jeudi 4 février 2010

Rire, son* de l'esprit !; quelques Réflexions cruciales sur le risible** .

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* son : sensation auditive , émission sonore ; ici, image qui évoque une réalité, expression de l'abstrait par le concret .
** risible : qui provoque le rire .

Si le rire pouvait être acheté dans les pharmacies comme les autres remèdes, tous les médecins feraient des ordonnances pour plusieurs rires par jour ... !

" Pour comprendre le rire, il faut le replacer dans son milieu, qui est la société, il faut surtout en déterminer la fonction utile, qui est une fonction sociale "
Henri Bergson, Le rire



Comment envisageons-nous les manifestations de notre gaîté par le rire ?

Les comportements de ceux qui rient, d'autres qui font rire ? Aimons-nous faire rire autrui ?

Voici une série de questions pertinentes qu'il va falloir envisager dans nos réflexions sur nos us et coutumes .

De manière générale, nous pouvons affirmer que nous nous abandonnons au rire sans être arrêtés par des inhibitions ( inhiber: empêcher d'agir, de manifester ses sentiments, ses opinions, de mettre fin à ses actions) qui entravent certaines manifestations de nos sentiments, tel que la colère, l'amour ou la haine et surtout la douleur .

Dans un lieu public, dans une salle de spectacle, même de classe, de réunion, nous laissons libre cours à nos rires, tandis que, devant une scène émouvante ou tragique, nous retenons, le plus souvent, nos larmes .

A la sortie, les rieurs cherchent les regards des autres spectateurs et se réjouissent d'y lire le contentement joyeux qu'ils ressentent eux-mêmes . Ils échangent volontiers à ce sujet des propos de satisfaction avec de parfaits étrangers au hasard des rencontres .

Au baisser du rideau sur une scène qui leur a arraché malgré eux des larmes, ils fuient les yeux de leurs voisins, tant pour leur dérober leur propre émotion que par pudeur de découvrir celle qui étreint ceux-ci .

Il faut que les circonstances rendent le rire manifestement inconvenant (déplacé, indécent) pour que nous le retenions - non sans peine, d'ailleurs .

La Bruyère l'a noté dans un passage célèbre des " Caractères " .

" D'où vient que l'on rit si librement au théâtre et que l'on a honte d'y pleurer ? Est-il moins dans la nature de s'attendrir sur le pitoyable que d'éclater sur le ridicule ? Est-ce l'altération des traits qui nous retient ? Elle est plus grande dans un ris immodéré que dans la plus amère douleur ; et l'on détourne son visage pour rire, comme pour pleurer, en la présence des grands et de ceux que l'on respecte ( quand notre rire est moqueur, mais non quand il a été provoqué par un bon mot de notre part) . Est-ce une peine que l'on sent à laisser voir que l'on est tendre, et à marquer quelque faiblesse, surtout en un sujet faux et dont il semble que l'on soit la dupe ? ... "

Nous recherchons les occasions de rire, non seulement dans les lieux réservés aux amusements, dans les fêtes et les réunions, dont le rire est le but, mais encore chaque fois que nous sommes en groupe et non absorbés par des occupations graves .Nous aimons à nous détendre, à entremêler de plaisanteries nos propos plus sérieux .

La Bruyère a envisagé la question plutôt sous son aspect littéraire et théâtral . Cependant du point de vue psychologique général, il nous paraît avoir dégagé la raison essentielle, à savoir que les larmes dénotent quelque défaillance . Nous luttons contre notre émotivité . Nous avons la pudeur de nos émotions profondes que nous cherchons à dissimuler de notre mieux .

Tandis que le rire est plus généralement une marque de supériorité, de confiance en soi - au pis aller, un moyen de se rassurer . Ceci particulièrement du rire moqueur .

Quant au rire d'origine comique, nous croyons avoir démontré qu'il est provoqué par la perception de rapports intellectuels . Nous n'avons donc pas plus de répugnance à le laisser éclater que nous n'en éprouvons à exprimer nos jugements, à exposer tout ce qui touche à notre vie intellectuelle .

Le rire joue un grand rôle dans la vie .

Selon l'usage qu'on en fait, les mobiles et les sentiments qui l'inspirent, il peut avoir une action malfaisante, simplement plaisante ou hautement morale .

De tous les moyens indirects de blesser, se défendre contre un adversaire, charmer ou convaincre, le rire est un des plus efficaces .

