mercredi 27 mai 2009

Le goût des mots ." Y a un peu plus, je laisse " ? ; " ça a été " ? ... Expressions savoureuses et pleines de sous-entendus igorées, négligées *


* et qui pourtant participent à ce qui devrait faire, constituer, le sel de notre vie ! Des expressions, des mots auxquels nous ne faisons plus attention ,mais qui pourraient nous apprendre beaucoup de choses et qui cependant parfois nous échappent ... !

Extrait d'un merveilleux petit ouvrage de Philippe DELERM, " Ma grand-mère avait les mêmes : " Les dessous affriolants des petites phrases, publié aux Éditions Points, 2008 ,[ 11 euros] .


Pour vous extraire des " rigueurs " de notre vie trépidante, vous devez vous plonger dans cette humble narration, vivante, ironique, pleine de subtilités qui concernent la Vie [ de tous les jours ! ] exprimée dans une langue française remarquable . Vous en sortirez plein d'allégresse, d'enthousiasme , entièrement ragaillardi , prêt " à reprendre du poil de la bête " , en liesse .

L'éditeur nous dit : " Philippe Delerm décrit comme personne les instants familiers à chacun de nous, et restitue, presque intacts, nos petits agacements, nos plaisirs furtifs, les grands moments de solitude et les émerveillements ...
Au fil de ces petites phrases toutes faites, faussement anodines, il démasque les sentiments enfouis et met à nu l'émotion .

Écrivain et " maître confiseur " de la collection " Le Goût des mots " , cet auteur, né en 1950 à Auvers-sur-Oise, voue son écriture à la restitution d'instants fugitifs, à l'intensité des sensations d'enfance . "

Voici parmi d'autres, en vue de vous mettre "l'eau à la bouche " !, deux savoureuses anecdotes trouvées au fil des pages :


" Y a un peu plus, je laisse ? [1ère anecdote (petite histoire curieuse ou amusante) de l'auteur]

"Parfois c'est seulement " y a un peu plus " . Mais même alors, le " je laisse ? " est sous-entendu, y compris la montée interrogative . Le commerçant est devant sa balance, le regard rivé à l'écran, les mains légèrement écartées en l'air, comme un prêtre à l'offertoire, candide et concentré . Il s'est donné du mal pour satisfaire vos désirs avec exactitude ; au milieu de quelques phrases enjouées, son sérieux est devenu légèrement ostentatoire (qui est fait, montré avec ostentation, c'est-à-dire avec une mise en valeur excessive et indiscrète d'un avantage ) .
Pas si simple de jouer devant lui le rôle du pointilleux ( exigeant, sourcilleux, de celui qui " coupe les cheveux en quatre " ! ) , non j'avais dit une livre, je n'en veux pas davantage . Bien sûr, on pourrait surjouer ( en parlant d'un acteur qui joue son rôle avec exagération, qui en fait trop ! ) l'amabilité du ton pour composer la rigueur des propos, vous seriez gentil de m'en enlever un peu s'il vous plaît . Mais on le sait . On est coincé . De toute manière, on en serait réduit à jouer le rôle du casse-pieds, et ce serait tellement peu dans la note, l'effervescence bon enfant du marché, la bonhomie (la simplicité) de ce rapport humain que vous êtes venu chercher ici . Car vous avez un cabas (sac à provisions) à la main, ou un panier, pas un caddie . . Vous n'arpentez pas des couloirs symétriques (ceux d'un supermarché) ; vous déambulez (flânez en vous promenant) , le nez en l'air, sourire aux lèvres . Vous ne remplissez pas vous-même des sacs de plastique difficiles à ouvrir . Il vous faut un officiant (celui qui vous servira lui-même) ; la qualité du rapport que vous entretenez avec lui est l'essence de ce commerce authentique (celui des petites épiceries) et déclinant (qui se perd) dont vous vantez les mérites - moi, j'adore faire mon p'tit marché (dans le petit commerce) .

"Alors il faut laisser, bien sûr, et même davantage . Manifester par votre attitude que vous ne soupçonnez pas le marchand de mauvaise foi, même si vous gardez pour vous quelques idées dont l'aigreur (le ressentiment, la mauvaise humeur) n'est pas de mise, c'est curieux, il n'y a jamais moins, depuis le temps qu'il pèse son beurre ou son fromage, il doit commencer à maîtriser son truc (ce type d'activité, son stratagème, sa combine, sa ruse) , à trente euros le kilo, il ne s'embête pas ( heureusement il n'en est pas toujours ainsi !) .

"Mais le regard s'est détaché de la balance . pour prolonger sa déférente (respectueuse) interrogation (discours, non plus avec des mots, mais avec des regards et des gestes dignes du " mime M arceau ") , il plonge dans vos yeux . Vous faites semblant d'y lire la fraîcheur du produit, non la rouerie (la malice) du commerçant . Des clients attendent à vos côtés, vous savez bien ce que le public espère . C'est l'heure de la jouer grand seigneur, avec cette infime réticence qui vous sauve à vos propres yeux, je ne suis pas dupe (crédule) mais je connais mon rôle . Une moue appréhensive des lèvres, une oscillation approbative du chef (de la tête) , un battement de paupières . ~Ça ira ~ ."

Oui, ce sont des petites saveurs de l'existence, de la vie ; le plaisir d'aller faire ses courses chez le petit commerçant du coin ! Où des situations truculentes se produisent ; situations ,chers lecteurs, que vous ne rencontrerez jamais dans un Supermarché, " une grande surface " ! Où la rationalité inhumaine règne . Il paraît même que ce petit îlot : intervalle d'humanité ! présent auprès de certaines de ces caissières, dans ces hangars matériels, va disparaître au profit d'une " mécanique logicielle " anonyme qui vous dominera de toute son intransigeance électronique, sans sourires, ni traces d'humanité .

Admettre ces petites vicissitudes qu'à soulignées avec bonheur, Philippe Delerm, n' est-ce pas le " prix à payer " pour avoir des relations humaines, en admettant ce " petit jeu " du commerçant de quartier ?

Oui, cela nous permet de voir rompu cet état d' indifférence de notre monde actuel . Avons-nous perdu définitivement l'habitude de ces contacts entre personnes de "bon aloi ? dans notre douce France ?

C'est pour cela qu'il est nécessaire d'opter entre un lieu où règne l'agitation désordonnée et l'indifférence presque absolue, et un ailleurs plus convivial, mais où il est nécessaire de se soumettre à certains rituels, parfois un peu agaçants, presque exaspérants, mais qui sont pleins d'interactions bienveillantes et réconfortantes .


"Ça a été ? [ 2eme anecdote de l'auteur]

" Bien sûr, il y a le patron sûr de lui, dans son restaurant plutôt cher et branché, qui vous accueille avec un " Qu'est-ce qui vous ferait plaisir ? " légèrement outrecuidant (content de soi, qui a une confiance excessive dans ses jugements et ses paroles) . En l'occurrence (en cette circonstance) , " ce qui vous ferait plaisir " n'est pas l'absolu gratuit de vos désirs, mais un choix bien délimité et tout à fait payant que vous trouverez sur la carte .

" J'avoue préférer de loin la serveuse peut-être socialement plus maladroite, dans un établissement beaucoup plus simple, qui s'enhardit (qui prend de l'assurance,qui se lance, qui sort de sa réserve ) en débarrassant la table : " Ça a été ? " Étrange formule, dont l'intonation interrogative bon enfant s'accompagne d'un empilement d'assiettes dynamique ,bientôt suivi d'une proposition familière : " Un p'tit fromage ? Un p'tit dessert ? Un p'tit café ? " Pour un peu, vous écoperiez ( recevriez) d'un " pour la p'tite dame, pour le p'tit monsieur ? " qui (pourrait ...si ...) vous ferait ~ ruer dans les brancards ~ (se révolter, refuser quelque chose ...) .

" Mais non . Elle s'en tient à ce " ça a été ? " qui n'est après tout que la forme passée du " ça va ? " lancé d'habitude en préambule par des proches ou des amis . Mais si "ça va ? " permet de s'enquérir très formellement de votre accord à la vie, " ça a été ? " s'adresse non seulement à votre approbation de la nourriture engloutie, mais au confort de son ingestion, à votre plaisir de vous trouver là . Il ne s'agit pas de se lancer dans des échanges philosophiques, ni même météorologiques, elle est toute seule pour vingt couverts . Mais c'est plutôt gentil, juste en passant, pour humaniser les choses, " ça a été très bien, merci ."

Ici également, nous devons accepter certains "us et coutumes " (usages) ancrés dans nos habitudes sociales pour ne pas se laisser entraîner dans un contexte artificiel, en quelque sorte, inhumain, dans lequel on reste anonyme, en dehors de la vie !

N'est-ce pas plus convivial que l'activité trépidante des ruches bourdonnantes telles que les salles de certaines chaînes de " fast food " , même intitulées " bio " ? dans lesquelles vous ne seriez même pas plus considéré que le serait un meuble anonyme ! un pion !

Oui, comme le précise au verso de l'ouvrage l'éditeur,

" Philippe Delerm décrit comme personne les instants familiers à chacun de nous, et restitue, presque intacts, nos petits agacements, nos plaisirs furtifs, les grands moments de solitude et les émerveillements ...

Au fil de ces petites phrases toutes faites, faussement anodines, il démasque les sentiments enfouis et met à nu l'émotion . "

A bientôt, cordialement votre, Gerboise .

vendredi 22 mai 2009

Réflexions sur l'histoire de la progression et du cheminement du langage écrit, ainsi que sur les incidences de sa montée en puissance, puis ... !



L'écriture
, cette conquête déconcertante, exceptionnelle, précieuse, qui va permettre à l'Homme , à toute l'Humanité, entre autres spécificités, de se distinguer des autres créatures vivantes . Elle est le complément naturel de la parole .

Elle a l'avantage de fixer les faits et les idées : de maintenir, de faire perdurer le souvenir ; d'obvier ( de prévenir, à faire obstacle) aux défaillances et aux erreurs de la mémoire, d'établir des communications faciles à travers le temps (la durée) et l'espace ( l'étendue) .

Pour communiquer entre eux, les hommes eurent d'abord recours à des procédés fort simples, encore utilisés de nos jours par les peuplades qui ne savent pas écrire . Les Malais de Sumatra envoyaient des paquets contenant des objets ou des substances symboliques ; du sel pour exprimer l'amour, du poivre pour exprimer la haine . Certains Peaux-Rouges correspondaient au moyen de perles de couleurs différentes enfilées sur des cordelettes . Les mélanésiens se servaient de bâtons portant des marques ou des encoches .

