indications sur les circonstances qui ont provoqué dans mon esprit un retour inattendu vers des idées longtemps abandonnées. Sans doute, comme je l'ai expliqué dans certains des exposés qu'on trouvera plus loin, les travaux MM. David Bohm et Jean-Pierre Vigier ont-ils joué un rôle déterminant dans mon évolution lorsque je les ai connus vers la fin de 1951, mais il est certain que dans mon esprit le terrain était déjà un peu préparé pour ce changement d'attitude.
Je ne parlerai pas des difficultés que j'ai toujours éprouvées en exposant l'interprétation probabiliste de la Mécanique ondulatoire, du regret que j'ai souvent ressenti en voyant la plupart des auteurs oublier ou méconnaître les intuitions physiques qui furent l'origine et la base de cette profonde théorie, ni d'une certaine nostalgie secrète de la clarté cartésienne qui m'envahissait quand je cherchais à m'orienter au milieu du brouillard dont est enveloppée la Physique quantique actuelle.Mais je veux mentionner le fait suivant. Pendant les années 1950 et 1951 , j'avais pris comme sujet de mes cours à l'Institut Henri- Poincaré un examen détaillé et critique de l'interprétation probabiliste de la Physique quantique. J'avais entrepris cet examen avec un préjugé encore favorable à cette interprétation et j'avais fait une étude consciencieuse non seulement du formalisme impeccable qui la traduit mathématiquement, mais aussi des critiques qui lui avaient été adressées par Einstein M. Schrödinger et des réponses faites à ces critiques par M. Bohr et ses disciples. Malgré ma tendance d"alors à conclure en faveur de l"interprétation probabiliste, je fus progressivement frappé par la force des objections qu'on pouvait lui opposer et par une certaine obscurité des arguments mis en avant pour écarter ces objections. J'avais aussi étudié la théorie de la mesure de . von Neumann : j'en admirais la belle ordonnance logique, mais je la trouvais très abstraite et reposant sur une analyse un peu trop schématique des conditions de la mesure en Microphysique ; de plus, les conséquences auxquelles sont parvenus M. von Neumann et ses commentateurs en poussant jusqu'au bout leurs conceptions et en représentant les appareils macroscopiques de mesure et l'observateur lui-même par des fonctions d'onde me paraissaient invraisemblables et je ne pouvais admettre que la"prise de conscience" par un observateur d'un phénomène macroscopique observable puisse intervenir d'une façon effective dans le déroulement des événements microphysiques.
Il m'apparaissait peu à peu que les partisans de l'interprétation probabiliste passaient sans cesse un peu subrepticement de l'idée d'une onde simple représentation subjective de probabilité à l'idée opposée d'une onde possédant une certaine réalité physique et que c'était en oscillant entre ces deux point de vue qu'ils parvenaient à voiler les difficultés auxquelles se heurtait leur doctrine. Je reconnaissais que moi-même, entraîné par la mode régnante, j'avais fait inconsciemment dans les années précédentes une périlleuse gymnastique intellectuelle de ce genre et je commençais à apercevoir la cause des malaises que j'avais souvent ressentis en cherchant à exposer clairement les principes de l'interprétation probabiliste.
Ainsi, vers la fin de 1951, tout se trouvait préparé dans mon esprit pour la volte-face que j'allais accomplir et qui fut comme une brusque cristallisation d'éléments déjà présents dans ma pensée. C'est là un phénomène psychologique dont l'importance dans la recherche scientifique a été déjà signalé, notamment par Henri Poincaré. Il me paraît d'ailleurs probable que, chaque fois qu'un homme prend dans n'importe quel domaine une décision importante dont rien dans sa conduite antérieure n'annonçait la venue, ce revirement imprévu a été peu à peu préparé dans les profondeurs de son inconscient par une lente évolution et résulte d'un brusque phénomène de cristallisation analogue à celui que je viens d'analyser.
