Quel est le lien entre le monde physique et le cerveau ? Les objets mathématiques existent-ils indépendamment du cerveau de l'homme, ou sont-ils seulement le produit de l'activité cérébrale ? Les mathématiques sont-elles universelles ? Mais le sont-elles au point de nous servir à communiquer avec d'hypothétiques habitants d'autres planètes ? L'éthique, qui nous fait distinguer le bien du mal, peut-elle être fondée sur des principes aussi universels que ceux des mathématiques, qui transcenderait la diversité des cultures et l'intolérance des idéologies ? La morale peut être reposer sur des fondements naturels, il faudrait rechercher dans le fonctionnement du cerveau humain en société ?
Telles sont quelques-unes des questions essentielles instruites dans ce livre original et stimulant. Par la qualité de ses auteurs et la fécondité de leur réflexion, il constitue un événement exceptionnel. »
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Mais aucune machine construite par l'homme n'est encore parvenue à reproduire les facultés de raison et d'invention de notre machine cérébrale.
Y arrivera-t-on un jour ? Une authentique intelligence artificielle est-elle réalisable à partir de la matière ? Telle est l'interrogation centrale de ce livre... »
Les ordinateurs utilisés actuellement manquent, me semble-t-il, de deux propriétés que le cerveau humain possède.
On peut tout d'abord remarquer que, dans le cerveau, le programme et la machine - pour employer le modèle de Turing ( mathématicien et logicien britannique , 1912-1954, ; il imagina en 1936, la machine de Turing, automate fictif universel, base de la théorie des ordinateurs, capable, par définition, d'effectuer tous les calculs. Turing parvient montrer ainsi qu'il existe des problèmes que sa machine ne peut pas résoudre, et qui donc sont insolubles par les méthodes calculatoires) - sont, dès les premiers stades du développement, très intriqués avec l'architecture connexionnelle. Il est difficile, sinon impossible, de définir un programme indépendant de la connectivité de la machine cérébrale. Les objets de sens se déposent (engendrent des structures moléculaires) progressivement dans la mémoire à long terme, au cours du développement. Le hardware ( mot anglais américain « quincaillerie »[ argot des ingénieurs ] . Les éléments matériels d'un système informatique ) se construit progressivement en fonction de la composition génétique de l'individu, mais aussi de l'interaction constante avec le monde extérieur. Mais surtout, propriété au centre de nos entretiens, le cerveau se comporte comme une machine évolutive. Il évolue, selon un modèle darwinien, simultanément à plusieurs niveaux et suivant plusieurs échelles de temps. Voilà ce qui, selon moi, différencie le cerveau des machines construites actuellement. Outre, bien sûr, l'intentionnalité, propriété liée à l'évolution et peu abordée parce que relevant du niveau d'organisation le plus élevé.
Le cerveau doit ainsi créer lui-même la fonction d'évaluation adéquate à une intentionnalité donnée .
JPC : Ce mécanisme suppose la mémoire .
AC : Effectivement, la mémoire, les expériences acquises.
Le cerveau peut s'appuyer sur des analogies pour comparer la situation présente à celles qu'il a connues auparavant.
JPC : Il existe d'une part une mémoire génétique. L'organisme humain, tel qu'il est aujourd'hui, résulte de multiples générations d'organismes qui, auparavant, ont déjà vécu ce genre d'expérience.
La réponse à un problème nouveau qui se présente est donc inscrit dans la mémoire des gènes .
D'autre part, le cerveau est ouvert sur la réalité extérieure, et surtout, peut puiser dans la mémoire à long terme qui s'est déposée au cours de l'expérience postnatale.
AC : C'est au deuxième niveau que se pose le problème fondamental.
Quel peut être le mécanisme qui permet au cerveau de choisir une fonction d'évaluation appropriée à son but ? Quels critères permettent de choix ? Tant que ne sera pas compris ce phénomène, on sera très loin du deuxième niveau, comme c'est le cas dans les machines qui existent actuellement.
JPC : C'est-à-dire qu'elles n'en sont même pas au troisième niveau .
AC : Elles n'en sont qu'au premier niveau. Elles permettent seulement de faire des additions ou des multiplications , même extrêmement compliquées, ou bien de jouer aux échecs. Mais la fonction d'évaluation, comme l'intentionnalité, est toujours donnée à l'avance. Aucune machine n'est aujourd'hui capable de construire elle-même la fonction d'évaluation adaptée à l'intentionnalité qu'on lui propose.
JPC : Les ordinateurs actuels ne sont même pas capables d'avoir des intentions.
AC : Non, puisqu'ils ne sont pas en interaction évolutive avec le monde physique.
Malgré leur mémoire, ils n'ont pas de passé autre que celui que nous lui imposons.
Ils sont non évolutifs. Il est certain que l'affectivité intervient dans le phénomène. Quand on se donne un but, c'est pour se faire plaisir, à moins d'être masochiste !
JPC : Cette capacité de se faire plaisir, est elle-même déterminée par notre passé évolutif . Si nous nous autodétruisions en nous faisant plaisir, il est certain que nous ne serions plus là !
AC : Bien sûr. Mais je pense que le mécanisme qui permet d'estimer si la fonction d'évaluation est appropriée au but suppose l'affectivité. Celle-ci est en effet nécessaire pour que l'on puisse apprécier ce qui s'est passé. L'adaptation de la fonction d'évaluation au but proposé ne peut se mesurer que par le plaisir ou le déplaisir qu'il engendre. Imaginons par exemple un joueur d'échecs, qui, bien que capable de calculer comme un ordinateur, choisit une mauvaise fonction d'évaluation. Il est bien évident qu'il sera grandement frustré lorsqu' il constatera qu'il perd toutes les parties qu' il joue . Le choix d'une mauvaise fonction d'évaluation ne lui aura procuré que du déplaisir. Mais ce dernier n'apparaîtra qu'à la fin des parties, et pas plus tôt. Sa fonction d'évaluation inadaptée l'empêchera de comprendre, au cours du jeu, que sa position est mauvaise et qu'il est en train de perdre. Pourtant, au vu du résultat final il comprendra l'inadéquation de sa fonction d'évaluation.
JPC : N'oublions pas que ce système d'évaluation interne (plaisir / déplaisir) et lui-même prédéterminé par le passé évolutif de l'espèce .
Ces affects sont déjà déterminés dans leur réactivité aux signaux du monde extérieur et du monde intérieur.
AC : De nos jours, les machines supposent une intentionnalité prédéterminée. De ce fait, elles en restent au premier niveau.
JPC: Mais alors, comment construire des machines qui accèdent au deuxième niveau ?"
( à suivre, dans un prochain billet intitulé par les deux auteurs:" Une machine qui souffre et s'autoévalue" [paragraphe 6, page 226] )
Nous vous conseillons fortement d'acquérir ce précieux ouvrage dans lequel vous trouverez un grand nombre d'interrogations pertinentes qui viendront nourrir votre réflexion sur la manière dont nous sommes capable, nous-mêmes, d'envisager, de considérer, des problèmes fondamentaux qui se posent parfois à nous .
Fidèlement vôtre . Gerboise .
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