Ces moyens de communication ne pouvaient aboutir ( être amenés à leur terme, déboucher sur ... ) à une méthode générale .

C'est du dessin que dérive ( provient) l'écriture .

L'homme primitif créa assez rapidement l'art de reproduire par le dessin ou la gravure ce qu'il voyait . Il commença par représenter des objets et des êtres .

Plus tard il arriva à figurer des actes et même à exprimer des sentiments .

La Pictographie primitive (système d'écriture utilisant des pictogrammes : dessins figuratifs stylisés, qui s'attachent à la représentation de l'objet [opposé à l'art abstrait, ou non figuratif ] fonctionnant comme signes dans l'écriture et sans rapport avec la langue parlée ) évolua ainsi vers l'Idéographie (se dit d'une écriture, d'un système de signes à idéogrammes, c'est-à-dire composé de signes graphiques indécomposables qui représentent à eux seuls un mot, par opposition au signe phonétique qui représente un son ) . Pour indiquer un combat on dessinait deux bras tenant l'un une pique, l'autre un bouclier ; pour exprimer la joie, on représentait un homme qui danse .

L'idéographie n'était pas susceptible d'une grande extension . Mais une transformation se fit, se réalisa, véritable révolution qui devait avoir l'influence la plus heureuse sur le développement de l'écriture et, par conséquent, sur le développement intellectuel de l'humanité . L'image éveillait le nom de l'objet ou de l'être représenté ; elle était donc évocatrice d'un son .

Le trait de génie fut de comprendre qu'on pouvait figurer des sons comme on figurait des idées .

A l'idéographie succédait la phonétographie (phonème : élément sonore du langage articulé, considéré comme une unité distinctive ; phonétique : qui a rapport aux sons du langage ; ...graphie : élément qui signifie tracer, dessiner, enregistrer, désigne l'action ou le procédé) . C'est le système qu'avaient adopté les Aztèques du Mexique et qu'on utilise de nos jours dans les représentations phonétiques que nous dénommons les rébus .

L'objet dessiné évoque le nom, c'est-à-dire le son qui lui est attaché ; comme les langues primitives étaient monosyllabiques, l'évocation aboutissait à un son unique . Prenons pour fixer les idées un mot d'une syllabe et, cela va de soi, un mot français, le mot chat par exemple . L'idéographie représente l'animal ayant une signification réelle ou symbolique ; la phonétographie, par le même dessin, représente le son " cha " .

Bientôt, les voyelles ne jouant dans les langues primitives qu'un rôle restreint, on ne retient que la consonne ; la figure du chat signifia, dès lors, " ch " . ainsi naquit et évolua l'écriture hiéroglyphique utilisée par quatre peuples anciens, les Chinois, les Chaldéens et Assyriens, les Égyptiens, les Hittites .

La langue chinoise étant monosyllabique, se prêtait à merveille à l'emploi des hiéroglyphes . Avec 214 clefs ou idéogrammes, représentant des catégories d'objets ou symbolisant des idées générales, et avec un millier de signes phonétiques, on put attribuer un sens exact à des séries d'hiéroglyphes homophones constituant les 44.449 caractères de l'écriture chinoise .

L'évolution du langage conduisit à transformer les idéogrammes primitifs en syllabaires . Alors les signes se simplifièrent . Ils aboutirent chez certains peuples asiatiques, parmi lesquels les Chaldéens et les Assyriens, à l'écriture cunéiforme, ressemblant à des paquets de clous et, chez les Égyptiens, à l'écriture hiératique (sacrée) qui, entre les XVIe et XVe dynasties, se simplifia encore pour donner naissance à l'écriture populaire ou démotique (qui concerne le peuple) .

Un nouveau progrès fut accompli par les Phéniciens, qui empruntèrent aux Égyptiens leurs hiéroglyphes . Mais ils supprimèrent les signes idéographiques et réduisirent le nombre des signes syllabiques, dont ils ne conservèrent que 22 . Les voyelles étant assez indistinctes dans le langage parlé, ne furent pas figurées .
Les 22 signes qu'on avait choisis représentèrent 22 consonnes .

Ainsi l'alphabet était créé .

L'invention des Phéniciens se répandit dans le bassin de la Méditerranée et se propagea à l'intérieur de l'Europe . Elle subit de nombreuses et profondes modifications pour aboutir aux alphabets actuels .
L'écriture n'eut d'abord et ne pouvait avoir qu'un rôle restreint . On s'en servit pour des inscriptions sur les monuments et les pierres, puis sur des tablettes d'argile .

Un progrès considérable fut accompli par l'emploi des papyrus, des peaux tannées, du parchemin, ce qui aboutit à une nouvelle création, le livre . Puis vint l'invention du papier, invention chinoise, qui fut propagée et perfectionnée par les Arabes . Enfin, au milieu du XVe siècle, fut faite l'invention qui devait avoir la plus grande influence sur la diffusion de la pensée humaine, je veux dire l' IMPRIMERIE .

A partir de ce moment, les livres qui jusqu'alors étaient de véritables objets de luxe, recopiés en petit nombre, furent reproduits facilement à des centaines et des milliers d'exemplaires . Vendus à des prix modiques, ils devinrent les agents les plus actifs du progrès ; ils propagèrent les idées nouvelles, permirent les controverses, favorisèrent la lutte contre les erreurs et les préjugés ; ils diffusèrent les œuvres littéraires et les découvertes scientifiques et contribuèrent ainsi à l'éducation des masses et à l'élévation du niveau intellectuel ; ils servirent à l'émancipation des esprits et préparèrent souvent les mouvements révolutionnaires .

On peut dire, sans exagération, que l'imprimerie a été le grand facteur de l'évolution moderne .

Le développement de l'écriture a eu pour conséquence de diminuer notre pouvoir mnémonique (qui a rapport à la mémoire) . Nous inscrivons ce que nous devons faire et nous avons la sensation que ce qui est fixé sur le papier s'efface de notre mémoire .

Dans les temps antiques certains hommes étaient capables de réciter sans une erreur de longs poèmes, de retire de grands discours, de rapporter des textes difficiles . Les prophètes juifs, contrairement à ce qu'on dit souvent, n'étaient pas les commentateurs de la Loi, car la Loi écrite n'existait pas encore ; ils en étaient les auteurs et se transmettaient les textes oraux que leur mémoire savait retenir . En Grèce, les rhapsodes ( chanteurs de la Grèce antique qui allaient de ville en ville récitant des poèmes épiques : qui racontent en vers une action héroïque) récitaient les poèmes homériques . C'est aux Indes qu'on trouve les exemples les plus saisissants du pouvoir de la mémoire, quand elle ne se repose pas sur les relais écrits . Ce qui contribua à favoriser le développement de la tradition orale, c'est qu'on aurait cru commettre une profanation en révélant la parole de Brahma à quiconque savait lire .

Les moines se transmettaient la tradition et gardaient exactement le souvenir des nombreux textes . Ce fut seulement à la fin du XVIIIe siècle ou au commencement du XIXe que les Védas ( nom donné en Inde aux quatre livres " révélés " par les divinités aux sages de l'époque védique et censés contenir toute la sagesse divine : ce sont les livres sacrés des Hindous) furent consignés par écrit .

Aujourd'hui encore, l'enseignement oral est celui qui a le plus de succès . L'homme instruit s'appelle bahuçrata, celui qui a beaucoup entendu . De nombreux conteurs parcourent les villages et, le soir, récitent de longs poèmes . C'est d'ailleurs un usage fort répandu en Orient . J'ai entendu, à Smyrne, ou plutôt j'ai vu, car je ne comprenais guère, dans les cafés indigènes le conteur assis sur une haute chaise, faire pendant des heures, des narrations qui semblaient charmer les nombreux auditeurs : survivance d'un autre âge, remplacée aujourd'hui par le poste de T.S.F., par le poste de Télévision, et par l'Ordinateur .

A bientôt, nous poursuivrons nos réflexions sur l'abstraction en rapport avec le langage , dans un prochain billet .

Bien à vous, cordialement, Gerboise .

jeudi 21 mai 2009

Fernandel,"Il a été l'un des plus grands et des plus célèbres acteurs de notre temps et l'on ne peut le comparer qu'à Charlie Chaplin "[Marcel Pagnol]



Ici, Fernandel avec Bourvil, ces deux géants du cinéma français, sur le tournage du film " La cuisine au beurre " .

Réflexion sur la vrai valeur des êtres humains .

Fernandel, un personnage très célèbre qui demande à être vraiment connu, au fond de lui-même, pour être en mesure d'apprécier ses innombrables qualités, sa générosité, sa bonté et son affabilité (affable, qui accueille et écoute de bonne grâce ceux qui s'adresse à lui) . ( Le livre de Raymond Castans dont nous allons vous présenter quelques extraits ci-dessous vous permettra de découvrir certaines perspectives de ce géant du cinéma français ).
Nous apprécions davantage cette soi-disant ingrate " laideur " de son visage que la " laideur ", la noirceur de l'âme, la méchanceté odieuse de certains individus . Dans la vie, ce qui importe le plus, c'est que sur un visage disgracieux au premier abord, quoique,après tout (introduit une objection faite après une première affirmation) on puisse percevoir la réalité de l'être : son amour des autres et leur respect ; apprécier cet honnête homme qui a , toute sa vie, vénéré , chéri, adoré sa femme Henriette et respecté le lien parmi les plus précieux pour un être humain : celui du mariage .



Fernand Contandin, " Fernandel " fut un homme à une femme. La sienne : Henriette Manse ...Imaginez Fernand qui se débrouille pour aller le plus souvent possible chez les Manse, famille d'Henriette . Imaginez de visite en visite, de semaine après semaine, l'amour naître dans ces deux cœurs . En fin de journée, son travail terminé, Fernand vient saluer sa belle ; la mère d'Henriette aime beaucoup ce jeune homme ; elle l'accueille toujours en disant : " Tiens ! Voilà le Fernand d'elle " . Tous s'amusent à l'appeler ainsi . Ce baptême lui porte bonheur en art comme en amour . Fernand Contandin épousera Henriette Manse et deviendra Fernandel . Celui qui va triompher, celui qui sera addulé par les foules du monde entier, qui l'aiment et qui l'acclament, c'est toujours lui, le Fernand d'Elle .