Sans doute me demandera-t-on à quelle conclusion je suis parvenu après avoir , depuis environ quatre ans, soumis à un nouvel examen la question de l'interprétation de la Mécanique ondulatoire et du dualisme des ondes et des corpuscules. Avant de répondre à cette question, je voudrais d'abord insister sur le fait que, dans l'étude de ce problème, je n'ai été guidé par aucune opinion philosophique préconçue en faveur du déterminisme des phénomènes physiques : ce qui m"apparaît comme essentiellement désirable, ce n'est pas tant le rétablissement du déterminisme que le retour à des images spatio-temporelles précises permettant de comprendre clairement de quoi on parle. Il est possible que ce retour aux images claires entraîne inéluctablement le rétablissement du déterminisme et c'est bien ce qui se passe dans la théorie de la double solution que j'avais proposé en 1927 et que j'ai reprise dans ces dernières années. Mais je crois assez dangereux de vouloir soumettre les théories physiques à des idées admises a priori ou de vouloir en déduire des conséquences philosophiques souvent très extrapolées. Ainsi on a voulu tirer de l'interprétation indéterministe et de la notion de complémentarité des conclusions bien fragiles et périlleuses, comme par exemple de mettre en relation les incertitudes de Heisenberg avec le libre arbitre humain : les relations d'incertitude qui s'appliquent au mouvement des électrons et dérivent des conditions de la mesure en Microphysique n'ont sans doute rien à voir avec le libre arbitre. En pareille matière, il est certainement plus sage pour le savant de rester sur le terrain relativement solide de la Physique théorique proprement dite et de s'aventurer le moins possible sur les sables mouvants des extrapolations philosophiques (...).
Je m'arrêterai un instant sur l'étude intitulée " Le dualisme des ondes et des corpuscules dans l'oeuvre d'Albert Einstein " dont le sujet est plus "dramatique" qu'on ne pourrait le croire au premier abord. J'ai cherché à y montrer comment la tentative d'interprétation de la mécanique ondulatoire par la théorie de la double solution que j'avais poursuivie de 1924 à 1927 était le prolongement naturel de la découverte par Einstein des quanta de lumière et de ses idées sur le dualisme des ondes et des corpuscules et sur les relations des corpuscules et des champs. L'échec au conseil Solvay d'octobre 1927 de cette tentative, à laquelle Einstein paraît avoir accordé une insuffisante attention, devait avoir pour lui une conséquence inattendue. En effet , cet échec, en provoquant le triomphe en apparence définitif de l'interprétation purement probabiliste qu'Einstein n'a jamais admise, devait conduire l'illustre physicien à terminer sa vie scientifique dans une sorte de douloureux isolement où il faisait paradoxalement figure d'homme qui n'a pas su suivre le mouvement des idées de son temps. Peut-être l'avenir lui accordera-t-il sur ce point une sorte de réparation posthume (...)"
Louis de Broglie, Septembre 1955 .
Après mure réflexion, Gerboise a décidé de ne pas faire de coupures dans le corps du texte de cette Préface de Louis de Broglie. Bien entendu, nous sommes conscient que le contenu technique de ce texte sera pour la plupart d'entre vous peut-être ennuyeux et même un peu fastudieux , voire parfois incompréhensible. Le contenu explicatif du message, concernant la physique, qui présente le contenu scientifique de l'ouvrage , n'est pas en lui-même l'objet de notre citation . Nous avons désiré vous faire percevoir un des aspect non négligeable du travail scientifique , qui est celui de l'acquisition et de la création du savoir. L'auteur , dans cette préface a traité ensemble les deux aspects du problème, et particulièrement celui de la relation du "découvreur" avec la collectivité scientifique. La nature humaine de cette relation a été présentée par Didier Anzieu dans son livre : Le groupe et l'inconscient , que nous avions porté à votre connaissance dans notre blog le 27 Janvier 2007, sous l'intitulé , Redoutable problème !