Tel qui se détournera dédaigneusement quand on le montre du doigt, qui laissera passer un haussement d'épaules et attribuera ces gestes à la mauvaise éducation, qui essuiera sans sourciller une critique acerbe, rougira, par contre, ou s'indignera sous les rires et les quolibets .

S'il nous arrive de rire sans arrière-pensée, il nous arrive également de réprouver le rire chez les autres ; en particulier, lorsque nous ne partageons pas les sentiments qui ont déclenché leur gaîté .

Enfin, il ne faut pas avoir une grande expérience psychologique pour se rendre compte que ceux qui se gaussent (se moquent, rient ) des autres devant nous ne nous épargneront pas davantage quand nous serons absents .

Ajoutons une autre remarque, qui a été faite par La Bruyère : c'est que " l'esprit de la conversation consiste bien moins à en montrer beaucoup qu'à en faire trouver aux autres ; celui qui sort de votre entretien content de soi et de son esprit, l'est de vous parfaitement . Les hommes n'aiment point à vous admirer, ils veulent plaire ; ils cherchent moins à être instruits et même réjouis qu'à être goûtés et applaudis, et le plaisir le plus délicat est de faire celui des autres " .

Autre question qui nous vient naturellement à l'esprit :

Aimons-nous faire rire ? et si oui, dans quelles circonstances ?

Cette question ne se pose pas au sujet des gens ridicules qui font rire à leurs propres dépens : c'est là une vérité première .

Mais dérider ses auditeurs par des saillies, ses bons mots ou ses tours plaisants, est un des arts les plus recherchés où ceux qui excellent trouvent une vive satisfaction d'amour-propre, le succès et parfois les honneurs . On préférera toujours Candide [ou de l'Optimisme, Voltaire, 1759, éditions de la Sirène Paris ] à Rasselas [ Prince d'Abyssinie, S. Johonson, 1819, éditions Louis Paris] , le conférencier spirituel au moraliste ennuyeux .

Si l'on pouvait acheter l'esprit, les queues seraient longues devant la boutique où il se vendrait .

Est-ce à dire que nous aimions faire rire en toute circonstance, ou, du moins, en dehors des moments que nous avions choisis, et autrement que par certains moyens ?

Il nous reste à regretter, encore une fois, que l'on n'ait pas marqué la distinction entre la raillerie (action de tourner en ridicule) ou l'esprit mordant et le comique gracieux ou l'humour bienveillant . Sans aller, comme Diderot, jusqu'à dire que " tout ce qui amuse et fait rire est fort bon " , il nous semble que nous devrions retirer notre estime à ceux qui usent des moyens de faire rire avec discernement que nous devons apporter en toute action, et qui savent à propos dérider leur interlocuteur et dissiper l'ennui qui tombe parfois sur les meilleures réunions .

En fait, nous cultivons leur société . Est-il commerce plus agréable que celui de ces gens du monde affables et cultivés, pleins d'indulgence et d'expérience, qui savent rehausser la banalité de la conversation de quelques plaisanteries fine, de rapprochements classiques sans pédantisme, aussi plaisants qu'ils sont appropriés, qui, d'un mot spirituel, réconcilient dans le rire les adversaires qui s'affrontaient déjà ?

Quelle reconnaissance ne devons-nous pas aux délicieux fantaisistes qui nous charment par leur badinage, aux humoristes dont les pièces et les nouvelles nous font passer des heures insouciantes - et pas toujours sans profit intellectuel ou moral !

La faculté de jouer est une marque de perfectibilité . C'est parce que l' homme n'est jamais adulte qu'il continue à s'amuser à tout âge . L'art, au sens large, est un jeu . C'est quand l'artisan est en pleine possession de son métier, maître de ses outils et de la matière, qu'il peut se permettre d'ajouter à son œuvre la touche artistique . Le style ne vient que lorsqu'on exprime ses pensées avec aisance .

Ne rit que celui qui n'est pas surpassé par sa tâche . L'humoriste est l'homme qui domine la vie et la vit en artiste .

J'espère et souhaite que tout ceci vous entraînera dans cette liberté personnelle de vous gausser sainement, de vous amuser judicieusement des situations de bon aloi, qui méritent de nous y attacher car estimables, sensées, salutaires et dignes d'intérêt . En deux mots : le plaisir de vivre !

Cordialement, bien à vous, Gerboise .

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