Nous avons découvert dans une brocante (lieu de vente d'occasion de bric-à- brac, amas de vieux objets hétéroclites [dont les parties sont de différentes sortes et mal assorties, toutes sortes de livres en particulier] , destinés à la revente, de vieilleries disparates) un livre passionnant : " Fernandel m'a raconté " de Raymond Castans , publié aux Éditions de la Table Ronde et Éditions de Provence, en 1976 . Nous vous recommandons vivement de prendre connaissance de ce texte succulent . Nous ne savons pas si l'ouvrage est toujours en vente dans les librairies, mais nous pensons que vous pourrez l'emprunter dans une bibliothèque .

Voici le début de cet ouvrage :

" Il avait le visage le plus célèbre du monde !

Le visage ? Non ! La " gueule " ! Ou mieux encore " la tronche " ! Gueule, ça va pour un tragédien .
On dit : " Quelle gueule ! " Mais Fernandel évoquait tout sauf la tragédie . Fernandel, c'était la joie de vivre, la réussite sans complexe, l'exubérance, la galéjade (histoire inventée ou exagérée, plaisanterie généralement destinée à mystifier,à se moquer, blague) . Oui, c'est le vieux mot de notre argot lycéen des années 1930, c'est " tronche " qui convient .
D'ailleurs, il le disait lui-même . Il disait : " Avec ma tronche ! " Il disait aussi :

Il paraît qu'à ma naissance, ma marraine, quand elle m'a vu, elle n'a pu se retenir . Elle a crié : " Moun Diou ! Qu'es laï ! " [ Qu'il est laid ! ]

C'est possible . Ce n'est pas gentil . Et ça ne veut rien dire . Beaucoup de marraines en découvrant leur filleul nouveau-né ont pensé, sans le dire, la même chose .

Un journal avait publié cette manchette :

" L'aveu de Fernandel " . " Un jour, dit le grand comédien, je me suis regardé dans une glace . Et quand j'ai vu que j'étais si laid, j'ai pleuré . "

... Le Général De Gaulle l'avait reconnu officiellement . Le 3 Mai 1968, il avait invité Fernandel à déjeuné à l'Élysée ... Quand de Gaulle a fait son entrée, il a dit aux autres :
- Je ne vous présente pas M. Fernandel . C'est le seul Français qui soit dans le monde, plus célèbre que moi !

...Fernandel soupirait quelquefois :

Remarquez, ma tronche, elle m'a value beaucoup d'avantages et beaucoup de satisfactions .
Et je lui en suis bien reconnaissant . Mais, croyez-moi, il y a des jours où il faut se la porter .

... Ce qui se passe quand Fernandel se promène dans la rue et que les gens le reconnaissent est d'ailleurs très différent de ce qui arrive avec les autres célébrités, avec Maurice Chevalier, Jean Gabin ou Léon Zitrone par exemple . Ces derniers, les gens qui les reconnaissent, manifestent leur surprise en faisant des yeux ronds . Rien de plus .
Avec Fernandel, la surprise passée, aussitôt ils sourient . D'un merveilleux sourire, franc, heureux . Le sourire du " ravi " (bienheureux) de la crèche devant l'apparition .
Ça n'arrive avec personne d'autre et c'est, chaque fois pour Fernandel, un grand bonheur .
... Fernandel commence alors à me raconter les tribulations du soldat de deuxième classe Contandin rappelé à Marseille en septembre 1939, lors de la mobilisation générale . Le soldat de deuxième classe Contandin, vous l'avez deviné, c'est lui .
Il faut dire, expliquait-il, que, dans les dernières années avant guerre, on m'avait beaucoup vu sous l'uniforme . Dans les gaîtés de l'escadron, dans le train de huit heures quarante-sept, dans Lidoire, dans vive la classe, Les dégourdis de la onzième, Le coq du régiment, La Garnison amoureuse .Et surtout dans Ignace . Ignace qui avait tout cassé, que j'avais créé à Marseille, qu'on avait repris à Paris, qu'on avait tourné .

Toute la France avait chanté

Ignace,Ignace,
C'est un petit, petit nom charmant .

Et voilà que je me retrouvais à Marseille dans l'uniforme d'Ignace, bleu horizon, mais pas aux " Variétés " ( cinéma-théâtre) , cette fois, à la caserne . Ou plutôt dans un ancien music-hall du Prado qui s'appelait " Le château des Fleurs " et que l'armée avait réquisitionné pour en faire une caserne . Cette fois, c'était pas pour rigoler . C'était pour faire la guerre !
On avait un capitaine pète-sec ( cassant, autoritaire) . Un matin, il convoque mon adjudant :

- Qu'est-ce que j'apprends ? Que vous avez porté Contandin exempt de garde ? Qu'est-ce que cala signifie ?
- Mon Capitaine, répond l'adjudant, je ne peux pas mettre Contandin dans une guérite devant la porte, vous vous rendez compte, c'est Fernandel .
- Fernandel, ici connais pas, répond le pitaine . Ici, je connais Contandin . Et Contandin prend la garde comme tout le monde !
Une heure plus tard, je me retrouve, le fusil à la bretelle, l'œil perdu dans le vague, devant la grande entrée du dépôt .
C'était six heures, l'heure de sortie des bureaux .
Il y avait cinq minutes que j'étais là, ça commence . Un petit attroupement se forme autour de moi .

" C'est lui ! C'est pas lui ! Je te dis c'est lui ! Oh, Rosette ! Viens voir qui c'est qui c'est qui est là ? Fernandel ! Ça va , Fernand ! Chante-nous en une ! "

Au bout d'un quart d'heure, ils sont cinq cents. Une heure après, deux mille . La circulation est bloquée dans tout le quartier . Les tramways peuvent plus passer . Les agents sont débordés . Bien sûr on m'enlève de là . Le capitaine se fait engueuler . Et je suis convoqué par le commandant très gentil, qui me dit :

- Vous serez mon chauffeur !

Quelques jours plus tard, il m'appelle :

- Contandin, il me dit, prenez la voiture .

Nous allons au stade . Je vais passer une inspection des réservistes .
Je l'emmène au stade . Je me gare . Il me dit :

- Attendez-moi là .

Et il disparaît . Moi, je l'attends, toujours en costume d'Ignace, au volant de la traction .
Il se passe pas cinq minutes . Ça recommence . Les gens s'arrêtent :

- Vé, vé, qui c'est ? C'est lui ! C'est pas lui ! Je te dis que c'est sa tronche ! Oh, Fernand ! L'as paga, lou capeou !

Une demi-heure après, ils sont encore deux mille . Quand le commandant sort du stade, impossible pour lui de revenir jusqu'à la voiture . Il joue des bras, des coudes . Il m'appelle . Il finit par arriver tout débraillé, le képi de travers .
Bref !

- Bon, il me dit, si vous restez là, on ne va pas en sortir . Mettez-vous derrière . Faites-vous tout petit . Essayez de passer inaperçu . Je prends le volant .

Et c'est ainsi que je suis rentré à la caserne, moi deuxième cul (2eme classe) , installé à l'arrière comme un milord, dans une voiture conduite par un commandant à quatre galons .

... Qu'avait-elle donc d'extraordinaire, cette tronche de Fernandel ?

Elle faisait rire . Ce qui est toujours une espèce de miracle . Rire aux éclats . Tout le monde, les grands et les petits, les riches et les pauvres, les esthètes ( les artistes, les personnes qui se livrent à certaines activités comme un passe- temps, de manière plus ou moins fantaisiste) et les béotiens (les ignorants, les ploucs) , les analphabètes et les agrégés de l'Université .

Elle faisait rire !

Il serait plus juste de dire qu'il faisait rire avec ! Certes, il avait cette bouche chevaline, ces yeux si tendres et si rieurs, ces grosses lèvres gourmandes, ces traits d'une mobilité étonnante qui lui permettaient de marquer, dans toutes les expressions, toutes les nuances . Mais il jouait de tout en virtuose (en maître) .

Avec sa tronche, le bon Dieu lui avait donné un Stradivarius ( un instrument fabuleux, un violon d'une qualité exceptionnelle, fait par le célèbre luthier Stradivarius, né à Crémone , ville de la Région Lombarde en Italie, en1644, mort en 1737) .

Mais lui, c'était Paganini ( violoniste Italien, 1782-1840, enfant prodige, doué d'un étonnant génie d'interprète, il déchaîna l'enthousiasme de ses contemporains par le caractère démoniaque , diabolique de son jeu ) .

... personne ne faisait partie de la famille, sauf la famille . Fernandel lui-même veillait jalousement au respect de ce principe . Le mur qu'il avait dressé pour protéger sa vie privée et celle des siens était à peu près infranchissable ; Et dans les deux sens . On n'entrait pas chez les Fernandel ! Et les Fernandel ne sortaient pas . Franck mis à part, lorsqu'il eut choisi de faire le métier de son père, on ne voyait aucun d'entre eux dans les studios, sur les plateaux, aux premières ou dans ces restaurants d'acteurs que Fernandel appelait comiquement les raffineries parce que " les dîneurs, disait-il, y passent leur temps à ~ casser du sucre sur le dos des copains ~ " (dire du mal d'eux en leur absence) .

C'est vrai que peu de gens connaissaient Mme Fernandel .

Un jour, racontait Fernandel, Jean Gabin arrive aux bureaux de la société, la GAFER, où nous avions rendez-vous . Il était furibard (furibond, furieux, qui ressent ou annonce une grande fureur, généralement disproportionnée à l'objet qui l'inspire, au point d'en être légèrement comique) et en même temps il riait aux larmes . Je lui demande ce qui lui arrive . Il me répond :

- C'est à cause de toi . Je me suis fait piéger comme une vrai pomme (un naïf) .

Il avait vu à la devanture d'un kiosque à journaux sur une affichette pour un hebdomadaire à sensation : " EXCLUSIF : La femme cachée de Fernandel ".

" J'achète le canard ( le journal) , avoue Gabin . J'aurais pas été mécontent de te mettre un peu en boîte .

Je cherche la photo de cette femme que tu nous caches . Et qu'est-ce que je trouve en dernière page : Une photo de ta femme , d'Henriette . Faisant des achats dans ton quartier ! ... " Ah ! il s'était bien fait ~couillonner ~, le père Gabin .

Quand Fernandel devait aller à un gala, pour la sortie d'un de ses films, c'est sa fille Josette qui l'accompagnait . Plus rarement Jeanine . Mais de toute façon, il n'aimait pas voir paraître les siens . C'est une attitude fréquente chez les comiques [ on ne connaissait pas non plus la famille de Bourvil ni celle de Fernand Raynaud ] et pour beaucoup de raisons . D'abord parce qu'ils se sont lancés dans ce métier, presque toujours, contre la volonté de leurs parents et ils en ont gardé une espèce de honte freudienne (sentiments cachés inavouables ! ) . Eux-mêmes, d'ailleurs, ne souhaitent pas que leurs enfants suivent leurs traces . Fernandel aurait aimé faire de son fils Franck un notaire .
Ensuite parce qu'ils n'ont jamais cessé de souffrir de ce manque de considération dont ils sont toujours victimes, même - pour ne pas dire surtout - quand ils sont devenus des vedettes .