En lisant le texte de Louis de Broglie, on peut constater le réalisme, l'honnêteté et la modestie de ce grand esprit. Mais on peut également voir comment ce savant d'une intelligence, et d'une Créativité remarquables, s'est laissé subjuguer par l'air du temps de son époque, lui, et tout l'ensemble de cette communauté scientifique qui suivait passivement les "maîtres à penser". Mais son intime conviction sous-jascente ,cette pensée permanente, immuable, plongée au fond de sa conscience a refait surface après 25 années de sommeil !
C'est pourquoi l'unanimité presque totale d'une collectivité, n'est pas l'équivalent d'une preuve scientifique. Les interprétations des modifications des climats sont un des exemples typiques de ce problème. Les climats sur notre planète évoluent depuis toujours, particulièrement depuis les grandes glaciations de l'Ere Quaternaire, en particulier en relation avec l'activité à la surface du soleil par exemple. Il y a quelques milliers d'années le Sahara n'était pas un désert ; les restes fossiles dans des sédiments lacustres des affleurements géologiques du Tanezrouft, de la"femme de Brini", en témoignent. Les milliers de fragments de troncs d'arbres silicifiés de cette époque récente, qui jonchent la surface des regs sont des témoins incontournables de ces évolutions climatiques à une époque où l' Homme se déplaçait uniquement à pied !
C'est le même "état d'esprit" qui règne chez de très rares policiers (heureusement) et autres investigateurs..., qui ne relèvent et retiennent que les éléments d'observations qui vont dans le sens de leur thèse, de leurs présomptions initiales.
Tout élément étranger à cette façon de "voir les choses" est systématiquement écarté, non visible ; une sorte de cécité s'est installée, des éléments importants sont ignorés, l'esprit rejette inconsciemment(?) tout ce qui le dérange.
Si l'un de nous, modeste scientifique à la retraite, a tenu aujourd'hui à vous présenter cette réalité, vécue par ce personnage qui a fait l'admiration du monde, c'est qu'il a été plongé lui également dans ce dilemme, lutter, essayer d'imposer ses observations et ses interprétations ou faire "autre chose ". C'est ainsi qu'une route nouvelle ,merveilleuse, a été tracée dans le champ de l'enseignement de l'entendement et de la raison depuis presque 30 années et que notre blog , Gerboise, continue dans cette voie, a essayer de faire prospérer la Réflexion et le Savoir chez tous ceux qui le désireront.
C'est une belle leçon de réalisme, et c'est pourquoi on doit se rendre compte que l'unanimité de l'ensemble d'une collectivité n'est pas une preuve scientifique.
A bientôt,Gerboise.
"Nouvelles perspectives en microphysique", écrite en septembre 1955 , Editions Albin Michel,
présente une Réflexion, une sorte de discussion avec lui-même , par rapport à la majorité de la communauté scientifique de son temps , qui devrait vous faire réfléchir au sujet de la vérité, et vous inciter à méditer sur certaines prises de position à propos des apparences et de la réalité des choses par rapport aux conceptions de l'ensemble des membres des communautés humaines .Actuellement rien n'a changé , et ce grand scientifique que fût Louis de Broglie n'en serait pas tellement surpris. Les progrés des techniques évoluent considérablement depuis que l'Homme s'est différencié du monde animal, mais sa psychologie et ses émotions n'ont pas progressé beaucoup jusqu'à aujourd'hui .
