Il y aurait beaucoup à dire sur la condition féminine à travers les siècles ; et, de fait, beaucoup de choses furent dites, écrites,gravées, sculptées ou chantées, murmurées sur le sujet. Les principales intéressées, les femmes elles-mêmes , ne s'en privaient d'ailleurs pas ; y compris à une époque [ surtout avant le 19e siècle] où leur droit à la parole était réduit à sa plus simple expression, puisque leur vie se passait dans un perpétuel état de dépendance à tous les points de vue .
Vis-à-vis de leurs parents, de toute la famille, de l'ensemble de la société tout d'abord, puis de leur mari, « pour le meilleur et pour le pire » ( pour les plus heureuses et pour les plus pénibles circonstances de la vie ; la formule s'emploie habituellement en parlant du mariage et exprime la vision chrétienne de l'union idéalement durable, indissoluble au milieu de toutes les vicissitudes) , selon la formule consacrée ; le meilleur ne durant jamais bien longtemps, si l'on en croit, simplement, ce que racontent les chansons de toutes ces époques passées.
Car les femmes chantaient ; et c'était même là , à peu près, leur unique espace de liberté.
Elles chantaient en berçant leurs enfants, en filant, en tissant, en accomplissant leurs tâches ménagères au logis, au lavoir entre elles ; c'est-à-dire le plus souvent entre femmes, tandis que les hommes étaient occupés, hors de la maison, à la taverne, à leurs besognes d'hommes. Entre femmes, oui, il y avait des sujets dont on pouvait parler avec une relative liberté- ou plutôt chanter, car la parole directe engage parfois trop ; alors qu' il est si facile d'exprimer (vouloir dire; exprimer concerne en effet la pensée mais aussi les sentiments, que l'on manifeste par l'écrit et l'oral ainsi que par les gestes, l'attitude ) , exactement la même chose, en se réfugiant ( s'abritant, se mettre à couvert, se préserver) derrière les paroles d'une chanson. D'autant que les sujets ne manquaient pas : amours contrariés avec menaces de réclusion au couvent , pour les plus jeunes ; mariages arrangés par les parents, débouchant le plus souvent sur des unions désastreuses, pour les aînées ; maris tyranniques ou débauchés , que certaines n'hésitent d'ailleurs pas à tourner en ridicule ; fardeau du travail domestique et de maternités à répétition ( mortalité considérable durant la grossesse, ou lors de l'accouchement ! Là, elles étaient vraiment " délivrées " !) ; drames des filles-mères promises, à la prostitution, etc. Bref, un tableau des plus sombres.
Tableau, ce qui s'offrait à la vue, d'autant plus désespérant que la plupart de ces chansons devaient rester clandestines (sous le manteau ! en parlant d'interdits ; manteau a le sens métaphorique de « ce qui cache »), sous peine de sévères représailles, puisque les hommes avaient tous les pouvoirs. Y compris- pensaient-ils, ces naïfs ! - celui de vous empêcher de penser, de rêver, de les juger en silence, ou d'aimer ailleurs en secret… Pourtant - et il y a là un bien grand paradoxe, dû au poids considérable du sentiment social et du regard des autres - la hantise de rester vieille fille était plus forte que toutes les appréhensions (les inquiétudes ) que l'on pouvait nourrir (échafauder, construire dans son esprit) à l'encontre du mariage. Une angoisse correspondant à un double sentiment d'échec personnel et de culpabilité [mais n'est-ce point le propre des victimes que de se sentir éternellement coupables ?], que l'on retrouve dans de nombreuses chansons traditionnelles. Ainsi, à tout prendre, valait-il mieux un mari exécrable , détestable , répugnant,que pas de mari du tout !
Après l'apparition des mouvements féministes, vers le milieu du XIXe siècle, et les combats acharnés de quelques militantes emblématiques (caractéristiques) , tel que Flora Tristan, Pauline Roland (que Victor Hugo exalta quand elle mourut en 1852 au retour de déportation ) ou Louise-Michel, la situation commencera à évoluer ; et, remplissant comme toujours son office de miroir ( reflet) de la société, la chanson se fera, tout naturellement, l'écho de ces timides progrès.
Après ces réflexions sur la condition humaine féminine, construites à partir de ces témoignages subtils que furent ces airs chantés, fredonnés, par celles qui furent l'âme de notre douce France, répandus dans les campagnes, à travers les villages , les lavoirs et les champs, mais également par ceux sortis des ateliers dans les agglomérations et ceux exprimés sur les trottoirs, aux coins des rues des grandes villes , par de sympathiques " bateleurs " , malheureusement, de nos jours, presque disparus , nous continuerons à nous interroger sur cette société humaine si complexe, mais si riche en potentialités .
Fidèlement vôtre, Gerboise .
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