" Il y a, dit un personnage du ~Schpountz ~ (film) , Charlot qui reçoit des coups de pied au cul et M. Chaplin qui lui, donne des gifles " .

Hélas ! les imbéciles ne voient souvent chez les comiques que la face Charlot . Et les comiques veulent protéger les leurs de cette malédiction .

Presque tous les amis de Fernandel étaient des amis de métier . D'abord parce qu'il consacrait au travail une énorme partie de son temps . On sait quelle amitié orageuse l'avait lié à Marcel Pagnol, quelle amitié passionnée il avait eu pour Raimu, son aîné, le comédien qu'il admirait le plus - et qu'il jalousait un peu . Quelle amitié étonnante, il partagea avec Jean Gabin dans ses dernières années .

... Capvern, il y va depuis toujours . C'est une petite station ( thermale ) des Hautes Pyrénées, tout près de Bagnièes-de- Bigorre, dont les eaux sont très efficaces pour le traitement des reins . Il y a peu d'endroits au monde où l'on s'ennuie davantage . Françoise Rosay, Georges Brassens, Tino Rossi sont venus se soigner à Capvern .Ils y ont renoncé . Seul Fernandel est resté fidèle à la station . Il en est à la fois le curiste d'honneur et un peu l'attraction . Il y a des clients qui - renseignements pris - font coïncider leur séjour avec celui de Fernandel . Voir la grimace de Fernandel quand il ingurgite - à la source - son verre d'eau thermale, ça fait déjà passer un moment . C'est ça de gagné dans une journée toujours trop longue . Et puis, avec un peu de chance, ils feront avec lui une partie de pétanque dont ils parleront toute leur vie ...

Nous pensons que ce feuillet de Gerboise, intermède : divertissement entre les actes d'une pièce de théâtre, ou ...les parties de ce blog... [pourquoi pas ? ] , ce qui interrompt momentanément une activité , mais également est un intermédiaire qui, entre deux billets, constitue une sorte de récréation réconfortante , n'est-ce-pas ? Du moins nous l'espérons au fond de notre cœur .

Vous verrez, la lecture de ce livre passionnant ,léger, mais souvent également profond, vous fera oublier pour un moment, tous vos soucis, vos tracas, de cette vie parfois trop trépidante que nous menons ! Il vous permettra de connaître certains dessous de l'entourage et des films de ce " héros du rire " à la " tronche bienveillante " et au cœur sensible, tendre, d'or et généreux.

Bien à vous,cordialement, Gerboise .

mercredi 20 mai 2009

Premières clartés du matin : Quelques réflexions .

" Au point de vue intellectuel, la valeur de l'homme dépend d'abord de son jugement, puis du nombre et de la précision de ses informations . Au point de vue de la conduite, elle dépend de son caractère (ensemble des manières habituelles de sentir et de réagir qui distinguent un individu d'un autre) " .

" La valeur attribuée à une opinion ( manière de penser, de juger ; idée ou ensemble des idées que l'on a, dans un domaine déterminé) ne dépend pas généralement de sa justesse, mais du prestige (attrait particulier de ce qui frappe l'imagination, impose le respect ou l'admiration) possédé par celui qui l'énonce " .

" La plupart des êtres restent enveloppés d'un réseau d'opinions, de préjugés ( croyances, opinions préconçues souvent imposées par le milieu, l'époque, le parti pris) et d'erreurs qui leur voile (cache) les réalités . Ils traversent la vie sans y percevoir autre chose que les visions de leurs rêves ou les récits de leurs dires " .

Docteur Gustave Le Bon, Pensées brèves, Hier et Demain, Ernest Flammarion Éditeur, 1918 .

Bien à vous, Gerboise .

mardi 12 mai 2009

Les erreurs concernant les observations,les constatations,les contrôles,les témoignages,les défauts de vigilance et les diverses sortes d'ignorance*.

* - Quatrième partie, suite du Lundi 13 Avril 2009 .


VOIR ... ! observer dans des conditions non favorables , lumières plus ou moins intenses, qui vont provoquer, conduire à des erreurs (c'est-à-dire des situations dans lesquelles on tient pour vrai ce qui est faux, ou pour faux ce qui est vrai ) , des confusions (des situations embrouillées) , à des égarements (des situations dans lesquelles on se trouve hors du droit chemin, où l'on s'écarte de la vérité) , à des méprises (où on va prendre une chose pour ce qu'elle n'est pas) , des bévues (méprises grossières dues au manque d'attention ou à l'ignorance) : lueurs de l' aube, du crépuscule ; en présence de lumière vive, éclatante, éblouissante, aveuglante ; de pénombre, clair-obscur, demi-jour, d'obscurité, du noir, les ténèbres .

B - Erreurs accidentelles (imprévues, inattendues, liées au hasard) , ou fortuites .

Ces erreurs sont celles qui ne peuvent pas être exactement déterminées, soit qu'elles dépendent d'une multitude de petites causes agissant d'une observation à l'autre dans des proportions différentes - soit qu'elles dépendent d'une cause unique mais intervenant d'une façon irrégulière, désordonnée, imprévisible . Toutes ces causes indéfinies sont inanalysables : on les comprend (considère) en bloc sous l'appellation de hasard , d'où le nom de " fortuites " donné aux erreurs qu'elles engendrent .

Tandis que les erreurs systématiques affectent le résultat final dans un certain sens, soit en plus, soit en moins [d'où leur nom de systématiques] - les erreurs accidentelles sont tantôt positives, tantôt négatives, celles-ci et celles-là s'équilibrant à peu près si le nombre des observations est grand (point de vue statistique) .

Lorsqu'un appareil ne comporte pas d'erreurs systématiques, on dit qu'il est exact ; - lorsqu'il ne comporte presque pas d'erreurs fortuites, on dit qu'il est précis . Un appareil peut avoir l'une ou l'autre de ces qualités, ou les deux à la fois, ou n'en avoir aucune .

Les individus sont comme les appareils :

Ils peuvent être inexacts dans leurs jugements mais persister dans cette inexactitude, qui conserve toujours la même importance : l'erreur systématique l'emporte sur les erreurs fortuites ; - ou bien ne manifester aucune erreur systématique, mais présenter une grande variabilité de jugement . Ainsi un tireur, dans un stand de tir, touchera la cible en parvenant à mettre tous ses coups trop à droite, mais en les concentrant, en les regroupant sur un petit espace [la précision sera bonne, mais il y aura une erreur systématique égale à la distance entre le centre de cette cible et le point central de ce regroupement] ; un autre tireur, au contraire, éparpillera ses coups, [les impacts de ses balles sur cette cible] sur un plus grand espace, mais autour du centre, bien réparti sur tout l'ensemble de la surface de la cette cible . Ici les impacts sont dispersés, ils ne présenterons pas d'erreur systématique, mais la précision sera faible .
Ici aussi les cas extrêmes se rencontrent : concentrer les impacts au centre de la cible, ou les éparpiller autour d'un point situé lui-même dans une mauvaise direction .

Nous avons jusqu'à présent présenté l'origine et l'allure des erreurs, nous exposerons dans une prochaine intervention le problème fondamental de l'élimination de ces erreurs, problème redoutable qui demande beaucoup de réflexion, de circonspection (surveillance prudente que l'on doit exercer sur ses paroles, ces actions en prenant garde à toutes les circonstances) , d'esprit critique , de présence d'esprit et de finesse dans le raisonnement .

A bientôt, bien à vous, cordialement, Gerboise .

dimanche 10 mai 2009

Frontières, démarcations*, différences entre le Croire** et le Savoir** . Une réalité aux multiples, redoutables, tragiques et graves conséquences .


Qu'est-ce ? Je sais où je crois savoir ? quelle est la nature de cette image ?

Voici un problème crucial ! qu'il est nécessaire de résoudre .


* - démarcations
: ce qui sépare nettement deux choses .

** - Croire : C'est accepter, admettre, penser que quelque chose est véritable, c'est donner une adhésion de principe à une assertion, une thèse . C'est considérer comme vraisemblable ou probable, sans être sûr, sentir, éprouver comme vrai ce qui ne l'est absolument pas .
Croire en une chose, c'est la tenir pour réelle, envisageable, c'est estimer que ..., c'est s'imaginer que ..., c'est préjuger que ..., présumer que ..., supposer que ..., c'est y ajouter foi.

Si la chose est digne d'être crue, elle est croyable, si non incroyable .
L'action de croire s'appelle croyance ou créance ; celui qui est porté à croire trop facilement est un esprit crédule ; celui au contraire qui ne se laisse pas persuader est un incrédule et cette répugnance à croire porte le nom d'incrédulité .

*** - Savoir : est tout différent : c'est avoir du jugement, de la connaissance, avoir les moyens intellectuels de résister à la croyance et la volonté de s'en tenir strictement aux faits . C'est tenir pour vrai uniquement la réalité des choses tangibles, concrètes . C'est avoir à l'esprit, pouvoir affirmer la réelle existence de ... C'est être conscient de connaître la valeur, la portée de tel acte, de tel sentiment . C'est être capable par don, par habitude, par apprentissage de faire quelque chose .

Savoir ce que l'on a appris par l'étude, par l'expérience, suppose d'avoir dans son entendement des connaissances étendues dans tous les domaines qui puisse servir dans la pratique, et d' avoir acquit des savoir-faire, des " tours de main " et des " tours d'esprit ".
Savoir, c'est également avoir acquit et conservé précieusement son libre arbitre, une volonté libre sans contrainte, et surtout , d'être toujours capable d'exercer tout notre esprit d'analyse critique et toujours capable de " Savoir " jauger les informations qui nous arrivent de toute part .