Voici les points essentiels de cette préface :
"...Les études de Physique théorique qui forment la première moitié du volume et qui correspondent au titre du livre ont été réparties en deux séries en fonction d'une évolution considérable qui s'est produite dans mon esprit à partir de la fin de 1951 en ce qui concerne l'interprétation de la Mécanique ondulatoire et du dualisme des ondes et des corpuscules. Aprés l'éclosion de la Mécanique ondulatoire, j'avais cherché pendant plusieurs années, de 1923 à 1927, à en obtenir une interprétation conforme à l'idée de causalité et utilisant, suivant la tradition des physiciens, une représentation de la réalité physique à l'aide d'images précises dans le cadre de l'espace et du temps. Les difficultés que j'avais rencontrées en développant cette tentative, l'hostilité qu'elle avait suscitée de la part des autres théoriciens de la Physique m'ont conduit en 1928 à l'abandonner et je me suis rallié pendant près de 25 ans à l'interprétation probabiliste issue des travaux de MM. Born, Bohr et Heisenberg qui était devenue la doctrine officielle de la Physique théorique. Une grande partie des exposés que j'ai publiés dans de précédents volumes de la collection"Sciences d'aujourd'hui" étaient consacrés à cette interprétation probabiliste si subtile et parfois si difficile à exposer avec clarté. Mais au cours de l'année scolaire 1951-52, ainsi que je l'ai expliqué dans les études formant la seconde partie de cet ouvrage, j'ai été amené à reprendre ma tentative d'autrefois et à me demander si ce n'était pas elle qui indiquait la bonne voie à suivre pour parvenir à une véritable compréhension du dualisme des ondes et des corpuscules et à une interprétation vraiment intelligible de la Mécanique ondulatoire. Il en est résulté une orientation nouvelle de ma pensée et de mes travaux au cours de ces quatre dernières années.
Ceux qui s'intéressent à la psychologie des savants seront certainement heureux que je donne ici quelques indications sur les circonstances qui ont provoqué dans mon esprit un retour inattendu vers des idées longtemps abandonnées. Sans doute, comme je l'ai expliqué dans certains des exposés qu'on trouvera plus loin, les travaux MM. David Bohm et Jean-Pierre Vigier ont-ils joué un rôle déterminant dans mon évolution lorsque je les ai connus vers la fin de 1951, mais il est certain que dans mon esprit le terrain était déjà un peu préparé pour ce changement d'attitude.
Je ne parlerai pas des difficultés que j'ai toujours éprouvées en exposant l'interprétation probabiliste de la Mécanique ondulatoire, du regret que j'ai souvent ressenti en voyant la plupart des auteurs oublier ou méconnaître les intuitions physiques qui furent l'origine et la base de cette profonde théorie, ni d'une certaine nostalgie secrète de la clarté cartésienne qui m'envahissait quand je cherchais à m'orienter au milieu du brouillard dont est enveloppée la Physique quantique actuelle.Mais je veux mentionner le fait suivant. Pendant les années 1950 et 1951 , j'avais pris comme sujet de mes cours à l'Institut Henri- Poincaré un examen détaillé et critique de l'interprétation probabiliste de la Physique quantique. J'avais entrepris cet examen avec un préjugé encore favorable à cette interprétation et j'avais fait une étude consciencieuse non seulement du formalisme impeccable qui la traduit mathématiquement, mais aussi des critiques qui lui avaient été adressées par Einstein M. Schrödinger et des réponses faites à ces critiques par M. Bohr et ses disciples. Malgré ma tendance d"alors à conclure en faveur de l"interprétation probabiliste, je fus progressivement frappé par la force des objections qu'on pouvait lui opposer et par une certaine obscurité des arguments mis en avant pour écarter ces objections. J'avais aussi étudié la théorie de la mesure de . von Neumann : j'en admirais la belle ordonnance logique, mais je la trouvais très abstraite et reposant sur une analyse un peu trop schématique des conditions de la mesure en Microphysique ; de plus, les conséquences auxquelles sont parvenus M. von Neumann et ses commentateurs en poussant jusqu'au bout leurs conceptions et en représentant les appareils macroscopiques de mesure et l'observateur lui-même par des fonctions d'onde me paraissaient invraisemblables et je ne pouvais admettre que la"prise de conscience" par un observateur d'un phénomène macroscopique observable puisse intervenir d'une façon effective dans le déroulement des événements microphysiques.