Pour aborder l'étude de ce dilemme , de cette alternative entre, le Croire et le savoir , nous devons considérer deux cas extrêmes : celui du fanatique qui croit aveuglément tout ce que disent ceux qui lui assènent des " contre-vérité " , et celui du sceptique radical , qui ne croit à rien, pas même à ce qu'il voit et touche directement . Il est évident qu'ils souffrent tous deux de maux dont il faut se protéger . Il est nécessaire de se maintenir entre les deux, mais nul ne sait trop où passe exactement la ligne de démarcation, cette sorte de frontière labile (qui est sujet à changer) . L'idéal que nous nous fixons, et dont l'étude devrait nous rapprocher, est d'acquérir et de perfectionner un sain esprit critique, d'être blasé juste comme il le faut, mais également prêt à accorder confiance à ceux qui le méritent, pour ce qui leur vaut ce mérite . des générations de sages, de philosophes et de scientifiques ont tenté de tracer cette limite une fois pour toutes, de définir les canons (les modèles) de la rationalité critique, mais personne n'a vraiment réussi jusqu'ici . Il nous est resté, de-ci, de-là, des signaux, des segments de cette ligne tracés par les meilleurs d'entre eux, dans des cas particuliers, mais il y a pas de formule universelle unique . La rationalité humaine ne se laisse pas définir une fois pour toutes, ne serait-ce que parce que c'est elle qui devrait se définir elles-même, en s'examinant d'au-delà de ses frontières . Or c'est impossible .
La capacité critique s'acquiert par un exercice continu et absorbant ; elle ne s'obtient pas sur commande, en appliquant une formule ou en suivant à la lettre des canons préétablis. Parler de la capacité critique signifie donc commencer à l'exercer sur l'heure . Il serait imprudent de proposer des solutions, parce que le débat n'est pas clos, mais on peut montrer comment les chercher et quelles sont leurs conséquences, quand on pense les avoir découvertes .

Intuitivement, la différence entre croire et savoir nous paraît tout à fait claire .

Savoir, c'est " plus " que croire, y compris que croire " toute connaissance de cause " .

Croire en toute connaissance de cause quelque chose qui est vrai nous approche du savoir, mais cela ne nous le fait pas encore toucher du doigt .

Pour atteindre le savoir, à partir de la croyance, il faut que celle-ci ait une justification rationnelle, mais pas n'importe laquelle .

Si les raisons pour lesquelles nous croyons ne sont pas bien liées à la vérité de ce que nous observons , il ne s'agit pas d'un véritable " savoir " .

Il faudra, par la suite, définir le juste lien entre ce que les hommes croient et ce qui est réellement vrai : c'est un impératif culturel dont nous ne devons rien ignorer . Il nous faudra trouver de solides justifications rationnelles de ce que l'on croit et de ce que l'on sait . En leur absence, il n'est jamais possible de dire que l'on" sait " , sous peine d'être à la merci du sceptique et du relativiste, qui s'empressent alors de répéter que l'on ne " sait " jamais vraiment rien .

On croit savoir, ce qui est tout autre chose , nous en reparlerons !

Bien à vous, cordialement, Gerboise .

vendredi 8 mai 2009

Propos d'Alain ( Emile Chartier, 1868-1951, Etudes*, De l'acquisition des idées**

* ) Publié chez Gallimard en 1968 dans la collection " Idées " nrf n° 160 .

**) acquisition : acquérir : c'est obtenir en cherchant, en se renseignant, " acquérir la certitude d'un fait " ; conquérir : obtenir de haute lutte à partir de nombreux efforts et de la persévérance une chose difficile .

Note de l'éditeur située au verso de l'ouvrage :

" Ce volume rassemble pour la première fois 39 textes d'Alain, dont la plupart étaient demeurés jusqu'à présent inédits en librairie . Ils gardent entre eux des affinités et des liens étroits : c'est qu'ils ont été composés en vue d'un maître livre , " Les Idées et les Âges " , où finalement ils n'ont pas trouvé place - " je ne saurais dire pourquoi " , a déclaré Alain lui-même, qui néanmoins leur restait attaché . Il en va de ces " Études " comme de celles d'un grand peintre, qui conservent toutes leurs valeurs d'expression et de signification auprès des tableaux achevés qu'elles préparaient ."

Tous les autres Propos de cet ouvrage sont une source de réflexions à laquelle il est salutaire de venir puiser; c'est pour cette raison que Gerboise vous conseille de vous procurer ce petit joyau remarquable qui dans cette collection ne coûte presque rien !

Voici le texte " De l'acquisition des Idées " , d'Alain .

" Que toutes les idées soient prises (appropriation, captées) de l'expérience, c'est ce qui n'est pas utile d'établir .
Il n'y a point de pensée qui n'ait un objet, quand ce ne serait qu'un livre ; et ce n'est pas peu de chose qu'un livre, surtout ancien et réputé (qui jouit d'une reconnaissance unanime, célèbre, connu, fameux) . Mais cet exemple fait voir qu'il y a deux expériences. Connaître une chose, c'est expérience ; connaître un signe humain , c'est expérience . Et l'on peut citer d'innombrables erreurs qui viennent du signe humain et qui déforment l'autre expérience, comme visions (représentations imaginaires, images mentales) , superstitions (le fait de croire que certains signes entraînent mystérieusement des conséquences bonnes ou mauvaises) et préjugés ( croyances, opinions, préconçues souvent imposées par le milieu, l'époque ; parti pris, à priori, idées reçues) ; mais il faut remarquer aussi que nos connaissances les plus solides concernant le monde extérieur sont puissamment éclairées par les signes humains concordants . Il est impossible de savoir ce que c'est qu'une éclipse ( disparition, à la vue,passagère d'un astre, produite par l'interposition d'un autre corps céleste) à soi tout seul, et même à plusieurs dans une vie humaine ; et nous ne saurions pas qu' Arcturus s'éloigne de l'Ourse (constellation dans le ciel, l'étoile Polaire appartient à la Petite Ourse) si Hipparque ( Astronome et mathématicien grec, observateur plus précis et plus méthodique que tous ses prédécesseurs et découvrit la précession des équinoxes ) n'avait laissé un précieux catalogue d'étoiles ; en sorte qu'on pourrait dire que nous ne formons jamais une seule idée, mais toujours nous suivons une idée humaine et la redressons . Nous allons donc aux choses armés de signes ; et les vieilles incantations ( paroles pour opérer un sortilège : actions, influences qui semblent surnaturelles) magiques gardent un naïf souvenir de ce mouvement ; car il est profondément vrai que nous devons vaincre les apparences par le signe humain .

Ce n'est donc pas peu de chose, je dis pour l'expérience, de connaître les bons signes . Devant le feu follet ( petite flamme due à une exhalaison de gaz[hydrogène sulfuré] spontanément combustible) , l'un dit âme des morts, et l'autre dit hydrogène sulfuré . Au souvenir d'un rêve, l'un dit message des dieux et l'autre dit perception incomplète d'après les mouvements du corps humain . Quant à l'homme de la nature, qui va tout seul à la chose, et sans connaître aucun signe, sans en essayer aucun, c'est un être fantastique, qui n'est jamais né .

L'homme réel est né d'une femme ; vérité simple, mais de grande conséquences, et qui n'est jamais assez attentivement considérée . Tout homme fut enveloppé d'abord dans le tissu humain, et aussitôt après dans les bras humains ; il n'a point d'expérience qui précède cette expérience de l'humain ; tel est son premier monde de choses, mais monde humain, monde de signes, d'où sa frêle existence dépend . Ne demandez donc point comment un homme forme ses premières idées ; il les reçoit avec les signes ( chose perçue qui permet de conclure à l'existence ou à la vérité d'une autre chose, à laquelle elle estl iée) ; et le premier éveil de sa pensée est certainement, sans aucun doute, pour comprendre un signe . Quel est donc l'enfant à qui on n'a pas montré les choses, et d'abord les hommes ! Où est-il celui qui a appris seul la droite et la gauche, la semaine, les mois, l'année ? J'ai grand pitié de ces philosophes qui vont cherchant comment la première idée du temps a pu se former par réflexion solitaire .

Êtes-vous curieux de connaître les idées du premier homme, de l'homme qui n'est jamais né ?

Le développement, à la bonne heure( locution adverbiale marquant l'approbation ) ; mais l'origine, non . Et justement je tiens ici une notion importante qui concerne le développement . Sans aucun doute tout homme a connu des signes avant de connaître des choses . Disons même plus ; disons qu'il a usé des signes avant de les comprendre . L'enfant pleure et crie sans vouloir d'abord signifier ; mais il est compris aussitôt par sa mère . Et il dit maman, ce qui n'est que le premier bruit de ses lèvres, et le plus facile, il ne comprend ce qu'il dit que par les effets, c'est-à-dire par les actions et les signes que sa mère lui renvoie aussitôt .

" L'enfant, disait Aristote le Sagace, appelle d'abord tous les hommes papa " .

C'est en essayant les signes qu'il arrive aux idées ; et il est compris bien avant de comprendre ; c'est dire qu'il parle avant de penser .

Le premier sens d'un signe, remarquez-le, c'est l'effet qu'il produit sur d'autres . L'enfant connaît donc premièrement le texte humain par mémoire purement mécanique, et puis il en déchiffre le sens sur un visage de son semblable . Un signe est expliqué par un autre . Et l'autre à son tour, reçoit son propre signe renvoyé par un visage humain ; chacun apprend donc de l'autre, et voilà une belle amitié . Quelle attention que celle de sa mère, qui essaie de comprendre son petit, et de faire qu'il comprenne, et qui ainsi en instruisant s'instruit . En toute assemblée, même rapport ; toute pensée est donc entre plusieurs, et l'objet d'échange .

Apprendre à penser, c'est donc apprendre à s'accorder ; apprendre à bien penser, c'est s'accorder avec les hommes les plus éminents, par les meilleurs signes .

Vérifier les signes, sans aucun doute ; voilà la part des choses . Mais connaître d'abord les signes en leur sens humain, voilà l'ordre . Leçons de choses, toujours prématurées (qui arrivent avant le temps normal ; précoce) ; leçons de signes, lire, écrire, réciter, bien plus urgentes . Car, si ce ne sont point nos premières idées fausses que nous tirons peu à peu vers le vrai, nous pensons en vain . Comme il arrive pour les merveilles de la technique ; tout l'esprit est dans la machine, et nous restons sots . "

Toutes ces réflexions fondamentales seront intégrées dans nos feuillets futurs .

Bien à vous, cordialement, Gerboise .

mercredi 6 mai 2009

Le pain, aliment essentiel de notre culture, fait de farine, d'eau, de sel et de levain, pétri, fermenté et cuit au four .


Chauffage d'un four à cuire le pain au feu de bois . La sole du four sera nettoyée avant d'enfourner .
Une galette de pain tranchée en vue de pouvoir observer la mie à l'intérieur . Elle a été fabriquée artisanalement par nous-même . Gerboise .

La tranche grossie de la galette ; vue qui va permettre d'observer les descriptions qui vont suivre .

Vous pouvez agrandir ces images en cliquant sur chacune d'entre- elles .


Après ces deux photographies réalisées par Gerboise, comme la première montrant l'entrée du four, avec un appareil photographique CANON : [ EOS 30 D équipé d'un objectif EF-S 17-85 mm, 1:4-5,6 IS USM, macro 0,35m/1.2ft ] permettant d'observer de près cette " manne " (nourriture providentielle, don ou avantage inespéré) , voici quelques proverbes montrant que le pain à toujours été au centre des préoccupations des Français .

" Je ne mange pas de ce pain-là " : je n'accepte pas ces procédés .
" Manger son pain blanc le premier " : commencer par les choses agréables avant de subir des désagréments .
" Avoir du pain sur la planche " : avoir beaucoup de travail devant soi .
"Pour une bouchée de pain " : pour un prix dérisoire .
"Gagner son pain quotidien " : ce qui est nécessaire à la subsistance journalière .
" Ôter, retirer à quelqu'un le pain de la bouche " : le priver de sa subsistance .
" Gagner son pain à la sueur de son front " : le gagner durement par son travail .

DE LA FARINE DE FROMENT A LA GALETTE DE PAIN

Dans les moulins actuels, les grains des céréales (froment ou grain de blé en particulier) subissent divers traitements : ils sont privés de leur germes [épointage] , décortiqués, broyés, enfin réduits en farine . Cette dernière est plus ou moins blanche suivant qu'elle se compose uniquement de la partie centrale du grain (amande) , ou qu'elle contient une plus grande proportion d'issues ( son, remoulages, etc. ) .

La farine de blé est celle qui se prête le mieux à la panification parce qu'elle contient plus de gluten que les autres ; or cette substance est un élément indispensable à la fermentation du pain .

En quoi consiste le phénomène de la fermentation ?

Farine, eau, sel et un agent de fermentation( transformation d'une substance d'origine organique, sous l'influence d'un ferment [enzyme, microorganisme capable de provoquer une fermentation, levain ou levure] ) ,sont les quatre ingrédients dont on doit disposer pour faire du pain . Nous connaissons bien les trois premiers, mais savons- nous exactement ce qu'est le levain ?

Rappelons d'abord sa fonction .

Un pain sans levain est dur et lourd ; celui qui en contient est, au contraire, tendre et léger . Pourquoi ?

Le levain est un ensemble de végétaux microscopiques, et plus précisément de champignons unicellulaires appartenant à la famille des saccharomycétacées .En milieu convenable, c'est-à-dire en présence de sucres spéciaux, ces champignons se multiplient, respirent et se nourrissent : en un mot, ils vivent .

Pour cela, il est indispensable qu'ils transforment en alcool et en anhydride carbonique (anhydride d'un acide : corps qui, une fois combiné avec de l'eau, donne cet acide [l'anhydride carbonique réagit pour donner l'acide carbonique qui en présence de calcium produit le carbonate de calcium, sel de cet acide, qui précipite pour former les roches calcaires, formées du minéral la calcite, ou les dépôts calcaires des concrétions dans les grottes, stalactites et stalagmites ; mais aussi, en particulier dans les canalisations dans lesquelles les précipitations minérales sont constitués d'une autre forme cristalline, l'aragonite : ces deux minéraux, la calcite et l'aragonite ne diffèrent que par l'arrangement des différents atomes et molécules dans l'espace ; l'anhydride carbonique résulte, lui, de la combinaison du carbone et de l'oxygène ; l'anhydride ou gaz carbonique est un gaz incolore et inodore ] ) les molécules de sucre qui viennent à leur contact , provoquant ainsi la fermentation alcoolique . C'est à ces champignons que l'homme doit le vin [obtenu par la fermentation du moût, jus de raisin ou de pomme] et tous les produits alcooliques .

Dans le cas du pain, l'anhydride carbonique [qui est un gaz] , formé par les cellules du levain, tend à s'échapper, mais il en est empêché par l'action du gluten ( matière azotée qui subsiste après l'élimination de l'amidon des farines de céréales) , donc substance élastique et collante qui rend la pâte visqueuse . Les bulles de gaz carbonique, retenues dans la pâte, la gonflent, la soulèvent, la font " lever " , puis, pendant la cuisson dans le four à bois, elle se dilatent énormément, donnant au pain sa légèreté et sa porosité .

La température du four [~ 250° C ] fait sortir du pain les molécules d'alcool et d'anhydride carbonique ; en même temps, tous les champignons du levain meurent .

POUR QUELLE RAISON LE PAIN EST-IL NUTRITIF * ?

* nutritif : caractérise tout ce qui contient en abondance des éléments nourrissants .

Le pain contient l'essentiel des éléments qui sont indispensables au développement et à l'équilibre de l'organisme humain :

- Les hydrates de carbone , sous forme d'amidon et d'un petit pourcentage de sucre ;

Ce sont eux qui donnent au corps énergie et chaleur ; en outre, ils remplissent un rôle très important : leur présence permet à l'organisme d'utiliser complètement les protéines, substances azotées que l'on trouve par exemple dans la viande . Ainsi le pain que nous mangeons en même temps que celle-ci ne complète pas seulement notre alimentation, mais nous aide à mieux assimiler les éléments nutritifs de la viande .

- Les protéines , particulièrement nombreuses dans la farine grise, qui contient encore les germes des grains, broyés avec eux .

- Les sels minéraux : phosphore, potassium, sodium, soufre, magnésium, chlore, calcium et fer .

- Plusieurs vitamines , qui se trouvent principalement dans le germe et la couche d'aleurone ( terme de chimie : nom donné à une substance disposée en granules, remplaçant ou accompagnant l'amidon en beaucoup de plantes ) du grain .

Un kilogramme de pain contient en moyenne :
70 à 95 grammes de protéines
50 à 100 grammes de matières grasses
600 grammes d'amidon
et de l'eau .

La valeur dynamique d'un kilogramme de pain correspond à 2500 calories .

Les qualités de la farine tirée du blé sont différentes selon la partie du grain utilisée . Si l'amande farineuse ( située dans la partie centrale du grain lequel est appelé caryopse ) seule a servi, la farine est blanche ; elle est grise si l'on y ajoute le germe du grain (embryon, corps organisé qui en se développant, va produire la plante : ici celle qui sera porteuse d'un nouveau épis de blé) et noire si l'on utilise le grain tout entier avec ses parties corticales : péricarpe (partie du fruit, ici du grain de blé, qui enveloppe la graine, le son) et couche d'aleurone dont nous avons parlé ci-dessus . Ce dernier type de farine donne ce que l'on appelle le pain " complet " .

On emploie la plupart du temps la farine blanche ; elle permet une fermentation régulière, une cuisson homogène ; enfin elle donne un pain plus savoureux et meilleur . Toutefois, ces qualités sont obtenues au détriment d'importants éléments nutritifs contenus dans le germe et la partie corticale du grain .

Voici ce que nous pouvions présenter à propos de l'aliment le plus précieux pour l'Humanité .

Bien à vous, cordialement, Gerboise .

lundi 4 mai 2009

Bernard Palissy, ce précurseur,cet inventeur de génie,cet autodidacte qui s'est instruit,construit de lui-même,sans maître.Surtout, il fut aussi : *

* un vulgarisateur passionné, un innovateur audacieux, un précurseur révolutionnaire qui apporta à la France et à toute l'humanité, des changements pratiques radicaux , d'avant-garde, dans le monde de l'agriculture dont il transforma les bases de fond en comble, totalement. Il fut également l'initiateur de savoir faire et de savoir être, qui avec le soutient du Roi Henri IV et de son ministre et ami Sully, ainsi que de ses disciples, firent prospérer l'art de vivre dans notre douce France .


Savant passionné, curieux de tout notre monde : naturel, inerte et vivant ; maîtrisant les arts du feu,et ceux du monde agricole .



Ci-dessus, Bernard Palissy brûlant ses meubles pour " cuire " ses émaux .



Ci-dessus, Bernard Palissy donnant une leçon publique sur l'histoire naturelle .

L'aventure de ce personnage légendaire, exceptionnel, admirable a commencé avec la Renaissance .

Il faut situer cette odyssée (cette vie agitée) au cœur d' événements considérables, lourds de conséquences, sans précédents : l'invention de l'imprimerie, les guerres de Religion, les progrès de la Médecine, le règne du Roi François Ier , puis celui de Henri IV . C'est surtout le compagnon de ce dernier et ministre " Sully ",1559-1641, Maximilien de Béthune [duc pair de Sully] devenu surintendant des finances qui gère l'économie du royaume avec sagesse, privilégiant l'agriculture et développant l'élevage du vers à soie [plantation de millions de mûriers] ,qui développe les manufactures, l'artisanat . Il va pousser les paysans à produire plus que nécessaire afin de vendre aux autres pays. Pour cela, il fait augmenter la surface cultivée, fait assécher des marais . Il deviendra le premier Maréchal de France en1634 .

Au cours des guerres faites en Italie sous Charles VIII et François Ier, la noblesse française avait été frappée de l'état florissant de l'agriculture au delà des Alpes, surtout dans le Milanais et dans la Toscane . Elle avait remarqué que les seigneurs italiens, loin de dédaigner la culture de leurs terres, comme cela n'était alors que trop fréquent chez nous, y consacraient leurs soins, leur intelligence, leurs capitaux, et que l'exploitation du sol était pour eux une source de richesse . Cet exemple ne devait pas être perdu ; et d'autant moins que, comme toujours en pareil cas, la France allait être représentée dans ce mouvement pas de fortes et marquantes individualités .

Et d'abord voici l'un des plus vaillants parmi les membres de cette grande dynastie d'imprimeurs érudits " dont les travaux, dit un historien de l'époque, ont fait rejaillir sur la France une gloire comparable, sinon même préférable, à celle des plus illustres capitaines " , voici Charles Estienne, docteur en médecine, profondément versé dans les sciences naturelles, donnant, en 1554, son Proedium rusticum (maison rustique en latin), première œuvre agricole encyclopédique et méthodique publiée en notre pays .