Il m'apparaissait peu à peu que les partisans de l'interprétation probabiliste passaient sans cesse un peu subrepticement de l'idée d'une onde simple représentation subjective de probabilité à l'idée opposée d'une onde possédant une certaine réalité physique et que c'était en oscillant entre ces deux point de vue qu'ils parvenaient à voiler les difficultés auxquelles se heurtait leur doctrine. Je reconnaissais que moi-même, entraîné par la mode régnante, j'avais fait inconsciemment dans les années précédentes une périlleuse gymnastique intellectuelle de ce genre et je commençais à apercevoir la cause des malaises que j'avais souvent ressentis en cherchant à exposer clairement les principes de l'interprétation probabiliste.
Ainsi, vers la fin de 1951, tout se trouvait préparé dans mon esprit pour la volte-face que j'allais accomplir et qui fut comme une brusque cristallisation d'éléments déjà présents dans ma pensée. C'est là un phénomène psychologique dont l'importance dans la recherche scientifique a été déjà signalé, notamment par Henri Poincaré. Il me paraît d'ailleurs probable que, chaque fois qu'un homme prend dans n'importe quel domaine une décision importante dont rien dans sa conduite antérieure n'annonçait la venue, ce revirement imprévu a été peu à peu préparé dans les profondeurs de son inconscient par une lente évolution et résulte d'un brusque phénomène de cristallisation analogue à celui que je viens d'analyser.
Sans doute me demandera-t-on à quelle conclusion je suis parvenu après avoir , depuis environ quatre ans, soumis à un nouvel examen la question de l'interprétation de la Mécanique ondulatoire et du dualisme des ondes et des corpuscules. Avant de répondre à cette question, je voudrais d'abord insister sur le fait que, dans l'étude de ce problème, je n'ai été guidé par aucune opinion philosophique préconçue en faveur du déterminisme des phénomènes physiques : ce qui m"apparaît comme essentiellement désirable, ce n'est pas tant le rétablissement du déterminisme que le retour à des images spatio-temporelles précises permettant de comprendre clairement de quoi on parle. Il est possible que ce retour aux images claires entraîne inéluctablement le rétablissement du déterminisme et c'est bien ce qui se passe dans la théorie de la double solution que j'avais proposé en 1927 et que j'ai reprise dans ces dernières années. Mais je crois assez dangereux de vouloir soumettre les théories physiques à des idées admises a priori ou de vouloir en déduire des conséquences philosophiques souvent très extrapolées. Ainsi on a voulu tirer de l'interprétation indéterministe et de la notion de complémentarité des conclusions bien fragiles et périlleuses, comme par exemple de mettre en relation les incertitudes de Heisenberg avec le libre arbitre humain : les relations d'incertitude qui s'appliquent au mouvement des électrons et dérivent des conditions de la mesure en Microphysique n'ont sans doute rien à voir avec le libre arbitre. En pareille matière, il est certainement plus sage pour le savant de rester sur le terrain relativement solide de la Physique théorique proprement dite et de s'aventurer le moins possible sur les sables mouvants des extrapolations philosophiques (...).
Je m'arrêterai un instant sur l'étude intitulée " Le dualisme des ondes et des corpuscules dans l'oeuvre d'Albert Einstein " dont le sujet est plus "dramatique" qu'on ne pourrait le croire au premier abord. J'ai cherché à y montrer comment la tentative d'interprétation de la mécanique ondulatoire par la théorie de la double solution que j'avais poursuivie de 1924 à 1927 était le prolongement naturel de la découverte par Einstein des quanta de lumière et de ses idées sur le dualisme des ondes et des corpuscules et sur les relations des corpuscules et des champs. L'échec au conseil Solvay d'octobre 1927 de cette tentative, à laquelle Einstein paraît avoir accordé une insuffisante attention, devait avoir pour lui une conséquence inattendue. En effet , cet échec, en provoquant le triomphe en apparence définitif de l'interprétation purement probabiliste qu'Einstein n'a jamais admise, devait conduire l'illustre physicien à terminer sa vie scientifique dans une sorte de douloureux isolement où il faisait paradoxalement figure d'homme qui n'a pas su suivre le mouvement des idées de son temps. Peut-être l'avenir lui accordera-t-il sur ce point une sorte de réparation posthume (...)"