La grande et légitime vogue ( célébrité, popularité) de ce livre s'affirma surtout quand, quelques années plus tard, le docteur Jean Liébault, gendre de l'auteur, en publia la traduction française, avec des additions considérables, sous le titre d'Agriculture et Maisons rustique de Charles Estienne, en laquelle est contenu tout ce qui peut être requis pour bastir (bâtir) maison champestre (champêtre) , prévoir les changements et diversités du temps, médiciner les laboureurs malades, nourrir volaille de toute sorte, dresser jardins, tant potager, médicinal que parterre, gouverner mousches a miel (abeilles) faire conserve, confire les fruits, fleurs et racines, et escorces (écorces) , prépare miel et cire, planter, enter (greffer) et médiciner toutes sortes d'arbres fructiers (fruitiers), faire les huiles, distiller les eaux (jus ) , avec plusieurs portraits d'alambics pour la distillation d'icelles, entretenir les prés, viviers et (estangs) , labourer les terres à graines, façonner les vignes, planter bois de haute fustaye (futée) et taillis, bastir (bâtir) la garenne, la héronnière et le parc pour les bestes (bêtes) sauvages ; plus un brief (bref) recueil des chasses du cerf et du sanglier, du lièvre et du regnard (renard) , du bléreau, du connin (lapin) et du loup, et de la fauconnerie .

Cet ouvrage, après avoir eu un grand nombre d'éditions au cours du XVIe et du XVIIe siècle, fut totalement et très habilement refondu vers 1700 par Liger, auteur sur la vie duquel on a aucun détail, mais qui, autant que l'on peut croire, exerçait l'art sur lequel il a écrit en maître . Cette même Maison rustique fut de nouveau remaniée, en 1755, par La Bretonnière, enfin par J.-F. Bastien, en 1798 et 1804 .

Bien venu devait être un tel ouvrage alors que, sur l'exemple rapporté d'Italie, la coutume s'était établie parmi les gentilshommes français de diriger eux-mêmes l'exploitation de leurs domaines .
Et cependant, quelques succès qui répondit à la publication de la Maison rustique d'Estienne et Liébault, quelques nombreuses qu'en dussent être les éditions, c'était encore, nous devons le reconnaître, beaucoup plus œuvre d'érudits, de compilateurs, d'enregistreurs habiles que de praticiens ; car les deux savants auteurs, médecins, imprimeurs, habitant le cœur de Paris, n'avaient guère pu réunir dans leur travail que ce qui leur avait paru digne d'attention dans les divers écrivains des époques antérieures et les remarques consignées dans les meilleurs écrits contemporains .

Livre excellent, précieux sans doute, mais d'une façon toute relative ; mais livre fait surtout avec des livres !

Il fallait plus ou mieux pour ouvrir une ère nouvelle au progrès agricole .

Or,huit ou neuf ans après la publication du Proedium rusticum d'Etienne [1563] et alors que Liébault était à la veille d'en donner la traduction française, voilà qu'en ville de la Rochelle parut un petit livre intitulé :

Recepte (sorte de causerie éparpillée sur mille sujets divers, souvent peu approfondis) véritable par laquelle tous les hommes de la France pourront apprendre à multiplier et augmenter leurs trésors .


Cet opuscule était signé par maistre Bernard Palissy, de Saintes, ouvrier de terre et inventeur des rustiques figulines du Roy .

Ouvrier de terre : est-ce à dire paysan ou laboureur ? Non, c'est-à-dire potier . Inventeur des rustiques figulines ( du latin fiigulinae, ouvrages de poterie . Rustique doit s'entendre, se comprendre, de ce que la plupart des pièces étaient ornées des choses qu'on trouve à la campagne : fruits, fleurs, coquilles, poissons, reptiles, etc. ) du Roy, c'est-à-dire fabriquant, modeleur de poteries émaillées, si artistement belles dans leur rustique ordonnance, qu'elles ont valu à leur auteur le titre que nous lui voyons prendre et qui équivaut à celui de " fournisseur des ornements céramiques des demeures royales " .

Alors en quoi nous peut intéresser l'écrit ce potier, et quelle recepte nous saurait-il offrir qui ne fût purement professionnelle ?

Ne préjugeons rien cependant . Ouvrons le livre .

Le livre ouvert, nous voyons qu'en faisant dialoguer deux personnages presque à bâtons rompus ( avec des interruptions, de manière peu suivie) , l'auteur, dans une langue ravissante de franche et énergique naïveté, touche à toutes les questions d'économie rurale, avec cette simplicité magistrale, imposante, qui est celle des hommes de génie ; et aussi bien, en passant, aborde-t-il d'aventure maint grand problème scientifique qui, obscur jusque -là se trouve tout à coups éclairé d'une lueur si vive, qu'il faudra encore au moins deux siècles avant que d'autres puissants esprits, guidés par cette lumière éblouissante pour les regards vulgaires, proclament les vérités qu'a entrevues cet étonnant précurseur .

Qu'est donc cet homme ? d'où vient-il ? au sein de quelle école fut-il nourri ?

Il est né de très pauvre gens qui ont pu tout au plus lui faire apprendre à lire ; puis il a été élève arpenteur et arpenteur en titre . Et tout en levant des plans ou mesurant des terrains pour ceux-ci, pour cela, il s'est formé tout seul dans le dessin, dans la peinture, en même temps que dans l'art de poterie, pour les progrès duquel il a été pris d'un zèle tel, qu'après maint (de nombreuses fois ) essai ruineux, après mainte déception cruelle, un jour que le bois lui manquait pour mener à fin une fournée d'expérience décisive, il n'hésita pas à faire feu des quelques meubles qui restaient encore dans son pauvre logis .

Mais enfin il a réussi, il a inventé de toutes pièces un art particulier, personnel : il a créé ces rustiques figulines qui surprennent, émerveillent autant par l'originale pureté de la forme que par l'harmonieuse magie du coloris .

Son but est donc magnifiquement atteint, et il devrait suffire, semble-t-il, à ce potier qui a fait tant d'effort pour devenir un artisan hors ligne, d'exploiter fructueusement les procédés qu'il a découverts, perfectionnés, en se parant du titre exceptionnel qui lui a été concédé par faveur royale ; et d'autant mieux qu'il n'est plus à l'âge ordinaire des grandes ambitions, car, né au commencement du siècle, la cinquantaine est déjà sonnée depuis longtemps pour lui .

Mais non ! car il n'est pas de ces esprits qui se bornent à suivre une seule visée, qui laissent le succès prescrire des limites à leur essor .

Tout en s'appliquant avec une ardeur inouïe à ses travaux polyvalents et recherches en céramique, le potier n'a pas pour cela discontinué les études qui depuis l'âge de raison lui sont coutumières .

Et quelles études ?

Étant autodidacte ! il n'avait aucune idée théorique préconçue, il ne parlait pas d'après autrui, mais uniquement d'après lui-même .

" Ne sachant ni grec, ni latin, nous dit-il, n'étant ni docteur, ni grammairien, je n'ai eu d'autre livre que le ciel et la terre, lequel est connu de tous : car à tous est donné de voir et de connaître ce beau livre . Au surplus, je me suis toujours donné garde d'ennuyer mon esprit des sciences faites aux cabinets d'étude par une théorie imaginative, trouvée dans les écrits de ceux qui ont rien pratiqué ; et toujours je me suis donné de garde de croire les opinions de ceux qui disent et soutiennent que la théorie a engendré la pratique "
.

Tout l'homme est dans ces quelques lignes,

et avec cet homme d'ailleurs tout l'esprit scientifique moderne, qui proclame comme premier principe de porter la lumière de l'examen, de l'expérience sur les moindres assertions des devanciers ( au contraire de l'esprit scientifique, qu'on pourrait qualifier aveugle et immobile, qui pendant tout le Moyen Âge accepta, presque sans contrôle aucun, les anciennes données, par respect pour un maître qui le plus souvent les avait acceptées telles quelles d'un devancier, sans les soumettre à aucun examen, sans regarder et connaître la Nature ), et qui consacre surtout l'utilité de cette grande et fortifiante lecture que le potier avait coutume de demander à son beau livre : le ciel et la Terre . Donc un jour, sa réputation professionnelle établie, Bernard Palissy fut poussé à dire ce qu'il avait lu ainsi . Et alors il écrivit, il publia cette Recepte véritable, cent cinquante pages tout au plus, mais où foisonnent la profonde observation et le conseil magistral .

C'est en devisant simplement, naïvement, pourrions-nous dire, c'est en communiquant au lecteur l'impression qu'il ressent, l'émotion qui le gagne en regardant la nature et les choses naturelles, que ce voyant dévoile les grandes et les petites vérités jusqu'à lui inaperçues, et formule les préceptes d'ensemble et de détail .

Au total, cette recette, qui doit permettre à tous de multiplier leurs trésors, n'est autre que l'art de travailler la terre d'une façon intelligente et rationnelle ;

Écoutons, par exemple, le potier de Saintes traduire à la fois et le pieux respect que lui inspire la grande nourricière du genre humain et l'indignation qu'il éprouve de la voir livrée aux mains des routiniers .

" Je te le dis, il n'est nul art au monde pour lequel soit requis une plus grande philosophie[science] que l'agriculture ; et je te dis que si l'agriculture est conduite sans philosophie, c'est autant que journellement violer la terre et les choses qu'elle produit ; et je m'étonne que la terre et ses produit ; ne crient vengeance contre certains meurtrisseurs, ignorants et ingrats, qui journellement ne font que gâter et dissiper et planter sans aucune considération . Les actes ignorants que je vois tous les jours commettre en l'art d'agriculture m'ont fait plusieurs fois me tourmenter et colérer en mon esprit, parce que je vois que chacun tâche à s'agrandir et à chercher des moyens pour sucer la substance de la terre sans y travailler " .

Écoutons l'homme pratique, l'économiste rural :

" Quand tu vas par les villages, considère un peu les fumiers des laboureurs ; tu verras qu'ils les mettent hors de leurs étables, tantôt en lieux hauts, tantôt en lieux bas, sans aucune considération ; qu'ils soient empilés, il leur suffit ; et puis prendre garde au temps des pluies, et tu verras que les eaux qui tombent sur lesdits fumiers emportent une teinture noire en passant par-dessus ; et les eaux qui passeront sur lesdits fumiers emporteront la-dite teinture, qui est le principal et le total de la substance bonne du fumier . En quoi alors le fumier ainsi lavé et porté aux champs peut-il servir, sinon de parade ? car, ainsi que le poisson salé qui trempe longtemps dans l'eau perd son son sel et n'a plus de saveur, ainsi les fumiers perdent leur sel . "

Voici maintenant le physiologiste en contemplation devant les phénomènes de la vie végétale .

" M'allant promener, j'allais considérant les merveilleuses actions que le souverain a commandé de faire à la nature, et entre autres les rameaux des vignes, des pois ( également les ignames, tubercules originaires d'Afrique) , lesquelles semblaient qu'ils eussent quelque sentiment et connaissance de leur débile nature . Je voyais un nombre des dits rameaux qui n'avaient rien à quoi s'appuyer et jetaient en l'air leurs petits bras, pensant empoigner quelque chose pour soutenir la partie de leurs dits corps ; alors je venais présenter certaines branches et rameaux ; et, ayant fait cela le matin, je trouvai au soir que les plantes susdites avaient jeté et entortillé plusieurs de leur bras à l'entour des petits rameaux ".

" Ayant passé plus outre (allé plus loin, au delà,continué à faire, en plus de cela) , j'aperçus certains arbres fruitiers qu'il semblait qu'ils eussent quelque connaissance, car ils étaient soigneux de garder leur fruit comme la femme son petit enfant . Je vis la vigne, le concombre et autres, qui s'étaient fait certaines feuilles desquelles ils couvraient leurs fruits, craignant que le chaud ne les endommageât ; je vis les rosiers et groseilliers qui, afin de défendre leurs fruits contre ceux qui les voudraient ravir, s'étaient fait des armures et épines piquantes au-devant des dits fruits . "

Et c'est ainsi que tour à tour pénétrant, subtil, précis, attendri, toujours lucide et persuasif, il exhorte à la rénovation de l'art agricole, montrant aux routiniers les avantages de l'examen, reprenant les gentilshommes pauvres qui, ~ endettés jusqu'aux oreilles ~, se croiraient devenus vilains parce qu'ils auraient un peu manié un ferrement ( fait de ferrer un cheval ) d'agriculture ; conseillant au roi de créer certains états, offices et honneurs pour tous ceux qui inventeraient quelque bel et subtil engin pour le travail des champs ; déplorant que, si les armuriers changent souvent les façons des hallebardes, épées et autres harnois, l'agriculture, en son ignorance si grande, demeure toujours à une mode accoutumée et garde " lourds les ferrements qui étaient lourds au commencement : - nul enfant de bonne maison ne se trouvait pour étudier à inventer des outils convenant mieux au labourage, tandis que tant et tant savent s'étudier à faire découper du drap aux diverses modes étranges " ; enfin appelant de tous ses vœux le jour où, les hommes " apportant autant de zèle et affection au labeur de la terre qu'ils en ont pour acheter les offices, bénéfices et grandeurs, la terre sera bénite ainsi que le travail de celui qui la cultivera " .

Que de conseils, les avertissements contenus dans l'opuscule publié en un coin assez retiré de la France aient aussitôt trouvé beaucoup d'écho, il ne faudrait pas l'affirmer ; mais, quelques années plus tard, le potier, quittant sa province, vint à Paris, et là, non seulement il publia d'autres livres où il faisait prévaloir les mêmes idées, mais encore, pendant dix ans, il fit en langue vulgaire, chose inouïe jusqu'alors - de ces leçons publiques que nous appelons aujourd'hui conférences .

Son auditoire était ordinairement composé de tout ce que l'époque comptait de plus hauts, de plus illustres et de plus intelligents personnages ; Il exposait là, avec une verve entraînante, ses principes, ses vues, sur des questions que nul professeur ne traitait aux écoles, car elles appartenaient à des sciences qui littéralement n'étaient pas encore nées : physique, chimie, géologie, minéralogie ; il parlait, - comme il pouvait seul en parler - de tout ce qui touchait aux phénomènes naturels, sans oublier, bien entendu, ces problèmes ruraux qui avaient été des premiers à préoccuper son puissant esprit .

Évidemment, pendant que beaucoup de ses auditeurs s'étonnaient, chez qui l'étonnement provenait d'une difficulté de compréhension, quelques intelligences plus hautes recueillaient, conscientes, ce robuste enseignement .

Quoi qu'il en fût, l'homme de génie allait semant les vérités qu'il voyait et qu'il s'efforçait de faire voir, laissant au temps de mûrir le grain de sa parole souvent incomprise .
A vrai dire le temps où il parlait, où écrivait ce grand initiateur [1563-1585] - époque des plus terribles, des plus sanglantes dissensions civiles - était peu propre à l'efficace diffusion de ses enseignements . Seigneurs et paysans, propriétaires et fermiers étaient plongés en même temps dans la détresse la plus profonde . En beaucoup de contrées, la terre, dit un contemporain, " était laissée, faute de bras et de facultés pour la cultiver " .

Mais enfin [1594] des jours moins rudes commencent . Les destinées du pays sont au mains d'un prince dont le premier ministre - qui est avec lui en parfait accord de vue, - a pour axiome que :

" Labourage et pâturage sont les deux mamelles dont la France doit être alimentée, et les vraies mines et trésors du Pérou "

(allusion aux revenus considérables que les Espagnols tiraient de ce pays depuis le commencement du siècle : richesses toutes factices, dont la trop grande abondance avait tari chez eux toutes les sources du travail national )
.

Henri IV et Sully, qui avaient été élevés au milieu des champs et prisaient fort le travail agraire, connaissaient les vraies bases de la fortune publique .

Ils savaient que la France, par son sol et son climat, pouvait être le premier pays agricole de l'Europe ; et ils comprenaient les conditions essentielles de l'agriculture nationale . Etant tout pénétrés de cette vérité que le labeur des champs a besoin de protection et de sûreté, Henri IV et Sully employèrent tous leurs soins, tout leur pouvoir à délivrer les campagnes du fléau de l'anarchie et de celui des vexations qu'engendre un mauvais système fiscal . Renouvellement de déclaration de l'inviolabilité du laboureur et de ses instruments ; ordonnances sévéres contre les bandes armées désolant les campagnes, et même autorisation aux paysans de leur courir sus ; remises ou répartitions plus équitables des tailles ; châtiments des exacteurs fiscaux ; travaux de dessèchement des marais ; primes aux défricheurs de jachères ; créationde routes, chemins et canaux ; édits contre l'usure, etc.

L'auxiliaire, le conseiller le plus ardent de toutes les mesures qui pouvaient être favorables à l'agriculture était un contrôleur général du commerce nommé Barthélemy Laffemas . Nous ne serons pas étonnés d'apprendre que ce digne fils de ses œuvres, ce vaillant ami du bien public, n'était autre qu'un des disciples les plus fervents, les plus dévoués de Bernard Palissy .Les progrès de l'agriculture se poursuivirent dans tout le royaume . La paix était venue et le bruit de ces heureux développements se répandit en hauts et bons lieux .

Comment ? par qui arriva-t-il ? Ce ne serait pas se hasarder beaucoup que de faire intervenir ici Laffemas, par cette raison que ce gentilhomme laboureur en ses terres s'était assis jadis aux côtés d'Olivier de Serres, seigneur de Pradel dans le Vivarais, aux conférences de Bernard Palissy. Tous deux originaires du midi de la France, épris de la même passion du bien et disciples du même Maître, et du même amour de la terre, un lien très fort devait exister entre eux . Toujours est-il que, présenté à Henri IV en 1598, Olivier de Serres détachait d'abord, à sa prière (demande) , de son travail, pour le rendre public, le chapitre traitant de la culture du mûrier et de l'éducation des vers à soie ; et que, l'année d'ensuite (suivante) , quand le roi - qui prévoyait par là un brillant avenir pour les manufactures françaises - eut résolu de répandre partout où elle serait possible cette culture et cette industrie, Olivier de Serres fut chargé de recueillir les plants de mûrier qui devaient être plantés dans les jardins royaux, et notamment aux Tuileries .

Enfin, au cours de l'année 1600, parut, imprimé aux frais du roi - qui chaque jour, pendant plusieurs mois, se faisait apporter ce livre, " où il lisait une demi-heure, après son dîner " - le Théâtre d'agriculture et ménage des champs, par Olivier de Serres, seigneur de Pradel ; ouvrage considérable, qui non seulement résumait toutes les profitables découvertes faites jusqu'alors en agriculture, mais encore, de l'aveu universel, effaçait toutes les publications antérieures, tant par le profond savoir théorique que par la précision et la clarté des enseignements pratiques .

Bernard Palissy avait tracé d'ensemble, au point de vue philosophique en quelque sorte, la voie à suivre pour créer une science agricole positive et définitive ; Olivier de Serres, illustre disciple d'un illustre Maître, Bernard Palissy, réalisait l'oeuvre que celui-ci avait rêvée et initiée .

A Olivier de Serres revient donc la gloire, que d'ailleurs nul ne lui conteste, d'avoir inauguré l'ère nouvelle de l'art des champs .

Nous terminerons cette narration en relatant ce nous connaissons des qualités de ce personnage " hors norme " que fut Bernard Palissy .

- D'abord son caractère d'autodidacte , car il a construit lui-même son rapport à la connaissance des choses et des êtres, surtout celle liée au règne végétal (agricole) : il n'a pas été " stérilisé ",perverti, par des études classiques .
- Passionné, curieux de tout, son esprit était ouvert à l'ensemble les connaissances .
- cette coordination, cette symbiose presque intime avec le pouvoir royal, firent que ses concepts furent mis en pratique sur le champ grâce à un homme ouvert et responsable : homme de terroir , ami de jeunesse du roi : Sully
.

Bernard Palissy était le type de personnage dont l'unique motivation était la mise en place immédiate des résultats de ses" activités " . Porteur d'excellents principes qu'il était constamment prêt à inculquer aux autres, il s'était révélé être d'une très grande efficacité ; peu influençable, il ne cédait qu'à des arguments massifs, péremptoires (qui détruisent d'avance toute objection, contre quoi on ne peut rien répliquer) et répétés .

Il a su résoudre immédiatement des problèmes d'une extraordinaire complexité . En possession d'une intelligence analytique, il a su entrer dans les détails significatifs et chercher le fait " efficient ", toujours pour le meilleur de la cause en question, car il était un constructeur né . Étant mentalement très " charpenté " ! , il avait une mémoire redoutable, une curiosité infatigable et une vigilance toujours en éveil .

Il annonça un monde agricole nouveau et, en cela, il fut un précurseur plein de génie comme d'ailleurs dans toutes les aventures qu'il entreprenait .


Les échecs étaient pour lui tonifiants . Sa chance, il n'en parle pas, il la " bouscule " , ou l'ignore : il a réussi son œuvre " à la force de son esprit et de ces poignets ".

Il a su aller jusqu'au bout de ses idées, créateur, annonceur d'une ère nouvelle, ce fut un " immense ingénieur " et un Savant toujours en avance sur son temps . C'est en cela qu'il honora notre douce France .

Bien à vous
, cordialement ,Gerboise .