Louis de Broglie, Septembre 1955 .
Après mure réflexion, Gerboise a décidé de ne pas faire de coupures dans le corps du texte de cette Préface de Louis de Broglie. Bien entendu, nous sommes conscient que le contenu technique de ce texte sera pour la plupart d'entre vous peut-être ennuyeux et même un peu fastudieux , voire parfois incompréhensible. Le contenu explicatif du message, concernant la physique, qui présente le contenu scientifique de l'ouvrage , n'est pas en lui-même l'objet de notre citation . Nous avons désiré vous faire percevoir un des aspect non négligeable du travail scientifique , qui est celui de l'acquisition et de la création du savoir. L'auteur , dans cette préface a traité ensemble les deux aspects du problème, et particulièrement celui de la relation du "découvreur" avec la collectivité scientifique. La nature humaine de cette relation a été présentée par Didier Anzieu dans son livre : Le groupe et l'inconscient , que nous avions porté à votre connaissance dans notre blog le 27 Janvier 2007, sous l'intitulé , Redoutable problème !
En lisant le texte de Louis de Broglie, on peut constater le réalisme, l'honnêteté et la modestie de ce grand esprit. Mais on peut également voir comment ce savant d'une intelligence, et d'une Créativité remarquables, s'est laissé subjuguer par l'air du temps de son époque, lui, et tout l'ensemble de cette communauté scientifique qui suivait passivement les "maîtres à penser". Mais son intime conviction sous-jascente ,cette pensée permanente, immuable, plongée au fond de sa conscience a refait surface après 25 années de sommeil !
C'est pourquoi l'unanimité presque totale d'une collectivité, n'est pas l'équivalent d'une preuve scientifique. Les interprétations des modifications des climats sont un des exemples typiques de ce problème. Les climats sur notre planète évoluent depuis toujours, particulièrement depuis les grandes glaciations de l'Ere Quaternaire, en particulier en relation avec l'activité à la surface du soleil par exemple. Il y a quelques milliers d'années le Sahara n'était pas un désert ; les restes fossiles dans des sédiments lacustres des affleurements géologiques du Tanezrouft, de la"femme de Brini", en témoignent. Les milliers de fragments de troncs d'arbres silicifiés de cette époque récente, qui jonchent la surface des regs sont des témoins incontournables de ces évolutions climatiques à une époque où l' Homme se déplaçait uniquement à pied !
C'est le même "état d'esprit" qui règne chez de très rares policiers (heureusement) et autres investigateurs..., qui ne relèvent et retiennent que les éléments d'observations qui vont dans le sens de leur thèse, de leurs présomptions initiales.
Tout élément étranger à cette façon de "voir les choses" est systématiquement écarté, non visible ; une sorte de cécité s'est installée, des éléments importants sont ignorés, l'esprit rejette inconsciemment(?) tout ce qui le dérange.
Si l'un de nous, modeste scientifique à la retraite, a tenu aujourd'hui à vous présenter cette réalité, vécue par ce personnage qui a fait l'admiration du monde, c'est qu'il a été plongé lui également dans ce dilemme, lutter, essayer d'imposer ses observations et ses interprétations ou faire "autre chose ". C'est ainsi qu'une route nouvelle ,merveilleuse, a été tracée dans le champ de l'enseignement de l'entendement et de la raison depuis presque 30 années et que notre blog , Gerboise, continue dans cette voie, a essayer de faire prospérer la Réflexion et le Savoir chez tous ceux qui le désireront.
C'est une belle leçon de réalisme, et c'est pourquoi on doit se rendre compte que l'unanimité de l'ensemble d'une collectivité n'est pas une preuve scientifique.
A bientôt,Gerboise.
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